Deuxième entretien

  • Je n’ai pas eu un parcours tout à fait, comment dire, commun parce que, moi, je suis né en Algérie, d’une famille d’enseignants et ... en 62 on est parti, d’Algérie. Et mes parents ont demandé la Polynésie française parce que ma mère n’avait jamais vécu en France. Et on est parti en Polynésie française, donc. Je suis arrivé à 4 ans là-bas, j’ai grandi là-bas et je suis rentré en France j’avais 15 ans en gros. 15 ans, 15ans, dans les 15 ans. Donc je suis arrivé au lycée en France et puis, et puis je me suis très bien adapté. Euh, sauf peut-être au niveau scolaire. Bon, j’avais quand même des habitudes ... assez ... tropicales (rire) et bon, et deux secondes C. La 2ème , mes parents m’ont fait passer le concours de l’école normale parce qu’après ils voulaient que je continue pour être prof. Et puis après je suis passé en 1ère A. J’étais bon en français hein, j’étais bon en lettres, mais toutes les matières scientifiques, à part les sciences naturelles parce que j’aimais bien ; enfin bref, mes profs de scientifique étaient très contents de me voir passer en A. Et puis après j’ai attendu le bac et puis je suis rentré à l’école. Donc, c’est ... comment dire, bon mes parents étaient pas ravis parce que ils voulaient, ils voyaient mieux pour moi que instit. Mais moi, j’avais vu ce que j’avais fait à mes profs donc, je me voyais très bien instit. Et puis j’ai toujours bien aimé les petits, donc je ne me voyais pas du tout enseigner à des grands. Des mauvais souvenirs quand j’étais gamin, j’en ai pas tellement parce que vivre à Tahiti c’est quand même pas mal. Euh bon, j’ai fait les mêmes bêtises que les autres, et puis je pense que j’ai eu les mêmes parents que les autres : des moments ils sont sympas, et puis des moments, ils sont chiants (affirmé). Comme moi je suis avec mes gamins je pense. Et puis bon, Tahiti, c’est un, une façon de vivre qui me convenait tout à fait. Après je voulais, c’est au niveau du choix du métier, moi j’ai passé le concours d’entrée à l’école normale pour faire plaisir à mes parents. Mais je me voyais plus (davantage) dans la cuisine. Mais bon, ça m’a tout de suite plus après, l’enseignement, donc y a pas eu de problème. Santé : toujours en bonne santé. Je vais pas vous raconter grand chose là-dessus, c’est euh. Non, j’ai que des bons souvenirs d’enfance, on vivait à côté de la mer.

  • Et dans les bons ?

  • Dans les bons ?

  • Oui, puisque vous me dites : j’ai que des bons souvenirs ?

  • Ben, dans les bons, c’est une enfance privilégiée. On allait à l’école à vélo, on sortait en vélo, on était complètement libre. C’était une petite île de 7 km de long ; donc on se baignait tous les jours entre midi et deux, à 4 heures, on faisait de la voile, c’était le club Med. quoi ! J’avais plein de copains tahitiens et européens euh, c’était vraiment dans les bons oui.

  • Et avec les copains, c’était vous qui dirigiez ?

  • Diriger, non. J’aimais bien animer des choses mais diriger euh non. Ben c’est-à-dire, on a grandi ensemble de 4 ans à 15 ans. Ça s’est très peu renouvelé, à part un ou deux qui arrivaient de métropole ou qui repartaient, y en a qui restaient moins longtemps, et puis les Tahitiens c’étaient toujours les mêmes aussi. Donc y avait pas de, c’était très démocratique comme fonctionnement. De toutes façons, celui qui emmerdait les autres il dégageait. Il y avait pas de moyen d’emmerder parce qu’il y avait pas d’échappatoire, on vivait ensemble ou alors on se faisait la guerre quoi, donc c’était très bien, c’était très bien. J’ai fait plein de choses que mes camarades feront jamais quoi, la façon de vivre, on vivait vraiment en pleine nature quoi. Au début y avait pas de voiture, y avait pas de, tout le monde était en vélo, c’était, c’était, euh comme un petit paradis quoi. Mais je me suis très bien adapté à la vie en France. Tout de suite. J’ai eu des bons copains aussi. De toutes façons je me suis toujours fait des copains partout, donc je n’ai pas eu de problèmes. Voilà , dans les bons c’était ça quoi. C’était toujours la même chose mais euh, mais euh c’était tellement agréable qu’on s’en lassait pas quoi. Et de temps en temps, tous les trois ans, on partait en France pour les vacances. Et puis, voilà.

  • Et vous n’étiez qu’avec vos parents ? Vous n’aviez pas de frère, pas de

  • Si, j’avais une petite soeur quand je suis arrivé et un petit frère qu’avait 9 ans de moins que moi. Mais bon ça a jamais été le, le.. Je veux dire : mon frère et ma soeur, on s’entendait bien, on n’a jamais été très proche, on a grandi chacun de notre côté. Ma soeur elle avait 2 ans de moins que moi mais elle avait ses copains et ses copines et moi, mon petit frère il avait 9 ans de moins, c’est euh. Donc on a jamais été proche et, bon on s’est jamais battu, on n’a jamais été. Et encore maintenant, moi je suis là, ma soeur est à A., mon frère est à C., on se téléphone tous les 3 mois et encore, c’est pour les anniversaires ou des choses comme ça (rire). Donc, nous, on avait une famille assez, personne mangeait à la même heure tout le monde avait plein d’activités à faire. Mes parents étaient profs de gym et ils animaient tout ce qui était activités sportives dans l’île donc, pareil, ils étaient pas souvent à la maison. Alors on n’est pas une famille très très soudée. Voilà, y a pas de problèmes majeurs, mais moi, j’ai appris à pas avoir, pas réllement avoir besoin de mes parents. Bon, ils m’ont élevé, très bien d’ailleurs mais, dès que j’ai pu je suis parti, j’ai quitté la maison. C’était : “ quand tu seras grand tu feras ce que tu voudras ”. Je suis parti une 1ère fois en vacances, tout seul, avec les sous que j’avais gagné à ma 1ère colo. Après, je suis rentré à l’E.N. et puis euh j’ai immédiatement pris un studio à B., c’était bien plus agréable. Donc euh oh oui, pas de souvenirs de famille ... En plus, quand je repense à mon enfance, c’est des souvenirs avec les copains, mais pas avec la famille. C’était très bien hein ! C’est grâce à eux que j’ai vécu tout ce que j’ai vécu, mais je les ai pas vécus avec eux, je les ai vécus avec mes copains. Donc euh. Et puis en plus on a eu la chance de ne pas faire de grosses bêtises, et puis de vivre à une époque où c’était pas dangereux de vivre, c’était bien. Y avait pas d’histoire de drogue, y avait pas d’histoire de sida. C’était vraiment une autre époque que maintenant hein ! Pour les gamins parce que, mon aîné il a 16 ans et ça fait peur pour eux parce qu’ils ont moins de chances que nous quoi. Donc j’ai eu vraiment aucun ... problème particulier, j’ai fugué 3 jours, comme beaucoup je pense mais bon mes parents savaient où j’étais (rire). Alors bon, ils sont pas venus me chercher, ils ont attendu que je revienne je devais avoir 12 ans. Et puis ...

  • Et pourquoi vous aviez fugué ?

  • Ah ça, c’est tout bête. C’est intéressant, vous croyez ?

  • Oui

  • Je sais très bien. Parce que ma mère était prof, donc. Elle était prof de gym là-bas, mais avant elle avait été prof de français et d’histoire-géo, elle était PEGC donc. Et puis elle mettait beaucoup le nez dans mes devoirs, et puis j’avais un exposé à faire en géographie et, comme elle trouvait qu’il n’était pas terrible, elle m’a beaucoup aidé pour le faire, et puis j’ai eu 9/20 à cet exposé. Alors je suis arrivé dans la cour du, du collège-lycée parce que là-bas c’était tout mélangé. Et puis je lui dis : “ maman elle était avec ses collègues dans la cour j’ai eu 9/20 à l’exposé que tu m’as fait ”. Donc elle m’a retourné deux baffes et je suis parti. J’avais trouvé ça très injuste mais c’est tout. Donc euh, euh puis au bout de 3 jours, ben j’avais épuisé tout ce que j’avais à faire, donc je suis rentré à la maison. C’était ... Bon c’est tout, c’était pas bien compliqué. J’aurais peut-être pu éviter d’aller lui dire ça mais enfin, après tout c’est de sa faute. Qu’elle assume aussi (rire). Hein, bon de toutes façons on pouvait pas faire de conneries au lycée parce que, comme tout le monde se connaissait, tout le monde se fréquentait, le moindre petit ...

  • On était repéré.

  • Ah ben tout de suite hein. C’était, ils se voyaient. Mes parents, ils fréquentaient les profs tous les jours au boulot donc, mais c’était bien. C’était bien parce que justement y avait pas les problèmes qu’il y a maintenant. Moi j’ai entendu parler de drogue en France pour la 1ère fois à la télé. Ça n’existait pas, ou alors si ça existait c’était tellement marginal que, euh, on n’était pas au courant. Donc... Après en France pareil, on a reconstitué une bande de copains, on avait un local de la 2ème à la terminale. On n’a pas fait de bêtises non plus, enfin de bêtises sinon des conneries en mobylette, mais j’ai jamais vu une trace de drogue alors que je pense que maintenant ce doit être beaucoup plus courant. Ben voilà. En général j’ai beaucoup plus de bons souvenirs que de mauvais, et c’est souvent avec les copains.

  • Et la famille ?

  • Les vacances en famille, j’en ai refait après avec mes parents. J’ai eu des gamins, je suis allé les rejoindre sur leur lieu de vacances, mais ça a jamais dépassé 2 jours, parce qu’après ça se gâte tout de suite alors, on n’a pas les mêmes ... pas la même façon de vivre, donc ... ben il vaut mieux faire chacun comme on veut. Comme on veut hein ! De toute façon la famille, on l’a pas choisie (rire). Alors voilà, quoi. Il faut respecter tout le monde. Voilà.

  • Et vous n’aviez pas de relations avec les grands parents ou autres ?

  • Ben j’ai pas connu mes grands-pères. Ils sont décédés, soit à ma naissance, soit quand j’étais tout petit. Ma grand-mère maternelle, euh, elle vivait donc en Savoie et nous à Tahiti, donc on la voyait tous les 3 ans et puis elle est décédée aussi un jour, je devais pas être bien vieux. Puis ma grand-mère, non ma grand-mère paternelle. Ma grand-mère maternelle, elle vit toujours mais ça fait des années qu’elle veut plus voir personne parce que, elle se trouve trop malade pour être vue, trop moche pour être vue, donc elle voit juste ses filles c’est tout. Alors on la voit plus. On lui téléphone juste de temps en temps mais... C’est vrai moi j’ai grandi comme, je suis rentré en France j’avais 15 ans, je suis resté très loin de toute la famille donc, donc euh, j’ai, j’ai pas eu l’habitude d’aller voir mes grands-mères, mes oncles, mes tantes régulièrement. Donc j’ai gardé cette habitude. Je savais qu’ils existaient mais c’était à 18000 km donc ... c’était assez ... Et puis les Tahitiens étaient des gens très fatalistes alors, on grandit, on vit avec eux, on finit par penser comme eux. Donc, à l’époque, pour moi ça ne représentait aucun, aucun souci surtout que là bas, des grands-mères, des tantes, ça tout le monde.  Tahiti, et l’histoire des Tahitiens à Chamonix ... Euh, en ayant vécu 11 ans là-bas, euh, c’est vrai que, ça se comprend parce que là-bas ils prêtent les gamins à élever quasiment quoi. Les gamins ,ils sont élevés en collectivité. Voilà, y en a une qu’a pas d’enfant, l’autre elle en a trop, ben elle lui élève son gamin. Et puis voilà. Et puis après ben, il retourne chez lui, donc euh, c’est ... La famille, c’est très large là-bas à Tahiti, hein. Donc voilà, j’ai pas eu de drame majeur

  • C’est pas obligatoire

  • Non mais des fois il y a des choses, des événements importants. Non moi, on a toujours été tous, en bonne santé, la famille, moi aussi. Et puis, on était sportif puisque mes parents étaient profs de gym. Et puis... et puis les conditions s’y prêtaient quoi. La mer, la montagne là-bas c’était... Bon, ben voilà, privilégié, quoi. Plus que comme fonctionnaire hein !

  • Privilégié par le lieu de vie, surtout

  • Voilà, les conditions, le climat. Moi, j’ai vu la neige la 1ère fois, j’avais 15 ans. Oui 15 ans, puisqu’on revenait l’été en France.

  • Et en Algérie, vous ne vous souvenez pas ?

  • J’ai des images, une plage, un jardin.

  • Parce que vous étiez où ?

  • A Alger, Bab El Oued. Et puis, mais je sais pas si c’était euh, si c’est on m’a raconté après ou, des explosions parce qu’on a été plastiqué deux fois, mais ça je l’ai su après, donc je sais pas si c’est, si je m’en souviens réellement ou si c’est parce qu’on me l’a raconté après. Oui, bon, un jardin public, une plage, un truc comme ça. Non l’Algérie, non vraiment c’est, c’est un, non moi ça commence à Tahiti en fait. Ça commence à Tahiti. Avant ? Peu mais bon, j’étais pas très très grand non plus, donc... C’était euh voilà.

  • Et à l’école y a jamais eu, ça s’est toujours bien passé ?

  • Ben oui, à Tahiti j’ai été dans les meilleurs élèves, puisqu’au début j’étais l’un des rares Européens. Mes parents, ils sont arrivés aux débuts du lycée, donc y avait pas beaucoup d’élèves européens. Moi j’ai grandi au milieu des petits Tahitiens, ce qui était bien agréable.

  • Mais en primaire avant ?

  • En primaire. Oh ben en primaire... Je suis arrivé à 4 ans, moi à Tahiti, donc j’ai fait le primaire à Tahiti. J’ai quand même été chez les frères une année, y avait pas d’école publique encore. Puis après, y a eu une école publique donc, j’y ai, j’y suis allé et donc, j’étais donc dans une école publique avec des instits venus de France au début, parce que y avait pas encore d’instits tahitiens. Après ils ont commencé à former leurs instits, mais moi j’ai surtout eu des, des instits de métropole. Ben ils étaient très exigeants avec nous. Parce que d’abord c’était les collègues de mes parents, et parce qu’ils pensaient que, quand même un environnement qui était plus propice. C’est vrai que les autres gamins, souvent ils venaient de districts reculés, ça parlait que tahitien chez eux, et donc il fallait quasiment qu’ils apprennent le français en même temps. Mais c’était très agréable. Et puis après, ben j’ai été, j’ai été très brillant jusqu’en 6ème. Puis après on m’a traité de fumiste jusqu’au bac. Parce qu’ils disaient que je devrai faire beaucoup mieux que ce que je faisais donc. Ça m’a toujours suivi mais enfin bon j’ai jamais eu de problèmes particuliers.

  • Et ça ne vous a pas posé de problème d’être traité de fumiste ?

  • J’ai jamais réellement compris pourquoi, puis je pensais pas que, euh, non ça m’a jamais ... J’avais l’impression que je travaillais et puis euh et puis je voyais pas pourquoi j’aurais travaillé plus puique j’avais de bons résultats avec ça, donc ...

  • Vous n’avez pas eu un sentiment d’injustice ?

  • Oui, mais pas, pas, pas très poussé parce que j’avais pas non plus l’impression de passer mon temps à bosser. Donc mais je comprenais, j’avais de bonnes notes avec ce que je faisais donc je voyais pas pourquoi il fallait que j’en fasse plus. Voilà. Mais non, un sentiment d’injustice, pas vraiment. J’aurais pu, j’aurais pu travailler beaucoup plus mais j’en avais pas besoin donc euh, j’avais un an d’avance en plus, donc je me disais : “ j’ai le temps, faut pas non plus ”. Donc c’est en rentrant en France que mes parents m’ont fait redoubler ma seconde C pour s’acclimater euh, et puis je me suis très bien acclimaté, donc j’ai continué sur la même lancée avec les mêmes réflexions. Bon les notes sont devenues moins brillantes après, mais bon en plus j’avais le concours de l’école normale en poche, et puis j’avais pas l’intention de, ben je voulais entrer à l’E.N. Puisque je pouvais pas être cuisinier (rire), c’était instit. Et puis j’ai jamais regretté d’ailleurs. Ça me convient tout-à-fait. Non, un sentiment d’injustice, non.

  • Parce que fumiste, on peut dire : effectivement j’en ai fait le moins possible. Ou bien j’ai fait ce qu’il fallait faire, y a pas de raison ?

  • Oui, oui, oui. Mais euh, je savais que j’aurai pu en faire plus. C’était pas complètement injustifié. Je comprenais mais j’avais pas l’intention d’en faire plus parce que ça me réussissait tout-à-fait. Donc euh, non. Et puis j’avais tellement d’autres choses à faire. Je pouvais passer mon temps à faire du boulot en plus à la maison (rire) et le soleil tout le temps. Alors je faisais mes devoirs, je faisais mon boulot et puis voilà. De toute façon, j’avais de meilleures notes que les autres. Donc j’allais pas m’emmerder. En plus, j’allais pas en plus les écraser (insiste), sinon j’aurais plus eu de copains. Faut pas trop en faire (rire). Alors voilà.

  • Et en France, c’était pareil ?

  • Alors la France c’était un petit peu différent parce que je, oui, mais là, par contre, j (e n)’avais plus les notes euh, euh, euh, comment dire, brillantes. C’était moyen mais bon, je passais, je suis allé jusqu’au bac. Je l’ai eu d’une manière moyenne oui, mais je l’ai eu. Je savais que je l’aurai et je l’ai eu euh donc. J’avais d’excellentes matières, en anglais j’étais excellent, en histoire-gégraphie j’étais très bon, en français j’étais même plus que bon et puis y avait toutes les matières scientifiques ... Là ! (rire) Evidemment j’ai jamais compris qu’on ... Faire de la physique, moi ça me dépasse. C’est vraiment euh, je suis totalement euh ...

  • Hermétique ?

  • Hermétique oui, à ce genre de plaisirs. Je préférais écrire des, des textes. Bon y en faut pour tout le monde hein !

  • Mais c’est bien aussi en techno que vous

  • Ah oui, oui, en techno oui, j’ai du mal, je me force à faire de la techno. Ça part du même principe hein ! J’aime pas. Ça va bien que c’est au niveau primaire. C’est comme pour les maths. Parce que l’aîné au lycée, je peux pas l’aider hein ! Ça me dépasse complètement. Au niveau primaire ça va. Mais après ça se gâte. En techno ... la techno, c’est pas ma tasse de thé, j’aime mieux la biologie, des choses comme ça.

  • En fait l’essentiel pour vous c’était les copains ?

  • Oui, c’était les copains. Les copains, et ce qu’on pouvait faire avec les copains. Donc euh, et puis en plus comme j’étais l’aîné, moi j’ai essuyé les plâtres. Donc, ma soeur et mon frère ont eu le droit de faire plein de choses que j’ai jamais pu faire. Alors moi, il y a toujours fallu que je me batte (insiste) pour obtenir le droit de sortie, d’aller dans des boums là, de partir dormir chez des copains. Ah ben c’est le rôle des aînés, ça se passe pareil chez nous d’ailleurs hein. Les suivants font des choses que l’aîné ... on a toujours plus peur pour les aînés donc ... Après on voit que ça s’est passé correctement donc... Oui, c’était les copains. Mais bon j’avais des heures de, j’étais ... C’était assez strict à la maison, donc euh, j’étais pas tout le temps dehors hein ! Mais c’est vrai qu’à Tahiti, même mes parents avaient une manière de vivre beaucoup plus détendue que, qu’en Europe hein !

  • Et vous avez senti le différence dans l’éducation quand vous êtes rentré en France ?

  • Ah oui. Parce que ma mère, elle n’avait jamais, elle carrément n’avait jamais vécu en France. Donc elle a pas, particulièrement bien, elle est quand même plus vieille que moi donc, moins adaptable, moins, plus, donc elle était beaucoup moins détendue qu’à Tahiti. Donc euh, on était très surveillé et puis ça devenait sérieux, y avait le bac qui approchait. Donc, comme ils sont tous les deux enseignants, ils sont très à cheval là-dessus. Alors, oui, oui, là, là c’était, j’avais des horaires très stricts, je sortais beaucoup moins qu’à Tahiti. Mais bon, y avait toujours mes copains et dès que je pouvais ... On avait monté une équipe de foot, donc avant que le bulletin arrive ça allait à peu près. Bon, le jour où le bulletin arrivait, pendant quelques jours on sortait beaucoup moins. Voilà.

  • Et puis après vous repreniez les bonnes habitudes ?

  • Ça, ça, c’est ... Je vois bien comme ... C’est pareil quand on prend des sanctions avec un de nos gamins, ça dure ce que ça dure et puis après, on relâche, on relâche la bride aussi hein ! Je pense que, on peut pas toujours être rigide. Donc euh. Non mais non, la famille c’est pas le, c’est pas le, le grand truc, quoi ! Ce soir j’ai appelé mon père, 22 h 20, pour lui souhaiter sa fête (rire). J’avais oublié avant. Mais bon il a l’habitude. C’est pareil. Mon frère aussi, lui il l’a carrément appelé ce matin. Donc euh. Il y a jamais eu de grandes fêtes familiales à la maison. Y en aurait plus maintenant avec la famille de P. On se réunit beaucoup plus souvent qu’avec ma famille. Que ce soit pour Noël, pour les anniversaires, on n’a jamais rien fait de spécial chez nous, chez nous quand j’étais gamin hein ! On marquait le coup et puis c’était tout. Mais moi, ça me dérangeait pas, j’étais habitué comme ça, ça m’a jamais manqué. De toute façon ça me dérangeait pas, j’étais avec les copains. Et c’était bien (rire). Voilà. Sinon je crois que c’est à peu près tout. On aurait pu rester à Tahiti parce que mes parents, ils ont obtenu le contrat définitif pour services rendus à Jeunesse et Sports parce qu’ils ont monté tous les clubs de sport de l’île là-bas. Et puis ils ont voulu rentrer en France pour nous, pour qu’on fasse des études. Parce que là-bas je pouvais faire qu’instit comme métier, et ils voulaient pas que je sois qu’instit, et ma frangine et moi on est instit, les deux... J’admets qu’ils ont dû être assez déçus (très articulé puis rire) mais ...

  • Et pourquoi vous aviez envie d’être cuisinier ?

  • Parce que j’ai toujours adoré cuisiner.

  • Y avait des gens dans votre famille qui cuisinaient ?

  • La famille de mon père, ils sont tous dans l’hôtellerie, la famille de ma mère ils sont tous dans l’enseignement. Mon père c’est le seul qu’a, qu’a trahi. C’est en rigolant que je dis ça. Donc ça m’a toujours plu et puis à 10 ans...

  • Vos parents faisaient de la cuisine

  • Ah non, non, non. Ma mère c’est biftecks grillés et haricots verts, c’est. Elle fait rien de, si le couscous, parce qu’elle est pied noir. Non, non chez nous la cuisine c’était pas une institution. On mangeait déjà pas souvent tous ensemble. Quand on mangeait c’était très rapide. Moi j’ai toujours aimé cuisiner et manger. Donc j’aimais bien aller manger chez mes copains qu’avaient leurs mères qui cuisinaient. Et puis je me suis mis très vite à cuisiner, comme ça je faisais ce que je voulais.

  • Et vous cuisiniez à la manière tahitienne ?

  • Là-bas, les deux. Puisque bon, ben, la manière tahitienne, c’est pas très compliqué hein, c’est. Enfin, si, le four tahitien c’est très compliqué parce qu’on creusait la terre donc. Mais sinon la manière tahitienne c’est cuisiner ce qu’ils trouvent sur place. Donc, c’est le poisson, poisson grillé, du riz, des choses comme ça, oui moi je cuisinais comme eux. Et puis après, en France j’ai appris à cuisiner comme ici. Et puis j’aimais bien aller chez ma tante, passer quelques jours pour donner un coup de main. Ah non, chez moi manger ça a jamais été un truc.

  • Et votre tante, elle cuisinait ?

  • Alors, ma tante, j’en avais une à M. qui tenait un restaurant qui s’appelait, qui s’appelle toujours Le vieux M. et une autre tante qui était à, en Savoie à St G. au dessus dans un restaurant qui s’appelle La C., qui existe toujours aussi, qui a été repris par son fils maintenant. Donc j’aimais bien aller dans les deux endroits.

  • Mais ils faisaient de la cuisine savoyarde ?

  • Ah là, c’était la cuisine savoyarde. Poissons du lac, la cuisine typique savoyarde. Tout, tous les gratins, beaucoup de poissons, les fondues, les machins, les tartes. Poulet sauté chasseur, c’est la 1ère chose que j’ai appris à faire (rire) quand j’étais gamin. Mais chez nous, non, c’était vraiment pas le ... Mon 1ier réveillon de Noël potable, je l’ai fait chez ma copine. Ses parents m’avaient invité(rire). Mon père, il savait même pas ouvrir les huîtres. Donc, non, non, c’était vraiment pas une famille de gastronomes de mon côté. Alors voilà.

  • Et là, vous cuisinez ?

  • Ah oui, je cuisine, ma femme aussi d’ailleurs, mais pas ensemble parce que ça fait pas, on n’a pas les mêmes façons de cuisiner, mais oui je cuisine surtout qu’elle est souvent dehors avec son métier donc. Et puis ,on a souvent du monde à la maison donc je cuisine beaucoup. Et puis j’aime bien, et puis j’ai le temps avec ce métier. Quand j’ai fini mon boulot, je cuisine. Là, avec ces putains de livrets scolaires, j’ai moins le temps de m’y mettre (rire). ... La vie des Tahitiens, prendre un poisson pour le soir et puis faire cuire du riz et puis pouvoir aller pêcher, repêcher dans la nuit pour le lendemain, et puis c’est tout. Ça leur suffit aux Tahitiens. Donc, ce qu’ils gagnent ils le dépensent dans le mois de Juillet parce que les fêtes du 14 juillet, ça durait un mois. Ils ont jamais su pourquoi c’était, mais ils faisaient la bringue durant tout le mois. Et puis voilà ils se mettent, justement c’est une façon de vivre que j’aimais bien parce que, c’était euh, pas l’insouciance mais euh, c’était ne pas se faire du souci pour rien. A la limite je suis sûr que maintenant je m’en fais beaucoup plus qu’avant parce que je me suis mis à vivre à l’européenne. Mais quand je suis rentré en France je marchais pieds nus. D’abord, j’avais pas besoin de chaussures, j’avais de la corne comme ça sous les pieds, parce que j’avais jamais eu besoin de mettre des chaussures à Tahiti ; je voyais pas pourquoi j’allais m’emmerder à mettre des chaussures. Et c’était tout comme ça ! Donc, moi je disais bonjour à tout le monde quand je suis arrivée en France. Je comprenais pas que les gens, dans la rue ils me répondent pas. Et puis à Tahiti, d’abord tout le monde se connaissait et tout le monde se disait bonjour. Et puis ici, j’ai mis un moment à comprendre qu’en fait les gens qu’on connaît pas ... encore maintenant, des fois, ça continue, mais c’est une forme de vie qui m’avait bien convenu. Peut-être que je pourrai recommencer mais pas au même endroit je pense. J’ai vraiment trop de souvenirs de là-bas, je risque d’être déçu. Ou alors, ça me plairait tellement que je reviens plus jamais ici. Mais ça c’est pas possible. Là-bas, maintenant je serais un étranger. Et puis je pourrais plus être instit là-bas maintenant, ils forment leurs propres instits. Alors, comme pour l’instant, ça me plaît bien... Quand ça (ne) me plaira plus j’ouvrirai mon petit restau, il me reste juste à trouver où ... mais ça, j’ai toujours dit qu’on le ferait avec ma femme . Je pense qu’on aura encore le temps. Reste à trouver l’endroit, c’est tout.