Cécile

Premier entretien

Les bons souvenirs, on va commencer par les bons, hein ! Donc moi, j’ai eu une période de cinq années de remplacement, je n’ai pas eu d’école normale, donc cinq ans de remplacements. Donc c’est vrai que là, quand même, on peut dire que c’était une période quand même plutôt, oui, difficile, hein. Difficile dans la mesure où on avait pas de limites en kilométrage, c’est-à-dire qu’on sillonnait la Hte S., qu’on vous téléphonait la veille et que le lendemain vous alliez à l’autre bout du département. Donc ces cinq années ont été difficiles déjà, par cette situation. J’ai commencé après 68, en 70, 69, je pense. Oui, oui, ça doit être dans ces années-là hein ! Et c’est vrai que c’étaient des conditions relativement difficiles par rapport aux conditions actuelles peut-être, à certaines conditions actuelles, hein, à certains aspects parce que, maintenant, c’est quand même limité en kilométrage, voilà. Et puis on s..., par contre de très bons souvenirs des élèves. Des élèves, des enseignants, de l’accueil que j’avais eu. Mais vraiment, pratiquement dans toutes les situations hein. J’ai toujours eu énormément de chance d’avoir des gens, je sais pas (rire). C’est une chance. Bon, la chance c’est aussi l’attitude qu’on a vis-à-vis de ces gens hein ! Donc, ça s’est toujours très bien passé, j’ai eu vraiment des gens qui ont toujours fait le maximum parce qu’en fait, quand on arrive dans une école, il faut se loger etc ? hein ! Y a toutes les, tout ce qui est matériel. Y a toujours eu des gens qui m’ont bien bien accueillie, bien reçue. Et les enfants, je crois que je n’ai pas de mauvais souvenirs des enfants. Bon, est-ce que je ne suis pas tombée sur des classes difficiles ? Bon, il y a déjà, ce n’est peut-être pas non plus la même situation qu’à l’heure actuelle, on a d’autres problèmes hein ! Mais, il me semble bien que non, je n’ai pas de mauvais souvenirs d’enfants, de classes aussi, difficiles, sur cinq ans. Vraiment, ça s’est plutôt toujours bien passé.

  • Et vous avez des exemples de bons souvenirs ? Concrets ?

  • Concrets : des enfants déjà très, très agréables. Moi, je me souviens que je, dans des groupes aussi, parfois des groupes importants hein, des grands groupes scolaires en ville, je sais que j’avais des enfants, j’avais une classe très difficile je ne l’ai pas eue longtemps hein, je l’ai eue une semaine mais ben je pense, c’est au niveau relationnel, hein ! Ça passe ou ça ne passe pas. Et on trouve ce qu’il faut pour que ça passe, ou on ne le trouve pas. Enfin il me semble. Et bon, ces élèves avaient été vraiment très agréables. Bon, peut-être que je leur avais présenté euh, donc y avait du changement par rapport à leur routine hein, peut-être que je leur avais présenté des petites choses qui leur avaient plu, je sais pas, hein, des situations, des leçons, une manière d’aborder les choses. Oui, ils avaient été adorables, hein, ces enfants. Des enfants qui après m’écrivaient : “ Tu reviens maîtresse ? ” J’ai dit : “ Peut-être ” hein ! (rire), “ Je vais où on me demande d’aller ”. Non je n’arrive pas, mais vraiment hein, sincèrement (affirmé) ! Encore maintenant, je, là je fais le bilan, parce qu’il y a à peu près 20 ans que je suis ici, hein ! à l’école de La M., et j’ai rencontré, lors d’une soirée, d’anciens élèves qui ont 25-30 ans, et on a encore parlé. Vraiment, je garde des souvenirs d’enfants en difficulté, que j’aurais voulu davantage aider, certainement hein, ou, mais pas d’enfants difficiles, violents. Bon je suis dans une classe, quand même de campagne hein, mais bon la violence elle arrive ici comme ailleurs ! Hein maintenant, les problèmes familiaux également ... non, je n’ai, enfin je pense que tout enseignant a une attitude à avoir vis-à-vis des enfants. Moi je dis que les enfants, ils sont formidables, formidables, ils ont une grande envie d’apprendre, beaucoup (insiste) de bonne volonté, ça c’est sûr, mais c’est à nous de faire la démarche, c’est à nous de faire cette démarche, et à être à leur écoute, et à voir ce qui va, ce qui ne va pas. Moi, les mauvais souvenirs que j’ai, c’est plutôt sur mon attitude (rire) où je n’ai pas saisi certains enfants en difficulté, et où ça ne s’est pas suffisamment bien passé pour moi. Surtout pour les enfants en difficulté évidemment hein, pour ceux qui n’ont pas de problèmes ... Où j’aurais aimé les aider autrement et vraiment sentir le degré de difficulté parce que, souvent, on ne sait pas à quel point certains enfants font des efforts, hein ! Ils ont des difficultés terribles, ces enfants, et on a l’impression qu’ils n’ont fait qu’un petit peu, un petit effort, qu’ils pourraient faire plus alors que pour eux déjà une toute petite chose ... Doser les efforts et bon, si j’ai quelque chose qui me chagrine, c’est ça, moi, hein ! Mais les enfants, non moi je trouve qu’ils sont vraiment, ils sont formidables les enfants, formidables. C’est à nous hein, à vraiment... Et puis, qu’il y ait dans la classe un climat serein (rire), c’est ce que je cherche aussi hein. Serein, calme, calme dans les attitudes. Bon, ben y a des exigences aussi, bien entendu. Mais que ce soit serein, qu’on évite des tensions au maximum. De la même manière avec les parents. Ici à La M., on n’a pas, on n’a pas énormément de problèmes avec les parents, à part quelques uns, hein, mais vraiment, sur les 20 années-là, non. Des gens qui ont quand même une attitude de compréhension. S’ils comprennent pas ils viennent demander, ils ont aussi la possiblité d’avoir des réponses. Au niveau encadrement, participation, on n’a pas à se plaindre. Quoi qu’on organise, on a des parents qui sont là, présents ; et moi je sais que là je vais organiser un séjour, bon, y a des gens qui vont prendre une semaine, une semaine pour encadrer une classe de ski, bon, il faut le faire aussi, c’est dur quand on travaille. On a une, je crois, je sais pas si j’ose dire tout ça, j’ai l’impression que je brode et que ... mais c’est la réalité -, on a une association de parents d’élèves qui fait un maximum hein ! Donc, à partir de là, on a une bonne équipe aussi d’enseignants, à partir de là, bon, ça n’est pas idyllique, hein je ne dis pas que ce soit idyllique mais tout arrive assez bien à fonctionner. Et bon, je ne peux pas donner de mauvais souvenirs réellement d’élèves. Oui, les mauvais souvenirs, mauvais entre guillemets hein, c’est ce que j’aurais pu faire de plus, une approche que je n’ai pas eue vis-à-vis d’enfants qui, qui ont des difficultés. Et c’est toujours ça mon problème, de toute façon, principal hein ! Le petite nuage-là. Bon, je pense que c’est le problème de beaucoup d’enseignants hein. Parce que, parfois, on est quelque peu démuni face à certaines situations. Voilà. Sinon, ce que je trouve, par contre, à l’heure actuelle, pesant pour les enseignants en général, c’est qu’ils ne sont plus que des enseignants, il faut qu’ils soient psychologues, il faut qu’ils soient assistantes sociales, il faut que ... On a plus (davantage) d’éducation à faire, hein ! Parce qu’on se demande si à la maison on a toujours le temps de la faire ,et je crois que c’est ce qui me pèse le plus.

  • Et vous le ressentez ici ?

  • Oui, bien sûr, parce qu’on a des situations familiales aussi très difficiles, hein ! Comme en ville. Donc je crois que c’est ce qui est le plus difficile pour nous. On aimerait bien, surtout enseigner.

  • Et vous avez des exemples de situations ?

  • De familles, je ne sais pas moi, de parents qui sont tous les deux au RMI par exemple, qui n’assument plus rien, donc il faut contacter l’assistante sociale, il faut se réunir ... Ces problèmes-là, qui nous arrivent à nous aussi hein, ils sont de plus en plus nombreux. Et puis les problèmes de familles qui sont séparées aussi, c’est aussi difficile à gérer hein ! L’enfant qui va chez le papa, qui a oublié le sac chez le papa. Après il est chez la maman ... Y a énormément de choses qui ... Bon, on essaie d’expliquer aussi aux enfants, de leur dire : “ faites attention, puisque vous êtes dans cette situation-là ... ” et puis d’excuser aussi, c’est pas vraiment de leur faute, hein ! Donc je pense que c’est ce qui est le plus pesant pour nous. Oui, ce qui en ce moment l’est également, bon ce sont toutes ces histoires d’autorisations de sortie où on nous demande de prendre beaucoup de décisions, où en tant bon , je parle aussi en tant que directrice d’école, hein, en tant que directeur bon, là bon, je pense que ça va peut-être être modifié, je ne sais pas, mais là, on nous donne vraiment des pouvoirs qui, entre guillemets, ne facilitent pas les choses, hein ! qui sont plutôt, ce sont des poids, des fardeaux pour nous hein, parce qu’on nous donne des responsabilités qui sont un peu lourdes, et je ne sais pas si c’est uniquement à nous à porter le poids de toutes ces responsabilités. Je crois que là c’est difficile hein ! Voilà, c’est ce que je peux dire sur, oui, sur ce qui pèse un peu. Donc, bons mauvais souvenirs, je crois que ...

  • Et quand vous étiez remplaçante avant de passer le CAP, est-ce que vous avez eu des cours ?

  • Ah non, c’était la formation sur le tas. Pas de cours à l’EN à l’époque. C’était la formation sur le tas, nous on n’avait pas. Ça, c’est sûr. Oui, on a eu quelques conférences, mais c’était très très minime. Pendant ces cinq ans, non hein. Ce qui était surtout, c’était les remplacements et c’est tout hein. Je n’en n’ai pas gardé un mauvais souvenir sur le plan de la formation, de ces remplacements. J’ai trouvé que c’était plutôt positif, déjà de par la variété des situations, parce que là on avait ... Les situations variées on les a eues, on les a toutes eues. Ça m’a permis de voir si j’étais capable de m’adapter, parce que c’est vrai qu’un enseignant, comme toute autre personne dans la vie, surtout à l’heure actuelle, s’il n’est pas capable de s’adapter c’est difficile pour lui, hein. Donc ça, ça a été très positif. Et puis, gérer des situations c’est vrai, complètement différentes d’une semaine à l’autre. Bon, vous me direz : “ c’est ce que font les titulaires-remplaçants ”, bien sûr hein. Mais moi j’ai trouvé ça très très positif dans l’ensemble, hein. Enfin bon, j’aime bien les expériences, moi, parce que je trouve que, quand on fait l’expérience, on en tire toujours quelque chose, donc c’est aussi constructif même si, au départ, quand on a une classe au départ ... Je ne pense pas, sincèrement, que les étudiants sortant de l’EN soient plus favorisés que nous qui n’avions pas forcément envie de tous ces cours. Je ne suis pas sûre qu’ils soient vraiment plus favorisés. Je pense qu’ils ont plus de connaissances

  • Vous parlez de l’IUFM

  • Voilà. Plus de connaissances théoriques et, quand on est dans une classe. Enfin moi j’avais connu quand même quelques remplaçants dans les classes et je me suis aperçue que ça n’était pas ... Le passage à la pratique n’était pas forcément simplifié pour autant, parce que je crois qu’il y a peut-être enfin c’est une expérience et je sais pas si d’autres collègues pensent la même chose mais c’est qu’en discutant avec ces remplaçants : “ Ah mais on ne nous a pas dit ça ! Ah mais on nous disait ... ”. On nous disait, tout d’un coup ils se sont aperçus que la réalité était tout autre que ce qu’on leur avait dit. Donc y a ceux qui sont capables de se dire : “ la réalité, elle est tout autre, je vais faire autrement ”. Et puis y a ceux qui sont totalement démunis et qui démissionnent tout de suite. Nous on a eu le cas d’un remplaçant : “ non j’arrête, j’arrête ”. Par contre y en a une autre qui, alors elle, n’avait pas fait de stage avant à l’EN, qui a fait tout de suite un remplacement ici, ça s’est mal passé. Elle a fait son année d’EN et bon elle est peut-être tombée sur une classe ici qui était un peu difficile entre guillemets parce que bon ... les classes difficiles parfois ça dépend de l’attitude aussi de l ’enseignant hein, y a pas que la classe qui est difficile hein, y a aussi l’attitude de l’enseignant et là elle nous a dit : “ je suis tombée sur une classe qui va ” et là, ça l’avait un petit peu remotivée. Oui, c’est vrai que j’ai pas trouvé vraiment que ce soit un handicap de partir tout de suite comme ça dans les expériences, hein. Non j’ai trouvé ça assez positif, ces cinq années. Bon, enfin cinq années, on a envie de rester dans une classe hein ! Parce qu’il y a aussi la saturation au bout de quelques temps de, de tout ça. Parce que sans arrêt changer, cinq ans c’est bien, c’est même bien long hein ! (rire) Mais à l’époque c’était comme ça ! On n’avait pas d’autre choix hein. Sinon, je sais pas, j’essaie de revoir mes points négatifs. Je vois surtout ça sur le plan, surtout mon attitude en fait hein. Certaines situations où j’aimerai, où j’aurais aimé que ce soit beaucoup, bien mieux, une approche différente pour les enfants. Je crois que c’est aussi notre gros problème, les enfants qui ont des difficultés, parce que ça n’est pas quand même facile à gérer aussi. Mais j’ai toujours autant de plaisir à enseigner, tiens je vais vous le dire quand même (rire). Au bout de vingt et quelques années, je me sens bien dans ma classe. Ça ne veut pas dire que tout est parfait, hein ! Mais je suis bien avec les enfants, et j’ai toujours autant envie de changer les choses pour que ... ben oui, ça s’améliore, que ... recherche un petit peu toujours ... marrant ça ... De ce côté -là, ça va, et heureusement hein, parce qu’à l’heure actuelle il faut quand même ne pas se laisser décourager.

  • Parce que vous avez quoi comme classe ?

  • Des CM, CM 1-CM 2, hein, deux groupes. Avant j’avais trois cours CE 2-CM 1-CM 2. Et puis j’ai fait toutes les classes : j’ai fait classe unique, mais oui, j’ai tout fait en cinq ans, tout fait, hein, de toutes façons. Mais c’est vrai que je me sens plus à l’aise avec des grands. J’ai aussi travaillé en maternelle ; mais non, avec les petits je ne me sentais pas, j’arrivais pas à me mettre à leur portée. C’est très difficile, et puis c’est usant la maternelle. Le bruit, le ... c’est très difficile hein. Bon, par rapport à une classe de plus grands ...

  • J’accorde beaucoup de place à la réflexion sur le travail qui est fait. Et là donc, nous avons les études dirigées qui ont été un petit peu décriées (rire). Et bien moi je m’aperçois que ça peut être très positif, ce moment où on parle d’un exercice qu’on avait à faire, qu’on a pas sû faire, pourquoi est-ce qu’on a pas sû le faire ? Pour nous c’est vrai, on travaille en ce moment sur les fiches d’orthographe qui sont des fiches de recherche sur des mots, et là les enfants ont fait toute une liste de ce qu’ils ne faisaient pas, de ce qu’ils ne savaient pas faire par rapport à leur fiche. Et c’est formidable, ils ont tout trouvé, hein ! On n’a même plus besoin de leur dire, ils ont trouvé, eux l’ont trouvé. C’est ce qui est un peu nouveau dans la démarche, parce qu’avant c’est l’adulte qui disait, l’enseignant disait : “ voilà il faut faire comme ça, comme ça et comme ça ”. Là, eux trouvent. Et ils ont trouvé tous les points négatifs, hein, de leur attitude face à cette feuille. “ Je ne cherche pas dans le dictionnaire ”, “ je fais des fautes en copiant ”, “ je ne mets pas les majuscules quand il faut ”, enfin tout a été dit. Donc après, y a l’attitude qui consiste à dire : “ bon, qu’est-ce qu’on va faire pour y remédier ? ” Et tout ça, on le discute et les enfants trouvent tout. Hein, parce qu’en fait, enseigner, nous on n’a rien à apporter aux enfants. Attention, je m’explique hein, on a à leur faire découvrir, les mettre en situation de découverte. Si on sait trouver les bonnes situations, l’enfant découvre. Toutes les situations, que ce soit en grammaire, en conjugaison bien entendu y a des mots, des terminologies à leur donner mais l’essentiel, ils le trouvent, hein, ils le trouvent, ça c’est sûr. Donc c’est vrai que ça, c’est bien, positif dans l’enseignement à l’heure actuelle. Ces études dirigées, ces moments d’études dirigées, finalement moi je les trouve très intéressantes, très positives, très constructives. Je précise que je ne donne pas de fiches à remplir, je n’achète pas de fiches toutes prêtes où on doit remplir, c’est toujours une réflexion sur le travail qui est fait en classe et des petites remarques, très courtes aussi, hein, parce qu’il ne faudrait pas que ce soit une surcharge, hein. C’est vrai qu’on l’avait vu un petit peu comme ça, et on se disait que nous, en fait, tout ce qui est remarques sur la méthode, on en fait toute la journée, hein des remarques ; mais, de se dire qu’on a un petit moment spécial pour ça, c’est bien. Oui. C’est vrai qu’au départ, moi je, j’avais eu un peu cette attitude de dire : “ Oh la, la, mais cette méthode ! ” Mais on en parle tous les jours, et combien de fois par jour ! Et on le fait. Mais c’est un petit moment où on fait le point, en fait. Voilà, c’est ça. Et moi je, c’est bien positif et on l’utilise hein ! Voilà. C’est vrai que, dans l’enseignement, l’attitude de l’enseignant, elle est déterminante. Et c’est bien pour ça que, de temps en temps, les points noirs c’est surtout en ce qui me concerne. Pas vraiment, parce que vraiment bon, à moins d’avoir des classes très difficiles hein, on va quand même pas aller dans les extrêmes, mais je crois que si on a le, l’attitude envers les enfants, déjà qu’il y ait une attitude, pas d’enseignant qui est là pour, pour réprimander à chaque fois, si on a une attitude où l’enfant sait qu’on expliquera quand il comprend pas, qu’on est là pour l’aider, pour travailler ensemble ... A partir de là ça va quand même mieux, hein ? Enfin il me semble. Mais c’est que c’est là où c’est difficile pour nous parce que, à la fois difficile et positif, parce qu’il faut toujours être en état de recherche. J’ai fait une leçon, ça n’a pas marché, mais alors pourquoi ça n’a pas marché ? Il va falloir que la prochaine fois j’aborde ça différemment. Ça évite la routine, ça aussi. Et je trouve que c’est ce qui est aussi positif dans ce métier, c’est que, si vraiment on accroche, on est toujours en état de recherche, c’est ce qui est, enfin moi c’est ce qui me plaît hein ! Je dois dire que j’ai toujours autant de travail au bout de vingt années d’enseignement que dans mes débuts, hein. Parce que j’ai horreur de la routine. Donc, ce qui est fait les années d’avant, on le refait évidemment puisqu’on a un programme, mais jamais dans les mêmes conditions, jamais avec le même support, donc c’est vrai que c’est aussi, quelque part, intéressant. Et puis pour les enfants aussi. Ils m’ont deux ans hein, alors les pauvres (rire), il faudrait, oui, leur éviter ça (la répétition).

  • Quand on a instauré les bases en maths à l’époque, alors moi ça ne m’a pas réellement touchée, je ne peux pas le cataloguer dans les mauvais souvenirs, mais certainement mauvais souvenirs pour des collègues. A l’époque, en mathématiques, on nous a fait parler des bases. Donc nous, travailler en base 10, oui on travaillait en base 10 hein, on avait aussi à travailler en base 10. Et c’est à cette époque où on s’est mis à vouloir travailler les bases 2, 3, 4. Donc, on avait eu comme ça quelques cours, personne ne comprenait grand chose parce que je sais pas si ça avait été vraiment amené de la meilleure manière qui soit. On avait des livres de mathématiques du début à la fin qui traitaient des bases, des livres entiers. On a eu des enseignants qui ont déprimé à cause de ça, qui ne comprenaient rien à ces bases. Alors ça, c’est vraiment dans le style, voilà, idées, formation, quelque chose que j’ai retenu, bon. Moi, je me souviens, je m’étais adaptée parce que bon, en étudiant un petit peu, c’est vrai que ça n’est pas très compliqué hein, pas très compliqué mais à l’époque quelqu’un qui n’avait jamais eu cette formation et qui se retrouvait, bon c’est vrai que les livres c’est aussi relatif hein, mais avec des livres entiers, et puis il fallait faire ... On ne jurait que par ce, ces bases, hein ! J’ai le souvenir de gens qui réellement déprimaient. Ça, quelque part c’est aussi dommage de ... Peut-être que maintenant, je ne sais pas mais moi, je vois dans nos relations avec donc les inspecteurs de la circonscription, les conseillers, on a moins ces idées, hein l’idée est là, c’est la voie qu’il faut suivre. On a la possibilité de, d’une approche différente, et de parler des expériences autour d’une idée, de dire : “ oui, bien sûr il y a du positif, mais il n’y a pas que de ça. C’est rare quand tout est merveilleux et qu’il faut suivre à la lettre ce qu’on dit ”. Et donc ça, je pense que c’est aussi intéressant hein.

  • Les enfants ont beaucoup de connaissances, de par les médias, de par tout ce qu’ils ont, mais ce sont des connaissances, comment dire, qu’ils ne sont pas en mesure de vérifier, d’expérimenter, hein. C’est un savoir, vous parlez des planètes, vous parlez de choses incroyables, mais il me semble que le rôle de l’école c’est justement de replacer les savoirs qui paraissent aller de soi, hein ! Tout simples et que les enfants ne connaissent plus. Les enfants connaissent des choses très compliquées mais les savoirs élémentaires, qu’on doit apprendre ici quand même, travailler ici, ils ne les ont plus. Bon j’ai envie de dire : lire, écrire, compter je sais pas si j’ose mais c’est vrai -, et je crois que ça pose quelques interrogations sur le rôle de l’école ici. Quelles sont les choses essentielles, parce que c’est vrai que les enfants ont des connaissances mais en fait, à quoi vont leur servir ces connaissances ? Hein ! Déjà ... Alors il me semble qu’ici, on doit s’attacher aux connaissances toutes simples, toutes bêtes, qui vont de soi, hein euh... Et on a tendance à l’heure actuelle, il me semble, à voir les choses un peu compliquées. Il faut aller, je sais pas, même les livres de géographie, d’histoire-géographie, y a des tas de choses compliquées. D’abord, tous ne sont peut-être pas forcément accessibles à certains enfants. Certains enfants ne comprennent pas dans les livres d’histoire, je vois ma fille, ils comprennent pas tout les enfants hein. Il me semble qu’on doit partir du concret ici à l’école primaire, et qu’on ne part pas assez du concret, de l’expérience. L’expérience, en mathématiques par exemple. L’enfant qui a du mal en mathématiques, il a besoin de concret, de vérifier, de voir, de toucher. Y a peut-être qu’à partir de là, il sera en mesure d’abstraire, hein, de faire la démarche aussi du simple au compliqué. L’enfant qui a du mal, il ne sait jamais passer par le simple, il ne le voit pas le simple, hein ! Il n’arrive pas. Je vois en mathématiques, je sais pas, un enfant qui a du mal à compter une addition, je lui dis, je sais pas : “ 500 et 200 ?, pense à quelque chose de simple, 5 et 2 ” et après on fait la démarche des zéros. Il ne la fait pas, il pense jamais au simple. Donc y a toute cette démarche-là, il me semble, qu’on doit, nous, faire à l’école, enfin à l’école primaire du moins, une démarche d ’expérimentation. En mathématiques, y a énormément de choses à expérimenter : les mesures de masse. On ne va pas faire à ces enfants un tableau, et puis se borner à faire le tableau, et puis les faire changer d’unités. Qu’est-ce que ça représente pour eux un kilo ? Rien. Oui, mais si on commence à prendre toutes les balances possibles et imaginables, et qu’on les met en groupe et qu’on leur dit : “ Allez-y ! On va faire des petits ateliers, vous allez faire des petites expériences. ” Mais c’est formidable. Ils auront une petite notion. Et je dis : “ A la limite, tant pis, s’il ne sait pas traduire des dizaines, des centaines de kilos en grammes, mais s’il a vu qu’un kilo et puis que 100 grammes ça n’était pas vraiment la même chose parce qu’il l’a pesé, il l’a touché, il l’a soupesé, au moins il lui restera quelque chose de concret à cet enfant-là. Il n’aura pas tout perdu entre guillemets, parce qu’en fait ceux qui n’accrochent pas pour ce travail-là, ben qu’est-ce qui leur reste ? Rien, à part peut-être, oui, “ cite-moi des mesures de masse ”, ben oui, il va en citer, mais ... On peut être efficace avec les enfants dans la mesure où on connaît les possibilités réelles de chaque enfant, hein. Déjà les connaissances qu’il a, par son expérience à la maison. On a fait par exemple, une estimation des poids des enfants. Donc, y avait six enfants au tableau qui ont proposé aux autres d’estimer leur poids. On a vu très peu d’erreurs, à un ou deux kilos près. Pourquoi on n’a pas eu d’erreur ? Parce qu’en fait à la maison ils se pèsent les enfants, tous plus ou moins. Par contre, quand il a fallu estimer le poids d’un compas, le poids d’une gomme, oh, alors là, on a constaté les différences. Et tout ça, c’est une construction du savoir, qui me semble ici, est importante. Comment dire ? Les bases sont peut-être un petit peu plus solides en fait. Parce que, ne faire qu’accumuler les connaissances, c’est dommage. C’est dommage. De toutes façons l’enfant découvre, chaque enfant découvre, au moment où pour lui c’est bon, il a le déclic. Donc à nous de faire la démarche pour qu’il arrive aussi à avoir ce déclic ; et puis certains ne l’auront pas, de toutes façons. Mais enfin, quand même, y a une approche expérimentale qui est importante. Et puis les enfants sont aussi contents de le faire. Parce que ça aussi, moi je refuse la routine mais faut aussi qu’on apprenne un petit peu, pas dans la joie mais enfin qu’on soit heureux, qu’on soit bien, qu’on ait envie de faire les choses. Parce que sinon, sinon c’est pas la peine. Moi, c’est vrai que ça m’ennuie à la fin de la journée quand j’ai pas eu un petit coin où on était bien quoi, ça s’est bien passé, ils étaient contents aussi. Au moins un petit quart d’heure ou une petite demi-heure. Ça, ça me gène à la fin de la journée, hein, si je n’ai pas eu ça. Je suis en train de parler des méthodes-là.

  • (A propos des relations entre enseignants). Mais c’est vrai que l’enseignant ne fait pas souvent la démarche, c’est difficile d’aller vers les autres. L’enseignant est bien dans sa petite classe. Sortir de sa classe, aller dire ... Et c’est pas toujours, ça ne se fait pas toujours d’aller dire qu’on a des problèmes avec quelqu’un ... Hein ? Ça se dit pas. Alors qu’au contraire, si on le dit et bien on va le voir, on va essayer d’améliorer et de voir que, s’il y a un problème c’est pas la faute de, cet enseignant-là en particulier, on est tous dans la même galère hein, si je puis dire, et si on peut se donner des trucs, il faut le faire. C’est évident-ça. Et plus ça va et puis plus, la situation changeant aussi, l’attitude des parents vis-à-vis de l’école, plus on aura besoin d’être ensemble, nous les enseignants. Ensemble, c’est très très important. Faut surtout pas qu’on s’isole hein. Parler de notre travail, parler de nos problèmes, essayer de résoudre ensemble, essayer aussi d’avoir une attitude commune face à une situation. Parce que c’est quand même un réconfort quelque part, parce que si l’enseignant reste tout seul, y a des choses ingérables pour lui, ne serait-ce que l’attitude d’un parent les gens qui maintenant peuvent venir tranquillement discuter comme peuvent venir vous agresser et c’est vrai que si on a une attitude commune, si on travaille ensemble dans ces situations difficiles, déjà ça a plus de portée parce qu’on est plusieurs, et puis parce qu’on est plusieurs à dire la même chose. Ça, c’est vrai qu’il faut qu’on en prenne consience, nous les enseignants ; et c’est là un peu notre ... faiblesse, on va dire, hein. Deux enfants se battent, ils viennent le dire, il y a un problème, il faut règler ça sereinement, hein. C’est pas : “ Ah, c’est toi, tu es puni, va t’asseoir ou ... ” On discute, on s’explique : “ Il t’a donné un coup de pied. Explique-nous pourquoi il t’a donné un coup de pied ”. On en arrive souvent à ce que l’autre enfant dise : “ Oh ben oui, j’ai commencé et puis je lui ai aussi donné un coup ”. On discute, on dit : “ Ecoutez, est-ce qu’on va essayer d’arrêter ? Ou qu’est-ce que vous proposez ? Vous allez jouer à un autre jeu, ailleurs ? ” Mais dans la plupart des cas, ça marche ça, ça marche. Alors que si on dit à l’enfant qui a donné le coup de pied sans (lui en) demander la raison, sans demander, ben l’enfant qui a été puni qu’est-ce qu’il va faire ? hein, quand il va sortir de l’école ? Et bien il va aller trouver l’autre, il va lui dire : “ moi j’ai été puni à cause de toi. Et bien mantenant t’en auras un deuxième, de coup de pied ”. Nous, il faut vraiment qu’à l’heure actuelle, on essaie d’éviter de faire que cette violence  on parle d’escalade de la violence mais c’est aussi par nous, par notre attitude à nous, hein et après les enfants arrivent à expliquer calmement, les choses, à se rendre compte. Je ne dis pas qu’ils ne se donneront jamais plus de coup de pied, c’est pas non plus le but, mais c’est d’expliquer. Et en plus les enfants viennent dire les choses, et ça passe moins comme : “ t’es allé rapporter ! ” Il est allé dire, celui qui est concerné vient et s’explique. Si vraiment y a des problèmes successivement, c’est vrai que de temps en temps on en a un qui va s’asseoir un moment sur l’escalier, histoire de se calmer. Il ne faut pas non plus ... Y a des attitudes aussi à avoir hein, y a des choses qui se font pas. Moi, je sais que face aux enfants, ils le savent, il y a toujours des avertissements, c’est-à-dire qu’une première fois la chose se passe, on explique, une deuxième fois. Ils savent qu’à la troisième bon là je dis : “ Ecoutez, on va en parler avec vos parents, là y a un problème ”. Ils savent, hein, qu’ils ont des étapes comme ça.

  • Oui, mais en parler avec les parents c’est autre chose que de donner une punition sans avoir réfléchi. Ça veut dire qu’on a soulevé un problème et qu’il y a peut-être quelque chose qui ne tourne pas rond

  • Voilà, mais c’est sûr. Mais ils le comprennent hein, ils savent que c’est vrai, ils comprennent bien. Mais ils sont très lucides ces enfants. C’est impressionnant la lucidité qu’ils ont. Et les réflexions qu’ils ont, et bien elles valent celles des adultes hein ! Ils sont même parfois bien au-dessus. Une fois, il y a un qui avait donné un coup de pied, je l’ai questionné : “ qu’est-ce qui s’est passé ? Oh, il m’a fait tomber, alors je lui ai donné le coup de pied ” Et il en a pleuré, celui qui avait donné le coup de pied parce qu’il ne devait pas accepter qu’on lui fasse de remarques là-dessus. Pour lui, de toute façon il avait réagi, et c’est vrai qu’on réagit souvent instinctivement ; quand je reçois un coup, oh je le redonne. Bon, une fois que tout a été un petit peu calmé, on en a quand même reparlé et moi je n’ai pas donné de conseil, ce sont les autres (enfants) qui ont dit : “ Ben écoute, tu sais, c’est vrai, moi j’aurais fait pareil, j’aurais aussi donné le coup ”. Bon, puis y en a d’autres qui ont dit : “ C’est vrai, mais peut-être qu’il y aurait, tu aurais peut-être pu aller le dire au maître qui surveillait ”. Mais on est quand même arrivé à la conclusion que c’est vrai, que parfois, on réagit tous comme ça, violemment et que, ben oui, c’est parti. Donc les autres lui ont bien dit : “ Ben écoute, la prochaine fois peut-être que, il faudrait éviter d’aller jusqu’à le faire pleurer aussi. Parce que s’il pleure c’est qu’il a reçu un coup un peu violent ”. Donc après, ça en est resté là.