Premier entretien

Je sais pas comment parler de ça, c’est pas évident hein ! Bon ben moi, dire un petit peu comment j’ai commencé, peut-être ? Donc moi c’est ma 20ème année d’ancienneté et j’ai eu, j’ai connu que l’école maternelle. J’ai pas d’expérience ailleurs. Alors que, à l’école normale j’avais fait aucun stage en maternelle, je suis arrivée euh... Mon 1ier poste, on m’a dit, 8 jours après la rentrée : “ il manque quelqu’un là, donc on vous met là ”. Et j’y suis restée 10 ans. Et c’est vrai que ça a été une sacrée école pour moi, ça a été dur. J’avais, je connaissais pas les enfants à cet âge, euh. Bon, j’ai eu une directrice qu’était bien, qui m’a bien, qui m’a énormément aidée. Mais je dois dire par exemple, 1ier, 1ière chose difficile dont j’ai un souvenir cuisant, c’était mes inspectrices quoi. J’ai eu des inspectrices, vraiment spécifiques d’école maternelle chose qu’on n’a plus maintenant et ... elles m’ont formée, on peut dire à ce moment-là à la dure, mais bon, mais. Mais on avait des inspectrices qui nous, qui nous tenaient, qui nous menaient, mais finalement ... Bon, avec le recul, j’ai, j’ai une bonne expérience, un bon souvenir de ça. Même si ça a été dur au moment où je l’ai vécu ...

• Vous pourriez en parler plus en détail, avec des exemples ...

• Par exemple c’était des femmes, enfin c’était des femmes. Donc déjà c’était des rapports de femmes hein ! Femme à d’autres femmes et c’est vrai que, bon les maîtresses de maternelle, bon ce sont toujours des femmes. Bon euh, je suis tombée sur des femmes qui étaient quand même très directives, bon peut-être pas citer de nom mais y en a eu, y en a eu plusieurs hein,qui se sont enchaînées, elles étaient donc “ spéciales écoles maternelles ”. Alors par exemple elle, je me rappelle de cette époque-là où elles nous imposaient la récréation en milieu de matinée. Mais sans nous dire comment on pourrait réellement l’organiser avec une classe de petits. Parce que bon, maintenant, c’est une chose qu’on a mise en application, avec le temps, mais qui n’est pas facile avec des tout-petits parce qu’on a, on habille, on déchausse, on rechausse, on rhabille, enfin en fait on passe beaucoup de temps pour ça, et elles, par exemple, elles nous l’imposaient. Donc, on avait l’impression que c’était vraiment euh, la chef qui nous mettait le coupe-gorge, le couperet, on pouvait pas y échapper. Euh, pour d’autres choses aussi, tout ce qui était les autorisations de sortie, elles étaient draconniennes, euh à quel niveau ? Elles étaient vraiment très très dures hein (soupir). C’est loin, c’est sûr qu’on ne bougeait pas une oreille, euh les instits étaient vraiment très très ... très à l’écoute. Moi, d’ailleurs, j’avais une peur (insiste sur “ peur ”) de l’inspectrice, mais c’était d’un angoissant. Mais, au bout de 20 ans, maintenant, ce qu’il en ressort : cette période-là me sert. Je me suis dit que j’avais beaucoup appris par le biais de ces inspectrices-là, qui m’avaient formées à être vraiment une vraie instit d’école maternelle. Et, depuis euh, après ça a été regroupé avec les écoles élémentaires. Et euh, bon on a un inspecteur qu’est très bien là, sur A. et il est vraiment très compétent même au niveau des écoles maternelles, mais je lui ai déjà dit, à lui aussi d’ailleurs : on n’a plus cette spécificité au niveau de nos chefs hein, nos supérieurs. Donc on est tous brassés, cycle 1 cycle 2 cycle 3 et même si de temps en temps on nous fait une réunion spéciale, on n’a plus le sentiment d’être maternelle, maternelle pure. Alors bon, moi comme j’ai ce vécu, euh je le vis encore, je, et ça se ressent au niveau de mon école parce que je fais encore partie de ce, euh, de cette équipe-là, de cette époque disons. Mais je vois que les jeunes qui arrivent derrière, euh, elles sont beaucoup plus polyvalentes au niveau de, elles bougent plus que nous, voilà. Bon je pense que ça, par exemple, c’est déjà un, un point qui est important au niveau maternel. Euh (soupir). Que vous dire d’autre ? Bon je pourrai parler, je sais pas si (soupir)

• Y a les rapports je vous donne des exemples les rapports avec les enfants, les rapports avec les parents ...

• Oui voilà. Y a des choses qu’ont beaucoup changé, qui ont énormément évolué aussi, c’est les rapports. Les rapports avec les enfants, j’ai ... Ça a évolué aussi, oui ça a évolué en, peut-être en ligne continue avec les rapports avec les parents, en fait. Parce que les enfants on a toujours été, enfin moi j’ai toujours été proche d’eux peut-être plus (+) maintenant parce qu’il y a une certaine expérience qui s’est installée mais je pense que je, je les ai toujours, euh, j’ai toujours été près d’eux. Mais les rapports avec les parents ayant changé, euh, ça a évolué. C’est-à-dire que euh, les parents sont plus proches de nous. Euh, au niveau des enfants on se fait appeler aussi par nos prénoms, par exemple. Hein, c(e n)’est plus madame ou... Euh, les parents nous disent volontiers nos prénoms hein, même qu’ils nous tutoient alors qu’on leur a rien demandé ! Donc c’est vrai que ce côté-là a quand même beaucoup évolué par rapport à l’époque où il y avait la régente qu’était au sommet de son, de son escalier-là et puis. Donc c’est vrai que de ce côté-là, moi je trouve que les rapports sont plus intéressants, ont changé et de ce fait les rapports avec les enfants. Parce qu’ils voient que, bon on s’appelle par nos prénoms, eux-mêmes nous appellent comme ça, euh, bon. Ça a changé aussi euh, euh (soupir) au niveau de, peut-être au niveau du oui enfin de toutes façons, au niveau de l’organisation du travail, au niveau (soupir) euh, les méthodes ont un peu changé aussi. Moi je trouve que, même moi j’ai évolué et heureusement. Euh, c(e n’)est plus, on fait plus notre travail de la même façon, c’est-à-dire qu’on est, on est plus proche, plus à l’écoute de ce qui va se passer euh, la veille ou l’avant-veille. Bon on travaille plus, je dirai sans dire de travailler au jour le jour mais on tient plus compte des événements. Hein euh même en maternelle parce que, tout en ayant une ligne de conduite, une ligne directive de notre travail ... Et quand même, je trouve qu’on s’adapte plus peut-être que c’est mon expérience qui fait que, mon ancienneté hein, enfin je me sens plus, je m’adapte plus facilement maintenant qu’à l’époque. Où je me laissais, par exemple, envahir par des choses, ou euh il aurait fallu que je parle de tel sujet mais j’étais pas prête, il fallait que je trouve des comptines, il fallait que je trouve des histoires, il fallait que je fasse une trame autour de tel sujet. Peut-être que j’avais pas toute l’expérience de, que maintenant ça va être plus facile. En fait en quelque ... toc toc les idées viennent, on a vite bâti quelque chose. Ça c’est sûr que, ça j’apprécie. Et je dois quand même dire une chose, c’est que les petites jeunes qui sont venues, parce que je reçois de temps en temps des jeunes filles de l’IUFM, on me les envoie en disant : “ on les envoie chez une femme qui on dirait pas une vieille mais c’est à peu près ça ” euh, et ben euh, c’est ce qu’elles ont apprécié, les dernières qui sont venues, elles ont dit : “ ah oui, ça, c’est bien ”. Parce que, vite vous avez la possibilité de prendre en main, en compte quelque chose et puis vous adaptez des choses comme ça. Et puis en fait, ça me plaît. Enormément. J’aime bien (très affirmé). Euh, avoir un sujet et puis pouvoir le traiter euh, vite en essayant de l’étoffer hein, mais euh, voilà. Ça c’est quelque chose que j’aime moi dans la pédagogie. (silence, soupir)

• C’est important en plus. C’est une espèce d’adaptation à ce qui se passe.

• Oui et puis quand les enfants sont là on n’est pas tous les jours pareille, on est pas tous les jours disposée mais, je sais pas comment dire, ils sont assis là, donc bon y a une, y a quelque chose qui se passe. En fait je ressens bien, ils sont là et puis euh, à partir du moment où on va leur parler, où on est à leur écoute, où on les respecte en fait, moi je vois bien quand ça accroche bien ça d’ailleurs l’inspecteur me l’avait dit quand il m’a inspectée l’an dernier il m’a dit : “ mais on sent qu’il y a quelque chose qui passe ”. Y a , y a, y a plus (+) que l’histoire de la maîtresse et de ses élèves. Je lui ai dit : “ oui, y a un peu de la mère-poule et de ses enfants, de ses petits poussins ” . C’est un peu ça parce que y a un petit peu d’humour, un petit quelque chose, un petit ... entendre dire : “ tiens, ben tiens maîtresse t’es jolie aujourd’hui, le blanc ça te va mais je t’aime mieux quand t’es en violet ”. Bon, ben l’inverse est le même. Je dis à la petite fille : “ tiens, euh, euh, ta maman elle va mieux ? elle était malade la semaine dernière ”. Voir qu’on s’intéresse à eux, voir que... En fait y a quelque chose qui passe, hein ! Et puis, quelques fois j’ai un petit brin d’humour en disant : “ bon, ben écoutez aujourd’hui, on a un monsieur qu’est dans la classe c’était l’inspecteur bon, on s’en occupe pas, il est là-bas, on le laisse dans son coin, nous on va s’occuper de nous ”. Alors bon, des choses un petit peu comme ça qui, qui passent mais... On a ce groupe en face et se dire, on arrive à, arriver à le maîtriser. Et puis y a des moments, y a par exemple je pense à des moments de langage où tout d’un coup on a plein de gamins : “ moi maîtresse j’ai fait ça, “ pis ” moi, “ pis ” moi, “ pis ” moi ”. Et puis en fait on voit, quand on les laisse dire les choses et qu’on (ne) parle plus, ben, au bout d’un petit moment, ben y a plus personne qui parle. Et ça je m’en suis bien rendue compte, euh, plusieurs fois. Je dis : tiens... Ben je les laisse s’exprimer c’est tout et puis au bout d’un petit moment, y a plus personne qui parle alors ils attendent et puis... Ou alors je leur tends la main comme ça (fait le geste) d’un air de dire : “ je te laisse la parole ”, comme les adultes le font dans une réunion : “ je te laisse la parole, à toi, à toi ”. Mais sans, sans ouvrir la bouche moi-même. Je les laisse parler. Et puis y en a un qui parle et l’autre l’écoute volontiers et y a plus ce brouhaha complet. Enfin, c’est peut-être un peu fouillis ce que je vous dis, mais c’est des idées qui m’arrivent comme ça et puis je, je suis un peu... c’est pas évident, je sais pas trop. Bon c’est des expériences que je vis comme ça. Pour vous dire un peu aussi ... Je crois que c’est un peu pour vous dire ce qui, ce qui me fait un peu, brasser les tripes quoi. Je veux dire, ce qui fait un peu sortir des choses en moi, en moi qui me plaisent quoi, oui, dans ce métier. C’est vrai qu’il y a des jours, ben on est tous pareils quoi, des jours (soupir) qui : vivement 11 heures ½, on est fatigué, voilà. Là, ce que je peux dire, c’est un métier qui est vraiment formidable, mais quand même faut, il faut aimer les enfants ça c’est une chose mais je dis : il faut être bien disponible, il faut pas avoir 1000 soucis à côté, non Dans sa vie personnelle, il faut pas avoir des, des, des grosses choses qui nous enfin pour moi parce que je l’ai vécu, donc je dis ce que moi j’ai ressenti. J’ai eu 3 ou 4 années de ma vie qui ont été terribles. Et bien euh, c’est 3 ou 4 années où j’ai pas bien travaillé. J’étais pas bien dans ma classe, j’étais pas bien. Et puis le jour où, je me suis ressortie hein, où j’ai ressorti la tête de l’eau, et ben j’ai vu qu’à l’école je recommençais à être bien, euh, à apprécier, à vouloir faire des tas de choses avec les enfants, à me relancer dans des, des activités un peu plus, un peu plus difficiles, un peu plus longues, un peu plus fournies. Et donc ça, c’est vrai que, il faut reconnaître ce travail, que ce soit en élémentaire ou en maternelle. Il faut se donner beaucoup, mais à partir du moment où on est quand même serein. Voilà. Je sais pas si ... mais il me semble que quand même c’est quelque chose qui revient souvent ça. Les collègues le disent souvent. Une espèce de sérénité et c’est vrai que bon ben euh, on est plus apte à, à ... Par exemple, les enfants, bon malgré tout, tout petits il y a certains moments où ils vont faire beaucoup de bruit, ils vont beaucoup euh user un peu nos cordes nerveuses et autres. Et bien, si nous on est serein à côté finalement ça passe quoi, hein ça passe. C’est sûr qu’il faut pas prendre à coeur tout ce qui nous entoure hein ! Euh, voilà, moi je sais pas que vous dire encore.

• Vous avez eu, je sais pas, des choses très positives avec certains enfants particuliers ou très négatives ?

• Euh (soupir). Très négatives non mais positives oui disons... Les enfants, par exemple, j’ai un souvenir d’un enfant qui est encore scolarisé chez nous d’ailleurs, qui est arrivé le jour des portes ouvertes, au mois de juin qui précédait la rentrée, donc 2 mois avant, un enfant qu’arrivait complètement, euh (soupir) qui cassait tout, qui a tout jeté en une heure de temps, je me suis dit : “ mais qu’est-ce qui va se passer ? ” Vraiment... J’essaie de les cerner ce matin-là mais je dis : tiens, on voit un petit peu les tendances, des enfants plus calmes, des enfants plus réservés, d’autres au contraire moins exhubérants. Puis cet enfant-là qui criait énormément. Et puis toute l’année une petite section s’est passée comme ça (soupir) c’était l’horreur quoi. Je, je, je commençais à vraiment me poser des tas de questions. Et puis bon il s’est avéré qu’avec la maman on en a parlé et elle a eu un suivi médical, il s’est avéré qu’on a trouvé la source du problème, et du jour où on a pris enfin, où j’ai pris cet enfant en main c’est-à-dire que je l’ai vu différemment. En fait, c’est ça. Où... Parce qu’en fait il arrivait un moment où on, il nous sortait un peu par les oreilles de partout. Et le jour où j’ai compris que c’était quand même un peu malgré lui, qu’il était comme ça, je l’ai vu d’un autre oeil et on a travaillé autrement. J’ai travaillé autrement avec lui donc tous les deux ensemble on a travaillé un peu autrement. Et puis cette année il se trouve que je l’ai encore l’après midi parce que j’ai un groupe de moyens l’après midi et le matin ils sont dans l’autre classe, et c’est un enfant qui a changé du tout au tout. Et son euh, son comportement a changé, il est devenu souriant, il ne crie plus, il ne casse plus, il ne jette plus, il a complètement évolué et c’est vrai que les rapports du coup en ont été vraiment transformés. Mais je crois que les choses ont changé à partir du jour où on a su que cet enfant c’était pas tout, c’était pas que nerveux, c’était pas que physique, c’était qu’il avait un problème un peu plus d’origine euh, à suivre au niveau médical. Et euh, donc l’intérêt d’avoir écouté l’enfant, d’avoir recherché. Parce que bon, dans mon expérience, je peux dire que, des gamins turbulents, j’en ai eu je peux dire je sais pas combien. Est-ce qu’à une certaine époque je me suis posé la question, de me dire : “ est-ce que cet enfant-là, il aurait peut-être peutêtre quelque chose, un problème ? ”, que là, je me suis posé la question. J’en ai parlé à la maman, on a été un peu plus loin. Donc bon euh y a peut -être aussi ça, par exemple une expérience de dire : à un moment donné on est plus, on a plus (davantage)de réflexion par rapport à des choses, moi je crois aussi.

• Et c’est vous qui avez incité la maman à voir le médecin

• Oui. Tout-à-fait. Oui, oui. D’ailleurs elle s’y est vraiment prêtée tout de suite et d’autant plus que les enfants de petite section ils sont vus par aucun médecin scolaire. Donc on est vraiment livrés à nous-mêmes. Alors, après moi je trouve que, on a notre expérience, on a notre bon sens pour nous. Et puis le fait qu’on est, qu’on est peut-être aussi maman soi-même, et qu’on se pose des questions sur l’enfant qui est en face de nous et dire : “ bon, ben il est en difficulté. En fait si c’était mon enfant qu’est ce que je ferai ? J’irai chez le médecin, je me poserai, j’irai voir, voir plus loin, je me poserai des questions, voir une autre personne, avoir un autre avis. Tandis que moi seule, bon, j’ai pas toutes les... je détiens pas toutes les cordes non plus hein ! ” Donc c’était aussi le fait de me dire : “ je suis, je suis toute seule ”. Euh, le médecin scolaire, ben malheureusement il peut pas grand chose pour moi, je lui avais téléphoné, bon je voyais bien que ça pouvait pas bien jouer. Et bien, j’ai pris les choses un peu en main. Et puis en fait ben bon je, je regrette pas parce que je le referai si un autre cas devait se reproduire. Bon, je pense que quelque part on a un peu sauvé aussi, on a un peu sauvé les choses, oui. C’est un gamin qu’on aurait peut-être mis un jour en perf ou je ne sais où, parce que on disait : “ c’est un gamin ultra pénible ”, et puis, voilà c’est le mot, insupportable. Et en fait, ben, du coup il a eu des prises en charge, il a actuellement, il a actuellement encore des prises en charge et il a évolué, et la maman, euh, la maman a dû aussi se reprendre en main elle-même parce qu’elle a dû aussi euh, accepter que l’enfant ait des difficultés, alors qu’elle croyait aussi que c’était un insupportable.

• C’est un soutien psychologique en fait dont il avait besoin, et la mère aussi ?

• Oui. Euh, énormément. Et bon, il fait aussi un petit peu de psychomotricité mais la psycho est là. Donc finalement on se dit que peut-être, le fait d’avoir cette expérience-là, ça nous aide. Parce que, peut-être que je vous dis que si j’avais débuté à ce moment-là, ben j’aurais pas osé, j’aurais pas su, j’aurais... Je pense quand même, oui. C’est vrai qu’au bout de 20 ans d’ancienneté, euh je ne me sens pas une vieille mais je me sens euh, avec une bonne assise, de me dire, je crois que jusqu’à présent je peux pas dire l’avenir mais jusqu’à présent j’ai bien pu gérer toutes les situations qui se sont présentées. Bon, d’autant plus qu’encore là j’ai la direction en plus, mais je trouve que c’est ça qui est bien, se dire : “ on a quand même une bonne assise, on arrive à gérer les choses, on arrive à s’en sortir ”. Bon il y a eu une ou 2 fois des conflits entre 2 mamans par rapport à un enfant. Y avait 2 enfants qui se chamaillaient, euh les mamans se sont un peu pris à partie et... on a réglé ça tout à fait, de façon sympathique et ça s’est très bien passé. Mais c’est sûr que bon, faut un petit peu, tempo, tempérer les choses. Peut-être mon tempérament qui joue aussi. Je suis pas spécialement une, je suis pas trop directive, je suis pas trop... Oui ça c’est sûr que chacun, que chacun son truc hein, moi, je suis peut-être un petit peu trop gentille mais bon dans ce genre de cas je trouve que ça apporte un... Pas la peine de prendre les gens trop de haut... Il me semble que, bon, on peut régler des situations sans, sans être trop trop directive, sans trop rouspéter.

• Vous n’avez donc pas eu de problème particulier avec les parents ?

• C’est une expérience qui est toute récente et qui finalement me réjouit. Y a , y a 3 ans en arrière, 2 ou 3 ans je pourrais plus dire je crois que c’est 3 ans, j’ai eu un petit élève dont la maman euh, enfin disons qu’il y avait encore des liens très forts, parce que bon moi, faut dire que j’ai vraiment les petits, donc c’est dur, y a des enfants qui n’ont pas coupé le cordon et qui le coupent vraiment même en mai, et quelques fois c’est pas fait. Alors, donc j’ai cet enfant qui venait en classe à 9 heures moins ¼ , 9 heures moins 10, 9 heures alors que moi je commençais mon travail, j’avais vraiment besoin de démarrer. Elle restait dans la classe, je lui ai dit plusieurs fois : “ madame, vraiment j’ai besoin de commencer à travailler, il faut que vous partiez ”. Je lui ai dit plusieurs fois gentiment, bon. Et puis je sentais que ça passait pas du tout. Et puis en fait elle énervait son fils, elle l’énervait, voilà. Alors ça, c’est pareil, ça commençait à me mettre un petit peu hors de moi. Et puis bon, ben je patientais je patientais, les jours passaient, bon la dame continuait. Et puis un matin où je devais être moins disposée je suppose, euh j’ai vraiment, comme on dit, pété les plombs. Et je lui ai dit euh, euh : “ écoutez, ça va pas, moi maintenant je travaille, vous restez, vous restez, vous vous débrouillez, je ne m’occupe plus de vous, je ne m’occupe plus de l’enfant ” et tout. Elle a dit : “ Ah ben puisque c’est comme ça, j’enlève l’enfant ”. Elle a pris les chaussons. “ Et puis j’écrirai à l’inspecteur, vous êtes une affreuse maîtresse, j’écrirai à l’inspecteur, vous êtes absolument odieuse ”. Bon ben moi c’est vrai que ça m’a quand même choquée parce qu’on n’avait jamais, on ne m’avait jamais fait ce genre de menaces, et puis écrire à l’inspecteur enfin quand même moi, au fond de moi ça me fait quelque chose quand on me dit ça. Parce que j’ai quand même une certaine valeur par rapport à l’inspecteur. Et puis en fait, elle a jamais écrit à l’inspecteur mais bon. Et puis je l’ai revue plusieurs fois dans des magasins, elle filait tout droit comme un i, elle me parlait plus, j’ai dit : bon, il faut que je me rende à l’évidence, elle me parle plus, point on n’en parle plus. Et puis, y a une dizaine de jours, elle a sonné à la porte, elle est rentrée dans ma classe. Enfin mon aide-maternelle m’a dit : “ cette dame veut te voir ”. Moi j’étais déjà tout affolée : “ Bonjour madame ! Des grands sourires, est-ce que vous me reconnaissez ? ” Je lui ai dit : “ oui, bien sûr.Ecoutez euh, je viens vous soumettre un problème. J’ai la fille de ma femme de ménage qui a des ennuis de santé, elle aimerait bien pouvoir scolariser l’enfant chez vous. Est-ce que ce serait possible ? Malheureusement elle n’habite pas B., est-ce que vous accepteriez de la prendre et tout et tout ”. Je lui ai dit : “ Mais madame il n’y a aucun problème. Mais vraiment c’est merveilleux, vous êtes formidable ”. Elle n’arrêtait pas de me redire des gentilles choses et tout, avec un sourire que je n’avais jamais vu comme ça. Et puis elle me dit : “ vous savez je viens d’avoir un autre enfant ”. Je lui dis : “ oui je l’ai appris par la mairie , par les journaux de la mairie enfn je sais qu’il y a un enfant qu’est né chez vous. ” Elle me dit : “ mais vous savez, je le mettrai à l’école ici. Je le mettrai à l’école ici, vraiment je tiens à ce qu’il vienne à l’école, je tiens à ce qu’il vienne à l’école ici, et donc euh ... ” (inaudible). Donc en fait, pour en finir cette dame, euh, alors qu’il s’est jamais rien passé de plus, elle a dû réaliser que peut-être euh, est-ce qu’elle-même ... Elle avait mal réagi, que ... Bon moi, je pense que je me suis emportée, enfin c’est certain, je le cache pas, enfin tant et si bien que finalement bon... Ça c’est par exemple le genre de choses qui fait quand même plaisir de se dire... Parce que moi quand je vois qu’un enfant part, quitte l’école, que le parent a décidé de quitter l’école, moi ça me blesse. Bon je devrais peut-être pas hein, en fait je suis une instit publique mais quand même ça me blesse.

• Il est allé où ?

• Elle l’a mis en Suisse. C’est-à-dire qu’ils avaient double nationalité, y en a beaucoup ici des gens qui ont la double nationalité. Alors elle l’a mis en Suisse et puis en fait elle me dit : “ vous savez euh, je regrette vraiment de l’avoir mis en Suisse ”. D’ailleurs il est en CE1, comme ma fille, et il y va, il va certainenement faire sa rentrée, il revient ici, c’est pas moi qui le dis. Donc en fait, je me suis dis : “ Bon quelque part j’ai pas dû l’agresser tant et tant ,ou alors elle a vraiment remis ses pendules à l’heure ”. Mais non je peux pas me plaindre. Et pourtant j’ai connu d’autres écoles, j’ai pas fait énormément d’écoles hein, la 1ère école où je suis restée, je suis restée 10 ans. J’ai eu une directrice formidable qui m’a beaucoup aidée, beaucoup appris. Après je suis restée 2 ans, c’était l’horreur, alors là je peux vous en parler, l’horreur. Et donc ensuite, je suis arrivée ici, donc j’en suis à ma 8ème année, en tout quoi ça fait une vingtaine d’années. Euh 10, 2 et 8, voilà, c’est ça. Et quand je suis arrivée ici, euh j’ai commencé à avoir les moyens les grands. Après donc on m’a dit que y allait avoir une école neuve, y allait y avoir une construction et on m’a proposé de passer l’agrément de direction. Ça m’intéressait parce que bon, mon expérience de 2 ans précédente a quand même été très dure. (soupir). Je sais pas si on en parle mais euh, une directrice un peu tyranique quoi. Ben c’est ça qui est terrible quoi. Enfin si ça fait partie un peu du sujet ? Alors bon, moi je suis directrice maintenant, mais ça c’est pareil, c’est une question que je me pose. Je me dis : “ pourquoi du jour au lendemain on arrive directrice ?, pourquoi est-ce qu’on doit virer sa cutie ? ” C’est-à-dire on nous a mis l’étiquette sur la tête, c’est bien, moi aussi hein je l’ai, je la porte, faut qu’on porte le chapeau. Certains, certains moments on a la responsabilité mais est-ce qu’on doit changer notre façon de vivre et notre façon d’être ? Et moi j’ai remarqué, euh ici et ailleurs, à partir du moment où on est devenu directeur, ben on a changé, on n’est plus les mêmes, on devient un chef. Chef, c’est le mot. Et puis bon, ben moi c’est vrai que, malgré tout ça me, ça m’a pas été. Surtout dans cette école-là, parce que bon, y a des collègues avec qui je remarque qu’ils ont un petit peu changé mais ça m’atteint pas trop parce qu’ils sont pas directement euh, ils travaillent pas directement avec nous. Non puisque maintenant j(e’n)ai plus de directeur au-dessus de moi. Mais là où j’étais, bon pendant ces 2 années... Ben je suis arrivée dans une école où euh y avait une directrice, et elle le faisait savoir. On n’avait aucun droit, l’instit n’avait aucun droit, qu’un seul droit c’était de faire la classe et puis de se taire. Interdit de passer un coup de fil dans le bureau, même si c’était d’ordre professionnel : j’avais une petite fille qui avait d’énormes ennuis de santé et la maman venait de perdre un enfant donc elle s’inquiétait pour la petite et tout... J’ai une directrice qui était terrible, qui mettait euh les enfants tout nus sur les lits, pour leur montrer que c’était elle la chef et qu’on n’avait pas à lui tenir tête. Enfin je me, j’ai des souvenirs de m’être cachée dans les toilettes plus d’une fois pour pleurer alors que j’avais quand même 32 ans et que, malheureusement j’ai pas été la seule à vivre ça. Euh, (soupir), ça me fait du bien de vider un peu tout ça, c’est une espèce de psychothérapie, absolument. Mais euh, les ASEM le vivaient mal, euh les instits qui ont défilé dans cette école l’ont mal vécu et puis bon. Elle est en retraite maintenant mais y a quand même un, je sais pas, c’est c’est, y a un reste dans cette école de de, pas de tyramie mais quelque chose qui est resté quand même. Les collègues de cette époque sont toujours là et je trouve que bon

• C’était ici ?

• Non c’était pas ici. Enfin c’était dans le secteur je veux dire mais pas dans ce village, mais je veux pas trop détailler parce que je veux pas que... Mais à un moment donné, je me suis demandé euh, si j’aurais pas dû euh, téléphoner à la DASS ou ...

• Pour les enfants ?.

• Oui. Oui, parce que je trouve que ça, c’est inadmissible. Moi, les enfants, même si je pense qu’un enfant y a certainement des moments où, on, c’est vrai des moments on a , où on est un peu fatigué, on les supporte un peu moins, mais quand même un enfant c’est un être humain hein, on n’a pas à faire ça, on le ferait pas à un adulte ; donc je vois pas pourquoi on fait ça à un enfant. Et malheureusement, moi je peux dire qu’il y a des instits, et ben, ils feraient bien d’aller faire un autre métier. Je suis pas là pour dénigrer mais je pense quand même que ce métier-là il faut le faire quand on aime les enfants. Faut pas commencer à ou alors à dire : “ tiens ça c’est un enfant de prof, ou un enfant de bijoutier, de je ne sais quoi, et puis ça c’est un enfant d’arabe, alors y a tout de suite 2 poids, 2 mesures hein ”. Et moi je suis une institutrice de tout le monde, des pauvres comme des riches, des malheureux comme des heureux. Et puis je trouve qu’au contraire on peut aider ceux qui en ont besoin euh sans que... Bon ben à la limite il me semble que, on a une mission, on nous l’a apprise hein, notre travail, la pédagogie, tout, tout, tout. Mais y a aussi une mission humaine il me semble, hein ! Moi je, je suis assez branchée au niveau humain, hein. Ce niveau parce que je pense que, quand les relations humaines sont bonnes, on peut faire passer des tas de messages, et que y a des tas de choses qui passent, même au niveau pédagogique, à tous niveaux. Euh, moi depuis que j’ai ma propre équipe hein je peux dire que j’ai mon équipe puisqu’on est 4 ici, 2 ASEM, on est 2 instits, ben ça roule hein ! Ça se passe bien, y a pas plus de chefs, on est tous pareils. S’il y a un petit coup de main à donner euh pour un nettoyage euh, bon je le fais volontiers. Euh si je suis appelée au téléphone pendant 20 minutes, mon ASEM elle va prendre en main la classe et, heureusement, parce que, quand je reviens, au moins j’ai pas le bazar. Donc je trouve que l’équipe, c’est à nous aussi de la, de faire en sorte qu’elle tourne bien. Parce que, si on n’y met pas tous un petit peu du sien, je trouve que... hein, ça capote (rire). Bon voilà, je... C’est une expérience que, que j’ai mal vécue. C’est vrai que c’est ce qui m’a donné aussi envie de, d’être directrice moi-même, de me dire : “ c’est pas pour me faire mousser ”, c’est de dire : “ et ben maintenant au moins j’en n’aurai pas une au-dessus de ma tête qui va m’embêter ”. Et puis euh, moi, c’était pas ma façon de faire, de mettre coucher les gamins pour les punir non ! Non, c’est pas ma façon de faire. Je pense qu’on peut, ça m’arrive de gronder des enfants, même les petits, ils comprennent pourquoi je les ai grondés. Mais c’est pas euh des sévices, je suis pas d’accord. Alors je me pose aussi des questions, je me dis : “ pourquoi on accuse maintenant des instits de sévices ou corporels ou autres ? ” Je crois que la question, il faut que l’on se la pose. Peut-être que dans votre recherche vous pouvez vous la poser ?

• C’est une des raisons

• Et bon ben voilà. Moi la semaine prochaine, je pars pour mon 2ème stage sur l’enfance maltraitée. C’est quelque chose qui me, qui m’intéresse et euh je le fais savoir. J’ai fait un mot aux parents en leur disant : “ je vais en stage sur la maltraitance, sur les enfants maltraités ”. Je le fais savoir de façon à ce que les parents ou d’autres personnes soient bien au courant que nous, on est euh, on est avertis, on est un public averti, on reste pas insensible à un enfant à qui il manque des cheveux sur la tête. Et puis quand on nous dit : “ Oh, il est tombé, il s’est accroché.... ” La maltraitance, et bien, elle est pas forcément qu’au niveau des parents. Finalement on se rend compte que, dans ce métier, y a des gens qui sont pas bien à leur place. Ou alors pourquoi justement quand on dit que le pompier a envie lui-même d’allumer des feux, bon est-ce que, je sais pas, est-ce que l’instit a de temps en temps envie, est un peu sadique, est un peu ? Quelque part, oui. Ça doit être vrai ça. Enfin bon moi c’est, c’est un morceau de, un vécu mais je peux vous dire que, que, il m’a marquée. Il m’a vraiment marquée parce que quand c’est avec des collègues de travail, c’est quand même dur à vivre hein ! C’est dur à vivre. Mais ça, c’est une chose que je, heureusement que je connais plus et que je vis pas du tout ici. Et puis en fait, je trouve que les enfants, souvent on dit : “ vous avez de la chance vous êtes dans une petite école, on trouve que les enfants sont calmes que les enfants sont, que ça se passe bien, vous vous entendez bien avec les parents ”. C’est vrai que le fait que ce soit une petite école ça aide, mais y a aussi comment euh, comment on est avec dans ces, dans ce contexte, comment on est avec les parents, comment on est avec les enfants. Et puis en fait ça fait un tout, un tout. Ça s’enchaîne bien. Euh, j’ai eu une autre de mes collègues, que d’ailleurs j’aime bien, qu’est très gentille. Mais elle, elle est partie du principe qu’elle arrivait dans une école, qu’elle ne connaissait pas, elle arrivait en ne voulant, en ne voulant être liée avec personne, ni d’amitié, ni quelque chose qui pourrait en être approchant. Très très dure en disant : moi, je donc il se trouve qu’elle arrive comme directrice dans une école je suis directrice euh... Je lui dis : “ mais je sais pas, les parents tu leur fais pas un petit pot euh en fin d’année ou un petit quelque chose ? Ah non non non, moi, les parents c’est comme ci, comme ça ”. Je dis : “ mais bon, de temps en temps, les parents on en a besoin pour les sorties, pour les animations ou pour quelque chose on apprécie euh leur compagnie ! Quand même on apprécie leur participation. Ah oui, moi je veux pas, non non, c’est exclu ”. Alors bon, à partir de disons quand on a choisi cette option-là c’est sûr que, on sait où on va, on sait que, on n’aura pas, ben on n’aura pas le répondant forcément au niveau amical. Bon je sais pas, moi je trouve que, euh moi je demande 5 parents pour m’accompagner à la sortie, j’ai 15 accompagnateurs, je sais plus quoi en faire : moi je veux y aller, je veux y aller, je veux y aller. Bon, ben, quelque part ça fait, ça fait plaisir même si c’est pas que pour moi. Heureusement c’est pour la sortie en elle-même, mais c’est aussi, je dis, la façon, un peu comment on gère les choses. Moi je dis qu’à certains moments, c’est vrai que j’ai ce côté un peu, un peu gentil, un peu bon coeur, ça m’a peut-être joué des tours, mais dans l’ensemble ça sert de façon quand même positive. Voilà.

• Quels ont été vos modèles ou quelles sont les personnes qui vous ont influencée ?

• Ben pour le choix de la profession, moi je dirai que, j’ai pas tellement eu le choix. Euh, j’avais 14 ans euh, les parents m’ont dit, euh, les parents étaient agriculteurs donc c’était la, la destinée de tous les fils et filles d’agriculteurs qui marchaient bien à l’école, hein donc on nous faisait présenter le concours. Mais une fois que j’ai vraiment fait ce métier, je crois que la 1ère personne qui m’a, une fois sortie de l’école normale oui, la 1ère personne qui m’a aidée moi je peux dire que c’était ma directrice et ça a été un peu un modèle parce que, elle encore pas trop, mais c’était la maîtresse des petits. Et je peux dire que j’oublierai jamais cette maîtresse-là. Encore maintenant, je je la revois travailler avec ses petits et justement je crois que je suis devenue comme elle. J’ai connu cette maîtresse, elle avait peut -être 35 ans enfin ou quelque chose à peu près comme moi j’ai maintenant, et c’était une maîtresse qui avait que des petits. Et elle, je la voyais pas avec une autre classe, c’était vraiment la maîtresse des petits. Et elle savait bien les prendre, elle leur parlait gentiment, elle en plus, elle savait fabriquer des marionnettes, alors ça j’ai toujours admiré parce que moi je savais pas faire, en pâte à bois et tout. Et ça, c’est vrai que ça a été un modèle pour moi, et même encore maintenant, il m’arrive encore souvent de penser à elle. Parce que moi, à l’époque, j’avais des grands donc je les voyais différents... D’abord ils étaient beaucoup plus dégrossis, on donnait une consigne, ça marchait toujours, que les tout petits c’était une autre façon d’approcher, avec une autre façon de donner les consignes. Fallait vraiment prendre un autre détour, un autre chemin. Et euh je voyais comment elle faisait, alors quand moi j’en n’avais pas tellement besoin disons, enfin y avait certaines choses dont j’avais pas besoin. Et euh, tout ça, ça m’est resté. Et quand j’ai commencé à avoir les tout petits, je peux vous dire que ça a été, que ça a pas été évident, et c’est là que ça m’est revenu. C’est vraiment la toute 1ère personne qui m’a, qui m’a frappée et que, en fait que j’ai beaucoup euh, comment dire que j’ai beaucoup copiée, c’est même pas copiée, c’était dans sa façon de vivre, dans sa façon d’être, c’était dans son tout, quoi. C’était pas euh...

• C’était la personne

• Voilà, c’était la personne. Parce qu’elle avait une, une assise avec les enfants et c’est ce que j’aimais, et je crois quelque part je me retrouve, je me retrouve en elle. Oui, oui, c’est ça. Vraiment. Même si je sais pas faire les marionnettes ou des choses comme ça. Parce que j’ai certaines règles de, de travail qui sont dans la même lignée et ... non bien ou pas bien mais je, il y a des choses que je reconnais en elle. C’est vraiment la toute 1ère personne. La directrice était très gentille mais euh, au niveau pédagogique c’était un petit peu différent quoi. C’est vraiment surtout l’autre que j’ai, que j’ai beaucoup eu comme modèle. Et quand j’ai quitté cette école, j’ai toujours regretté. D’ailleurs je sais pas si c’est un signe mais euh, il m’est arrivé, même encore maintenant il m’arrive souvent de rêver à ces personnes, à cette école. Et là on vient d’avoir le mouvement qu’est paru, et bien j’ai vu que mon ancienne directrice avait dû prendre sa retraite, j’ai quand même regardé ce qui s’était passé là-bas alors que c’est loin, c’est loin d’ici. Mais bon, dans mon coeur quelque part c’est, c’est resté quoi. Et puis après euh, j’ai eu d’autres, vraiment de modèles. Ce qu’il y a c’est bon, je pense que j’ai été une instit assez docile et euh j’ai beaucoup mis en application ce qu’on m’a dit de faire hein. En fait voilà. Mais après, j’ai pu le faire un peu quand même avec mon, avec ma sensibilité parce qu’il y avait des choses, (soupir), c’était un peu dirigiste C’était la conseillère pédagogique, elle venait, elle me chamboulait toute ma classe : faut faire comme ci, faut faire comme ça, c’était trop dur pour moi au début. J’ai eu vraiment de la peine à me mettre dans ce métier ; c’est vrai que ça a été dur. Et puis euh, elle est venue pendant presque une année la conseillère pédagogique, et puis elle me brassait tout le temps tout ce que je faisais. Et puis bon petit à petit j’ai commencé à voir un peu ce qui me convenait et puis bon, il a fallu quand même des années, ça s’est pas fait en 8 jours. Mais bon, je voyais après, au fur et à mesure de de de l’évolution de la carrière, et puis y a quand même les inspections. Moi je trouve que certains moments euh j’ai besoin que, que l’inspecteur passe, parce que je me pose toujours des questions. Même maintenant, j’ai toujours l’impression de me dire, (soupir) j’ai souvent des nouvelles directives euh, parce qu’il y a des pavés comme ça à lire, le projet d’école. Vraiment, je me suis remise en question ces 5 dermières années. Alors vraiment, tu fais bien, tu fais mal, mais qu’est-ce que, qu’est-ce que tu fais ? Je me posais cette question sans arrêt. Ça (ne) va plus euh, j’ai l’impression que t’es complètement à côté de la plaque, que tu (ne) fais plus ce qu’on te dit de faire. Les directives arrivent ; bon est-ce que vraiment je suis encore dans le vrai ? Je me suis vraiment remise en question, mais terriblement. Et puis bon, heureusement je sentais que l’inspection allait bientôt arriver, j’avais besoin de, qu’on me dise : “ oui, vous êtes dans le, vous êtes dans le le bon chemin, ça va. Et au contraire plus que rassurée ”. Quand l’inspecteur dit à mon aide-maternelle : “ j’espère qu’elle est rassurée, j’en suis même pas sûr ”. Il me dit : “ ça va, vous êtes bien, tout va bien ”. Oui, mais moi je me pose des questions. Parce que on nous a mis là, depuis 5-6 ans oui, on nous a lancé des tas de choses sur la tête euh. C’est vrai que maintenant il faut travailler avec un projet d’école, il faut, alors on se dit : “ est-ce qu’avant on n’a rien fait ? Pendant toutes ces années est-ce que vraiment on n’a rien fait ? ” On nous a donné des programmes. Alors ça, par contre ça m’a, j’ai trouvé que c’était bien de dire en maternelle : enfin on a une trame, on a quelque chose qui va nous, qui va nous aider parce que bon, à l’école élémentaire ça me paraissait beaucoup plus facile, ils avaient déjà les programmes bien établis, que nous on était dans une espèce de flou artistique. Et puis euh, bon quelque part l’école maternelle, par certaines personnes, c’est pas toujours, c’est un peu dénigré, c’est pas toujours bien vu. C’est : est-ce que c’est une garderie, est-ce que c’est une espèce de, une espèce d’école mais quand même encore une espèce de crèche, bon. Alors que moi, ça je m’en suis toujours défendue, j’ai toujours bien expliqué aux parents le rôle pédagogique des choses, mais c’est vrai que quand on, quand toutes ces choses arrivaient, moi je savais plus, je savais plus. D’ailleurs, j’ai un peu perdu la foi, hein ! Et bon, maintenant je la retrouve. Peut-être que j’ai repris un peu le dessus, je me sens peut-être un petit peu plus forte aussi. Bon ; puis ça a correspondu aussi à une période de ma vie où j’ai été euh mal, dans ma vie personnelle et ça m’a, ça m’a aidée à m’enfoncer quoi, ça m’a pas... En fait, oui ça m’a pas soutenue, ça m’a pas soutenue, j’ai senti que j’étais pas épaulée au niveau du travail donc ; mais qu’est-ce que devient ce métier ? Moi je me suis sentie complètement à l’abandon hein. Et, alors quand je voyais les collègues, je disais : “ mais il faut que vous me disiez, est-ce que c’est moi, y a un problème ça va plus là ”. Mais tout le monde avait cette même réaction. Donc j’ai vraiment ressenti qu’il y avait un, un malaise-là, un malaise vraiment important par rapport à ces nouvelles directives qui nous tombaient dessus, que moi j’ai le sentiment de me dire : “ ça fait 15 ans que tu fais ce métier. Euh est-ce que t’es encore dans le bon, dans le bon chemin ? oui tu te remets en question ”. Oui, en fait c’était même plus qu’une remise en question, c’est que j’avais l’impression que je (ne) savais plus faire. Voilà. Et puis d’autant plus qu’on n’a plus d’animation spécifique pour nous. Euh bon, moi j’ai nagé vraiment dans, nagé dans les eaux profondes sans bouée, sans rien. Et voilà quoi. C’est vrai que là, là c’est une grosse question que je me suis posée. Maintenant bon, je crois que j’ai, j’ai digéré un peu toutes ces revues tous ces, ces livres qui nous sont arrivés, où on a fallu vraiment rentrer dedans euh, où on nous a vraiment bourré le crâne je peux dire, c’est ça hein ! Et je crois que bon, il me semble que maintenant je, ça va mieux. Mais, vraiment là, j’ai passé des années un peu difficiles.

• Vous parliez que vous receviez des stagiaires ?

• Oui alors ça, c’est pas à ma demande hein ! (soupir) Ça c’est pareil. On vous écrit en vous disant (soupir), je sais plus pourquoi j’ai été choisie, bon, parmi, y a d’autres personnes qui reçoivent aussi des stagiaires. Alors bon, ben j’en ai été malade pendant 15 jours hein, j’en n’ai pas dormi pendant 15 jours, voilà moi je suis comme ça. Quand j’ai reçu le courrier. Et puis après, ben je me suis dit :  “ bon ben ma fille, tu vas te prendre en main, ça va t’enlever un peu la poussière que t’as dessus là. Ça fait 20 ans que tu fais ça, ben voilà au contraire ça va t’apporter quelque chose ”. Donc, ça s’est vraiment très très bien passé, vraiment super. Deux, deux jeunes filles de l’IUFM qui n’avaient donc jamais enseigné, et y avait une partie où elles me regardaient travailler et une partie où elles devaient prendre la classe. Et puis ces 2 jeunes filles ont dit euh : “ nous on a des copines, la maîtresse elle veut pas leur donner les élèves, elle veut pas parce que, elle dit que ça va pas et tout ”. Et ben moi je leur ai dit : “ au contraire, je veux vous donner les élèves parce que, d’une part, moi j’ai envie d’avoir un certain recul par rapport à ma classe, ce que je n’ai jamais eu, et qui m’a fait aussi découvrir les enfants autrement. Parce que, quand on est acteur, et ben on ne voit pas les enfants du tout de la même façon ”. Et ça, ça m’a fait aussi découvrir des choses. Les 2 jeunes filles donc, après elles me voyaient travailler, bon ben finalement je me suis lancée, parce que c’est pas évident d’avoir des spectateurs dans une classe, surtout adultes quoi. Et puis finalement, ça s’est bien passé. Et au moment où elles prenaient la classe bon c’est sûr que ça a cafouillé un certain moment et tout. Et puis je leur ai dit : “ si vous sentez que vous avez besoin que je reprenne la classe en mains je le ferai mais sinon vous, vous essaierez de vous débrouiller hein ? ” Et puis on verra bien. Alors elles ont essayé. Bon ben ça a fait ce que ça a fait, plus ou moins bien certains jours mais j’ai bien, j’ai bien aimé. Parce que d’une part c’est des jeunes filles, et puis d’abord elles étaient vraiment formidables, elles avaient d’abord un très bon contact, et au niveau relationnel, on en revient là, on a même fêté nos anniversaires en classe ensemble. Il se trouvait qu’il y en a une des 2 qui a fêté l’anniversaire comme moi, le même jour. Donc bon, déjà au niveau relationnel ça passait ce qui est important pour moi, ça c’est important et puis en plus elles ont, elles avaient envie, de travailler, elles avaient envie de, de d’apprendre : tant pis on se casse la figure, on repart. Et elles préparaient des tas de choses pour le lendemain. Je voyais qu’il y avait des choses qui étaient ou trop longues ou peut-être que ça passerait pas, mais tant pis je les ai toujours laissé tenter parce que je trouvais qu’elles avaient la foi, qu’elles avaient envie. Ce que moi j’ai connu y a, au début on a une frite, on a envie de faire des tas de choses et ça, ça me faisait plaisir de voir ces, ces deux jeunes. Et puis euh, au fur et à mesure de ces ça a duré une dizaine de jours ça a été toujours un peu mieux et puis moi avec ma phase de recul, et ben j’ai pu observer : y avait un ou deux petits coquins là, que j’avais dans les coins, je voyais un peu comment ils agissaient, et puis comment ils agissaient avec une autre personne. En tant que moi, et puis moi en tant que spectatrice à côté, quoi. Ça, c’est vrai que ça a été une bonne expérience. Et puis cette année, finalement, euh, j’avais moi-même fait une demande pour avoir des stagiaires. Alors voyez, l’an dernier ça m’avait vraiment rendue malade. Et puis bon, on m’a écrit que euh, ma demande était en attente, et puis finalement y avait plus suffisamment, y avait suffisamment de classes qui pouvaient recevoir, bon point à la ligne. Mais euh, j’ai, j’ai bien aimé parce que je trouve que, il faut pas qu’on reste, euh en arrière. Je trouve qu’on est déjà assez en arrière comme ça : on n’a pas d’ordinateur. Moi je vois : mes enfants ils sont plus doués que moi sur l’informatique bon. Je suis dépassée déjà depuis longtemps, bon hein. Donc je je dis que je trouve que je suis déjà dépassée pour des choses, donc j’aimerai être quand même toujours dans le coup. Et puis ça, c’est une façon aussi de se dire dans sa tête qu’on ne vieillit pas trop encore. Peut-être aussi ça, quoi. Mais euh, j’ai pas envie d’être top dépassée par les jeunes qui arrivent, parce que j’ai envie d’être, euh, que les parents disent pas : “ tiens, c’est une vieille instit, on fait que des trucs réto ” alors que bon j’ai envie d’être encore dans le coup quoi. Voilà. Donc, c’est aussi une façon de, je prends sur moi, j’ai ... oui, oui j’ai pris sur moi, je m’inscris à des stages alors que, au niveau organisation pratique, c’est pas évident : je vais courir à A. une semaine, bon, faut s’organiser. Mais euh, je, y a quelque chose qui me pousse, à le faire. Et puis c’est un stage pour ça, l’année prochaine, ça peut être pour autre chose. Je trouve qu’il faut euh professionnellement toujours, se tenir à, face à ce qui est là, quoi, les choses qui arrivent. Les collègues nouvelles elles, elles ont pas l’expérience que moi j’ai, mais par contre elles ont des tas de choses à nous dire, à nous apprendre. C’est ce qui est bien. C’est que finalement, je trouve qu’on peut très bien, dans une équipe se compléter entre l’expérience des unes, et puis euh, l’expérience des jeunes qui est pas la même et qui apporte un sang neuf, aussi euh, peut-être une autre façon aussi d’aborder les choses. Et je pense que c’est pas du tout incompatible, on peut y arriver. Mais il faut qu’on accepte nous-mêmes de, de faire ce, ce choix, d’aller de l’avant hein ! Donc, voilà, sur ce point.

• Et qu’est-ce que vous avez pensé de votre formation à l’école normale ?

• Alors là, j’étais encore en équipe ( ?) à A., 2 ans à A. En moi vraiment un souvenir flash, je dirais : 2 ans où on a fait la foire. Bon. C’est pas bien de dire ça mais quand même, moi c’était euh, j’avais 16 ans quand je suis rentrée là, 16 à 18. C’était un peu mon émancipation, j’étais très vissée à la maison. Donc, je me suis retrouvée à A. dans ce centre où on logeait euh, toutes les filles ensemble. Euh, y avait pour moi ce restaurant, la cantine de l’école qui était quelque chose d’extraordinaire ; j’avais jamais mangé... C’était incroyable mais les souvenirs que... donc on mangeait très bien pour moi, c’est vrai que c’est des choses qui m’ont marquée puisque je sortais d’un milieu familial quand même un peu différent. Et puis euh, bon. Dans les profs, je m’en rappelle. Le prof d’anglais, c’était un gars il était complètement euh, dans un autre monde, je sais pas moi qui voulais être prof d’anglais en plus. A cette époque je voulais être prof d’anglais, il m’a dégoûtée à tout jamais de l’anglais. Parce que je me rappelle qu’on nous ... faisait la foire ( ?), on chahutait donc y avait bien une raison à ça. Parce que moi j’étais quand même une élève assez, assez ,quand même calme. Mais c’est vrai que c’était l’année, les 2 années où on a quand même beaucoup, beaucoup chahuté, on a quand même fait pas mal d’âneries. Mais sinon, bon ben euh, j’ai appris mon métier mais en fait, (soupir) je ... dire que ça m’a servi pour plus tard : j’en sais rien. Par exemple, j’avais jamais vu ce que c’était qu’une maternelle, ou alors une demi-journée à l’école d’application. Et puis euh, je me suis, non je me suis retrouvée au pied du mur alors moi, c’est clair : j’ai fait 10 ans de maternelle, mon Dieu, mon Dieu, mais qu’est-ce qui me tombe dessus

• Vous aviez qui comme profs ?

• (soupir) De toutes façon, les noms maintenant ! Je me rappelle même plus des noms des profs. Je revois un peu les têtes mais... Si, y avait un jeune qu’essayait de tout révolutionner en philo, puis y en avait un autre aussi qui était très, très moderne, dans son look, un jeune. Y avait 2 jeunes, puis y en avait un vieux qui était complètement... Enfin bon, moi j’ai pas un souvenir cuisant, enfin si vraiment on me pose la question de me dire : est-ce que vraiment ça vous a servi ? Oui on m’a appris des choses, on m’a appris Freinet, on m’a appris

• Ah bon ?

• Oui on nous en a parlé mais euh

• Ah bon, parce que moi..., G. peut-être vous en a parlé ?

• Oui, et puis il y avait un jeune prof qui était plus branché sur les méthodes modernes. Non mais euh ... Oui, toutes les choses de psy, Freud et autres, tout ça bon on a, bon y a des choses qui me sont un peu restées mais comment dire ? Est-ce que vraiment, y a des choses que j’ai vraiment utilisées après (soupir) ? Non je peux pas, je peux pas vraiment dire. Moi, tout ce que j’ai comme souvenir du début de ma carrière, c’est que la, la, la conseillère pédagogique venait tous les 10 jours pour me chambouler ma classe et j’(e n’)étais plus à ressortir mes dossiers d’école normale, non non, j’étais dans un autre bain en fait, dans un autre monde après. Alors est-ce que ça a changé depuis ? Je sais pas. Alors faudrait voir, recouper avec toutes les personnes. Mais bon moi, c’est sûr que, et puis peut être un âge où on prenait des gens très jeunes à cette époque. Peut-être que ceux qui vont à l’école normale maintenant, enfin à l’IUFM, sont des gens plus mûrs. J’étais quand même toute jeunette. C’est peut-être aussi la raison qui fait qu’on était un peu ...

• Vous êtes rentrée à 16 ans ?

• J’avais un an d’avance moi.

• A 17 alors ?

• On passe le bac à quel âge ?

• 18

• Euh, oui, parce que moi je suis sortie, de toutes façons c’est clair, je suis sortie l’année de mes 18 ans, je venais de passer mon permis en mai et je suis sortie en juin.

• Vous aviez 2 ans d’avance ?

• Non, je suis rentrée au CP à 5 ans. On m’a jamais fait redoubler (rire). J’ai toujours regretté d’ailleurs. Si au moins... Oui, j’avais 2 ans...Enfin voilà quoi.