Laurent

Premier entretien

Bon, d’abord je ne suis pas originaire de ce département. Moi, je viens du département de l’E., où donc, j’ai suivi l’Ecole normale. Alors, ce que je peux en dire c’est que l’EN, c’est un petit peu ce qui en reste à ceux qui l’ont vécu aussi par ici, c’est qu’on voit beaucoup de choses, mais quand on en sort, on est pas du tout préparé à avoir une classe, euh, quelle qu’elle soit d’ailleurs parce que ... Ma première année d’enseignement était dans un institut médico-pédagogique. Alors, sortant de l’EN sans autre formation concernant justement les problèmes de ce genre, euh, je n’ai pas tenu l’année. Moi, j’ai arrêté au mois de mars, d’ailleurs parce que j’ai eu un accident d’automobile, mais je pense que tout est lié quand il y a des problèmes de ce genre. Ensuite, j’ai fait beaucoup de CE 1-CE 2, partout dans l’E., et ça fait sept ans que je suis arrivé par ici. J’ai travaillé à V. et ici, quoi. Ici, où j’ai un CM 2 et où je me sens très très bien. C’est vraiment le niveau qui me convient le plus. Je travaille, moi, avec des CP dans le cadre des échanges de services avec les collègues, donc CPCE 1. C’est gentil, mais on demande trop à materner quelque part. Enfin je veux dire, c’est la demande de l’enfant par rapport à l’enseignant. Et il faut beaucoup materner, beaucoup perdre de temps à ce genre de choses, perte de temps entre guillements hein! je m’entends, hein !

  • C’est pas votre truc

  • Voilà, c’est pas du tout ma branche à ce niveau-là, quoi ! Maintenant, les problèmes que j’ai pu rencontrer. Y a le problème de l’IMP donc, je vous l’ai dit tout à l’heure. Je n’étais pas du tout préparé à affronter ce genre de choses. Ensuite ... bon y a les relations par rapport aux communes. Je crois que ça existe toujours, moi ça fait donc vingt-deux ans, et bien j’ai toujours les mêmes problèmes. Les gens ne comprennent pas l’intérêt de l’école. On parle de l’ouverture de l’école, mais l’ouverture de l’école c’est quoi ? Et bien c’est que tout le monde doit faire un effort pour aller vers l’extérieur, mais des fois c’est l’extérieur qui veut pas venir vers nous hein ! Je vois qu’il y a des conseillers municipaux qui ... blocage hein ... “ de mon temps c’était comme ça ”, ils ne voient aucune raison de faire un changement quelconque. Les problèmes que j’ai pu avoir c’est avec certains collègues, mais je crois que ça on y passe tous aussi. Chacun a sa propre conception de l’enseignement, chacun voit midi à sa porte comme on dit, et moi, les problèmes que j’ai pu avoir, c’est justement parce que je voulais aller dans un sens au niveau du sport ou au niveau des échanges, et d’un autre côté on disait : “ non moi je suis bien dans ma classe, j’y suis, j’y reste quoi ”. Ou du prêt de matériel ou, enfin pour s’arranger quoi. Ça a toujours été là qu’il y a eu le plus de problèmes.

  • Même à ce niveau-là, ce niveau tout “ bête ” d’échanges ?

  • Tout “ bête ”, oui, oui. Mais quand on arrive à faire des échanges de services, c’est magnifique. Ça veut dire qu’au moins on a fait un pas en avant. Mais maintenant, y a une obligation de résultat à ce niveau-là hein puisque les textes veulent qu’on fasse des échanges, du décloisonnement et autre, ce qui permet d’avancer un petit peu plus mais autrefois, y avait rien d’indiqué, les gens restaient chacun dans leur classe. Vous vous imaginez un peu, quand on était dans une école à trois ou quatre classes, il y avait le même matériel dans chaque classe, pour faire du sport alors qu’on aurait pu le passer à autre chose. C’est ce qui se fait maintenant, on essaie de vivre vraiment, de faire un groupe qui ait une cohésion. D’où le projet d’école, d’où les échanges de services, les conseils de cycle et ainsi de suite. Heureusement qu’on a ça maintenant, ça permet de faire bouger un peu certains collègues quoi ! Pas forcément les plus âgés dirais-je. C’est pas forcément les plus âgés qui sont les plus coincés au niveau du changement. Il peut y avoir... Ça dépend comme vous disiez du cursus que l’on a suivi hein, et puis du tempérament de chacun. Voilà. Qu’est-ce que je pourrais vous dire encore ?

  • Les bons souvenirs avec les enfants, ou les mauvais souvenirs ... Les bonnes expériences, ce qui vous a fait plaisir ...

  • Les bonnes expériences. Et bien quand j’étais, quand j’étais toujours dans le département de l’E., avec les CE 1-CE 2, on avait mis sur pied une kermesse au 1er Mai, qu’on avait donc appelée la kermesse du muguet. Et c’est quelque chose où y avait un investissement de tous (appuyé) les enfants de l’école, plus les parents. Et c’est quelque chose que je n’ai pas retrouvé par ici, que je n’ai retrouvé d’ailleurs dans aucune autre école, c’est ce bloc autour de l’école. Et vraiment, moi ça m’avait fait plaisir, on avait construit quelque chose, quoi. Bon, ça c’était là-bas. Ici, c’est depuis que je suis dans cette classe, on part en classe d’environnement. C’est-à-dire que c’est on appelait ça autrefois classe de découverte, on a appelé ça classe verte mais classe verte c’est classe de campagne -, moi je vais au bord de la mer. Une fois St R. sur la côte méditerranéenne, une fois l’océan Atlantique. Et ça, c’est vraiment ... c’est, c’est ce qu’il y a de plus beau au niveau de la classe. Les enfants, les enfants s’investissent dans la préparation, dans tout ce qui est pour trouver de l’argent. Donc, y a des activités à faire pour ça. Il faut mettre au point le départ, y a des tas de choses dont on va discuter avant, parce que la classe elle dure quand même entre dix et douze jours. Dix ou douze jours pour certains, qui n’ont jamais quitté leurs parents, ou alors s’ils l’ont quitté c’est pour se retrouver en famille simplement, alors que là il y a une rupture ; donc y a des problèmes sociaux, y a des problèmes affectifs, y des tas de choses, donc on discute beaucoup à ce niveau-là, et ça, ça permet de faire la classe autrement. Déjà avant de partir. En plus, sur place on fait l’école ailleurs, autrement, c’est absolument merveilleux. Moi, j’en reviens crevé, fatigué, parce que dix jours, avoir les gamins 24 heures sur 24, c’est autre chose que les avoir six heures par jour. Mais c’est merveilleux, quoi ! Moi, j’en redemande à chaque fois. Et donc je me suis investi beaucoup là-dedans, et comme je pars dans des centres de la FOL 74, et bien j’en suis arrivé à appartenir à la FOL 74, parce que je veux aller plus loin dans ce qui est proposé, dans le débat, dans la gestion des centres, dans l’appréciation qu’on peut apporter sur les centres. Voilà. Donc la classe d’environnement, c’est le top au niveau de la classe, quoi. C’est le gros morceau parce qu’on travaille beaucoup avant hein ! On travaille ... Ben, dès maintenant, on va en parler, on va mettre au point sur quoi on va travailler. Et donc jusqu’au moment du départ. Ensuite après le départ ... après le départ ! le retour : il y a toute la partie exploitation, exploitation des données, préparation d’une exposition photos, documents et autres pour les parents, pour la mairie. Encore une fois, ça permet aux enfants de travailler pour quelque chose, aux parents de voir ce qui a été fait, et de faire venir la mairie dans l’école. Parce que ça, c’est un gros problème, hein ! Aussi ! On a les gens en début d’année qui viennent nous voir : “ Bonjour ça va ”. Et puis après on les revoit plus. Je m’entends, les élus, quoi. Et eux on ne les revoit plus du tout après, donc ça permet justement de les faire venir à nouveau, de voir comment fonctionne l’école. A partir du moment où l’école s’ouvre comme ça, ça permettra après d’avoir d’autres demandes et de les obtenir quoi. Deuxième chose qui marche très très bien dans cette classe, et j’y tiens beaucoup aussi, c’est le stage de voile. Alors, on fait un stage de voile, donc à S., tous les ans en septembre-octobre, juste à la rentrée, hein ! Généralement, tout le monde fait ça en mai-juin, pour clore l’année ; ça fait une petite sortie. Bon moi, j’ai essayé de voir ça autrement. Sauf qu’au niveau de la cohésion du groupe, de la connaissance des enfants, pour eux, par rapport à un élément qui est l’élément liquide qui est complètement déstabilisant, c’est une expérience sensasionnelle. Et on obtient, on a une vue, plutôt d’ensemble, des enfants, qui est complètement différente. Et ça soude le groupe, et ça me permet, moi quelque part de m’intégrer plus facilement au groupe classe qui passe, hein, d’une classe à l’autre. Donc le groupe ... on mange ensemble à midi, ça désacralise un petit peu l’enseignant. L’enseignant, c’est pas la chose sur sa tour d’ivoire là-haut, je suis comme eux, on mange comme eux et puis c’est tout. Ce qui se fait aussi au niveau de la classe d’environnement. Là, c’est pareil, on vit ensemble, on est des êtres humains comme les autres. Donc, y a une approche qu’est complètement différente au niveau vie sociale, affective, comportementale. Les enfants sont complètement différents. Et nous aussi, parce qu’on les prend pas comme les élèves au sens strict, où voilà on a un programme, on a un certain nombre de choses à faire, vous allez en sixième donc on ouvre la boîte, on verse tout à l’intérieur et puis allez-y, allez-y, bossez. On fait ça autrement. C’est loin d’être évident parce que le côté négatif, dirais-je, de l’affaire, dans une classe de CM 2 au niveau de l’entrée en sixième, c’est la pression parentale. alors les parents : “ y a ça à voir, y a ça à voir, y a ça à voir, y a ça à voir, quand est-ce que vous avez fait ça ? ” et ainsi de suite. “ Oui, moi je travaille avec mon gamin à la maison sur tel point... ” (soupir). Ça, c’est une question assez dure. Ça, c’est le point ... Ce qui est négatif, dirais-je. Quoi que, tous les parents ne sont pas à ce niveau-là. C’est négatif dans le sens où on essaie, à un moment, de faire passer un message au niveau des enfants. Si, par exemple, je sais pas, je dis comme ça sur les fractions, si ça a été vu à la maison d’une façon différente, le gamin il sait plus où il met les pieds. Est-ce que c’est la bonne méthode à la maison ou pas ? C’est dérangeant, c’est pourquoi moi, je dis que c’est négatif moi, c’est pour ça. Je reviens à la classe d’environnement. Pour faire comprendre que la classe d’environnement c’est l’école, effectivement ailleurs et autrement, c’est-à-dire qu’on va y travailler quand même, j’ai eu du mal hein ! Ça fait quand même sept ans que je suis là, et bien au bout de sept ans, y a toujours des gens qui sont réticents disant : “ pourquoi est-ce que vous allez au bord de la mer, au bord de l’océan alors qu’on a le lac à côté ? ” Donc, déjà ils n’ont pas fait le rapport qu’il faut un éloignement, tout ce qu’on peut faire au niveau de la mer, qu’on peut pas faire au niveau d’un lac, et ainsi de suite. J’ai eu du mal à faire passer ça. Alors, aller faire comprendre qu’on va travailler des maths en allant au bord de la mer ... et bien ça fait rire ! “ Vous plaisantez, non ! C’est pour aller prendre des vacances ! Vous prenez dix jours de vacances ”. Parce qu’on nous le dit, hein : “ vous partez en vacances ”. Ça fait plaisir ! Quand on s’investit bien là-dedans, mais bon ... j’ai l’habitude et ce n’est pas tout le monde, heureusement. Heureusement, on a peut-être un pourcentage de 20 à 30% qui ont des remarques un petit peu, pas désobligeantes mais déplacées par moments, sans le faire exprès forcément, quoi ! Faut voir un peu l’environnement, on est à la campagne ! Je ne dis pas qu’on n’a à faire qu’à des imbéciles, loin de là. Non parce que, contrairement à ce qu’il y avait autrefois, du fait que ce soit une cité presque, entre guillemets, dortoir maintenant, y a des médecins, y a des gens qui viennent de la ville, qui habitent ici au calme et qui vont travailler, qui retournent sur T. ou sur A. donc ... surtout sur T. quoi. Donc, ça permet d’avoir un niveau un petit peu plus ... élevé dirais-je. C’est vrai que les... le milieu rural est, quand même, très passéiste, hein ? C’est très conservateur : “ De mon temps c’était comme ça ... ” Donc ils voient pas du tout l’utilité de faire la classe autrement, d’avoir un ordinateur en classe. Ben, c’est avec l’argent de la coopérative, c’est moi qui ai voulu faire, j’ai pas demandé l’avis de qui que ce soit, maintenant on travaille dessus... Bon, j’ai présenté tout ça aux parents à la réunion de début d’année, ça passe, y a pas de questions. Mais j’ai entendu par ailleurs vous savez les choses reviennent toujours, des “ on dit ” détournés que “ ben il ferait mieux de faire de l’orthographe et de la grammaire plutôt que de travailler sur un ordinateur ! ”. On en est là. Mais bon, je sais pas si en ville c’est plus ... C’est peut-être plus diffus, on n’arrive pas à le ressortir comme ça, alors que là, ça revient vite ! Dès qu’il y a quoi que ce soit, dès qu’il y a un pas sur le côté, c’est zzzzzzzzzz ! Ça vous revient. Je crois que c’est le milieu rural qui fait ça. On est très cloche-merle. Et les problèmes entre ceux qui habitent sur le M. et ceux qui habitent D., ceux qui habitent D. et ceux qui habitent P. En fait, c’est une seule école maintenant, mais c’était deux communes bien distinctes auparavant. Donc, y a toujours des, pas des pommes de discorde, mais des petites réflexions dans le genre : “ Vous, de toutes façons vous êtes de D., vous profitez de nous parce que D. y a pas de, y a pas d’argent qui rentre ”. La grosse zone industrielle, elle est à P., donc là y a beaucoup d’argent. Donc D. entre guillemets en profite, alors ça entretient certaines, certains mauvais sentiments de part et d’autre. Mais P. même est complètement scindé. Je sais pas si vous connaissez ? Mais y a B., c’est le petit village qui fait de la résistance quelque part. S’ils étaient ... enfin petit village ... C’est un hameau de P. hein ! Mais, s’il était commune à part entière, il se sentirait très très bien. Eux, ils sont de B., ils sont pas de P. Voyez, on en est encore à vivre ce genre de choses, je trouve, à l’entrée du 21ème siècle, il faut, faut le faire. Enfin ... Alors, pour en revenir au métier même, alors les satisfactions sont quand même le stage de voile, la classe d’environnement ça c’est au niveau vie interne à la classe satisfactions au niveau des parents parce que quand même on arrive à sortir quelque chose, et qu’ils sont pas si obtus qu’auparavant. Satisfactions, c’est aussi au niveau des collègues pour le travail d’équipe qui peut se faire maintenant. bon, c’est quand même appréciable. Satisfactions, bon, au niveau de la formation y aurait beaucoup de choses à redire. Moi, tous les stages que j’ai pu faire jusqu’ici, j’en suis revenu avec la tête bourrée de plein de choses. Et ce qui est de rediffuser ensuite dans la classe, y a pas grand chose. Je veux dire, je pense qu’il y a, y a deux niveaux complètement différents : ou on met la barre trop haut dans les IUFM, ou trop bas, ou je ne sais trop quoi, c’est complètement décalé par rapport à la vraie vie à l’école quoi. Mais bon. Moi ça, ça me, ça me satisfait pas du tout. Par contre, ce qui est satisfaisant, c’est ... Bon je fais partie d’un groupe “ ressources montagne ”. Donc là, on travaille avec des collègues d’autres écoles dans un but bien précis qui est justement : fournir des documents pour tous les collègues qui leur permettent de travailler groupe montagne groupe environnement qui leur permettent de travailler sur le lac, sur l’environnement là, comme ici du Pays, ou carrément sur les H. pour le ski de fond et autres. Donc c’est très valorisant ça. Ça permet le partage d’expériences, on travaille dans le même sens, mais on prend sur notre temps. C’est avec les collègues et aussi les CPC quoi. C’est un groupe qui est chapeauté par l’inspection obligatoirement quoi. Mais ça, c’est très valorisant. Y a une bonne ambiance, y a des gens qui sont volontaires, qui sont actifs, qui vont de l’avant, on essaie vraiment de faire quelque chose quoi. Ce qu’on trouve pas, bon au niveau de, des, des petites écoles comme ça. Ça se passe bien, mais dans les heures imparties et prévues par la loi pour travailler ensemble, pour travailler en groupe pas de problème. Mais qu’il s’agit de marcher un petit peu à côté, c’est-à-dire : “ Ah non non, moi j’ai pas le temps, moi j’ai ça à faire ”. C’est vrai qu’il y a des femmes qui ont des enfants, des gens qui ont des obligations, mais on peut toujours trouver, si on a envie de s’investir dans quelque chose on trouvera toujours le temps pour le faire quoi... Voilà.

  • Vous avez eu des stagiaires ?

  • Y a combien ? Ça fait trois ans que l’ IUFM avait demandé donc, les classes qui voulaient faire accueil pour ces gens-là. Moi j’ai dit oui dans le sens où j’estime qu’au bout de 22 ans je peux apporter des choses à des jeunes qui sortent de l’IUFM. Non qui sortent, qui sont à l’IUFM, et que ceux qui sont à l’IUFM en 2ème année, s’ils viennent dans ma classe ils peuvent aussi m’apporter quelque chose. C’est-à-dire qu’ils sont mis au courant de tout ce qui est sorties pédagogiques et autres, donc ils peuvent m’apporter et ça, c’est au niveau de l’échange quoi. Ça m’a tout de suite intéressé, et puis faut ouvrir l’école, faut ouvrir sa classe, ne pas rester dans son petit pré carré et se dire : “ Moi je suis bien là-dedans, je reste jusqu’à la retraite ”. C’est pas le genre de la maison (rire). Non, non. Je n’ai jamais été déçu. Tous ceux qui sont passés étaient très motivés et très ... très volontaires, très compétents. Bon, je sais que ma collègue directrice en a eu qui n’étaient pas du tout au même niveau, mais moi, tous ceux que j’ai eus, c’était vraiment très très bien. Ce sont des gens du coin, ils étaient très très motivés. Et ça, c’est appréciable. Et on a eu un suivi après. On se retrouve puisqu’ils habitent dans le coin, on se croise, on se retrouve, on parle de ce qu’on a fait, et ça marque quand même.

  • Y a des liens qui restent.

  • Voilà. C’est intéressant pour ça quoi. Et qui permet qu’éventuellement, s’ils arrivent dans l’école suite à un changement, ou une mutation, ou je ne sais trop quoi, ou si on se retrouve ailleurs, et bien on peut travailler plus vite ensemble, parce que ça crée des liens d’avoir ces jeunes-là. Et pour les enfants, je trouve que c’est..., surtout au CM 2, donc que ce soient les échanges de service, ou les jeunes qui viennent dans les classes comme ça, ça les oblige à travailler différemment, à ne plus être avec l’instit devant et puis eux, le groupe, à subir un petit peu, quoi que je n’aime pas ce terme-là. Mais là, on est plusieurs à travailler avec eux, y en a d’autres qui prennent ma place. Ça permet, bon déjà, de faire des observations en double puisque y a celui qui travaille, celui qu’observe, moi qui passe un petit peu partout. C’est très productif à ce niveau-là quoi. Et pour les enfants, ça les confronte à plein de gens différents, des méthodes différentes parce qu’eux sortent de l’IUFM, ils viennent de l’IUFM plutôt avec des idées bien précises sur ce qu’ils veulent faire, parce qu’on leur a inculqué, parce que, pour ceux qui viennent de fac généralement, ils ont ... on leur a appris à faire un certain nombre de choses. D’ailleurs, j’ai une collègue, qui vient d’arriver cette année, qui refait le même travail avec mes élèves alors que, maintenant, elle est en activité, que ce que m’a présenté, il y a trois ans, deux stagiaires que j’avais ici quoi. J’ai dit : “ Tiens ! J’ai déjà vu ça quelque part. ”. Donc, ils les forment dans un certain cadre ; c’est logique. De toutes façons quand on a besoin d’apprendre, on se donne des cadres et puis on reste à l’intérieur. Donc, ils proposent un certain nombre de choses et je les laisse faire. Moi je n’agis pas de la même façon, je prends dans ce qu’ils m’apportent. Et eux obligatoirement ils sont obligés de prendre parce que ce qui n’est pas appris non plus à j’allais dire à l’EN à l’IUFM, c’est : comment gérer sa classe. Mais gérer sa classe au quotidien, c’est-à-dire pas gérer sa classe au point de vue pédagogique mais gérer sa classe : je veux dire tous les papiers qui peuvent arriver, par rapport aux assurances, par rapport aux accidents qui peuvent arriver, par rapport à l’inspection, par rapport à la mairie, par rapport aux parents, comment gérer tout ça ? C’est loin d’être évident ! Y a des gens qui sont perdus, y a des jeunes : “ Où je vais ? Qu’est-ce que je fais ? ” Nous on a appris aussi sur le tas, comme ça. C’est un petit peu dommage, y a pas ça quoi. Y a pas, c’est dire qu’il y a pas de ... comment ... comment dire ? d’information qui passe suffisante.

  • Au niveau des liens avec l’extérieur ? Que ce soit l’administration, les parents et ...

  • Voilà. On parle de l’ouverture de l’école, mais il faut aussi apprendre aux jeunes à ouvrir. Ben c’est justement : comment on va faire pour ouvrir à l’extérieur ? Parce que, comme c’était marqué je ne sais plus où, j’ai lu que maintenant y a l’école et tous les autres partenaires du système éducatif qui sont donc les parents, les communautés territoriales, l’Etat. Tout ça, faut que ça marche ensemble maintenant, parce que l’école dans son petit coin telle qu’elle vivait y a 50 ans c’est fini ça, on ne peut plus, on ne peut plus, on ne peut plus. Vu tout ce dont on a besoin, mais ... c’est affolant quoi ! Donc on est obligé d’en passer par l’ouverture de la classe, de l’école. Faire venir les partenaires. Alors ça, c’est ... Parce que si on va à la mairie avec un projet bien ficelé, par exemple pour avoir des ordinateurs ou autres, ça passera pas, quel que soit l’état du projet. Ce qu’il faut c’est faire venir gentiment les gens moi c’est comme ça que je le conçois on les fait venir à l’école de temps en temps, sous quelque raison que ce soit, et puis on leur montre, et puis on les met devant les enfants en situation de travail. Qu’ils voient ce qu’ils sont en train de faire à l’ordinateur, ou ce qu’ils ont fait pour préparer la classe d’environnement. Et puis, petit à petit, ça rentre dans la tête des gens. Et puis après, quand ils en reparlent au niveau du conseil municipal, et bien ils ont de la matière pour discuter.

  • Et vous pouvez le leur rappeler ...

  • Voilà ! “ Vous êtes venus, vous avez vu comment ça fonctionne ”. Donc obligatoirement, ils vont faire le pas en avant quoi. Mais y en a beaucoup qui ont j’ai pas trop le terme mais c’est un peu ça qui ont peur de venir à l’école, qui se sentent intimidés et y a une sorte de protection : “ attention, ces enseignants-là ... je sais pas... ”

  • Ils retrouvent peut-être leurs réflexes de “ petits garçons ? ”

  • Oui, peut-être qu’il y a ça derrière. Oui, oui. Ils ont peur de revenir à l’école ! De se faire disputer, de se faire remettre en place, dire: “ Oh je vais dire une bêtise ” donc on prend ça de loin, on se fait sa sauce au niveau du conseil municipal. C’est dommage, il faut qu’il y ait interaction entre toutes les composantes du système éducatif pour pouvoir avancer. Il y a certainement des arriérés à ressortir.

  • En revenant aux enfants vous en avez des bons, vous en avez des moins bons scolairement comment ça se passe ? Est-ce qu’il y en a avec qui ça se passe mal, ou que c’est difficile ? Pas automatiquement pédagogiquement mais au niveau relationnel ou autre, est-ce qu’il y a eu des moments ... ?

  • J’ai eu des problèmes dans l’E., dans le petit village où j’étais, de cas sociaux durs, vraiment très très durs, d’enfants qui vivaient dans une cabane dans les bois, avec un père qui les battait et autre. Bon, là oui y a eu des problèmes, mais c’est pas moi qui avait des problèmes, c’est l’enfant qui était submergé par tous ses problèmes et bon, on s’attendait vers l’autisme hein, l’enfermement sur soi et puis ... Donc, ça relevait de l’IMP de toutes façons. Là, j’ai eu des problèmes. Autrement j’ai jamais eu aucun problème avec les enfants, que ce soit problème relationnel parce que tout ce qui est pédagogie, apprentissage, bon ben oui y a ceux qui ... avancent vite et ceux qui avancent moins vite. J’aime pas les bons et les moins bons. Disons que, contairement à tout ce qu’on peut dire, les enfants au départ, personne n’est sur le même pied, hein ? Parce que y a quand même un contexte socio-économique, culturel qui fait que y a le fils de docteur qui arrivera peut-être un petit peu vite, plus haut que celui dont le père travaille dans une usine où il est abruti toute la journée. Non, tout bien parlé j’ai eu qu’une fois un problème mais y a deux ans, trois ans, enfin un problème ... C’était un problème avec une jeune fille qui était, qui avait donc onze ans et qui était formée comme une jeune fille de quatorze-quinze ans. Et donc tous les garçons de la classe étaient éperdus d’admiration devant elle. Non, mais ça a posé des problèmes parce que, au point de vue apprentissage y avait plus rien quoi. Elle était ... puis elle savait jouer de ça à leur niveau, elle était complètement ... à côté quoi, donc, ça a posé énornément de problèmes. Moi, pas par rapport à elle ; déjà faut se méfier de ce genre de gamine, ensuite pour essayer de scinder, de faire qu’elle comprenne qu’il faut laisser les autres tranquilles et autre, j’étais content de la voir partir en fin d’année, je vous le garantis ! Ça, c’était un gros problème. Ça, au niveau de la formation on n’apprend pas non plus à gérer ce genre de choses. On vous apprend pas, bon y a un gamin qui est demandeur au point de vue affectif ; comment réagir par rapport à ça sans se faire, parce qu’en ce moment avec la pédophilie ça y va fort, alors comment savoir à quel moment on doit intervenir au niveau de l’enfant, ou ne pas intervenir, ou appeler les services sociaux ... A qui on s’adresse ? Ça, c’est quand même loin d’être évident. On ne nous l’apprend pas, et moi je trouve que c’est dommage. dans la formation parce que... formation à la psycho-pédagogie c’est bien gentil mais ... on pourrait peut-être en faire un petit peu moins et apprendre le vécu de l’école : qu’est-ce que c’est qu’une école aussi. Parce que c’est quand même un univers où ils sont vite perdus hein, ceux qui sortent de l’IUFM, et ils se retrouvent la 1ère année comme nous on était, de toutes façons hein ! Mais on était moi j’ai vécu ça comme ça on était pris en charge par les anciens qui étaient là pour ... Enfin, pour nous aider, pour nous orienter ... moi ça s’est passé comme ça. Maintenant je sais que c’est pas partout pareil hein ! Y a des endroits où c’est : t’es le dernier arrivé, tu prends ce qui reste, point final tais-toi. Et puis s’il n’y a pas de matériel on s’en fout hein ! Ça, c’est un petit peu dommage quoi. Enfin bon, pour en revenir au problème avec les élèves ... En plus, on n’est pas dans une, dans un endroit où on a d’énormes problèmes. Les enfants, comme la remplaçante que j’ai eue là, puisque j’étais en stage la semaine passée, elle m’a dit que les enfants étaient très très très gentils. Ils ne bougent pas. Bon, déjà parce que j’estime qu’un enfant qui vient à l’école doit avoir envie de venir à l’école. Dire comment on donne à l’enfant envie de venir à l’école, même s’il a de mauvais résultats, et bien c’est dans l’ambiance. L’ambiance qu’on crée au niveau de l’école. Alors si on est respectueux de l’enfant, qu’on l’oblige à comprendre ce que c’est que le respect, que le respect ça doit marcher dans les deux sens, moi je pense qu’on arrive à quelque chose d’intéressant. Mais si on dit à l’enfant : “ tu dois me respecter parce que je suis le maître, je suis l’autorité ” et puis qu’on le déconsidère totalement, on n’arrivera pas à grand chose. Ça marchera avec ceux qui, qui sont bien sur des rails, qui sont bien dans leur tête, bien sur des rails ; de toutes façons ça marche comme ça à la maison on continue. Mais les enfants qui ont besoin d’autre chose, qui réclament autre chose, qui sont dans leur fort intérieur, ils éclatent, ils explosent hein ! Moi, j’ai des élèves qui sont comme ça. Par l’intermédiaire de l’ambiance, en faisant beaucoup d’EPS mais quand je dis EPS, éducation physique et sportive mais l’éducation physique et sportive elle est aussi mentale hein je crois que par la relaxation, par des tas d’exercices de ce genre, on arrive à évacuer ce trop plein d’agressivité qu’il y a chez les enfants quoi, chez certains enfants. C’est pour ça, moi je suis content de la classe que j’ai parce qu’on est à la campagne, donc forcément le fond est moins agressif qu’en ville, et ici les enfants sont ... ont l’occasion ... moi ... on peut pas passer une journée sans rire, sans rire, sans que moi, moi-même, sans que je fasse le pitre devant eux. Bon, ça, ça dédramatise un petit peu la relation enseignant-élève, ça leur permet eux d’être plus à l’aise dans leurs relations par rapport à moi-même, et puis avoir une bonne ambiance en classe, quoi. Ils ont besoin de faire une réflexion, ils font la réflexion. Maintenant, après, c’est moi qui fait le tri : savoir est-ce que la réflexion est bienvenue ? Est-ce qu’ils ne dépassent pas certaines limites ? Parce que quand même faut ... Y a toujours des bornes à mettre quelque part hein ! Mais l’enfant qui s’exprime, l’enfant qui est bien dans sa peau, l’enfant viendra facilement à l’école. C’est déjà une grande partie de gagnée même s’il a du mal dans son travail scolaire. Et ça, ça vient après seulement.

  • Donc vous privilégiez la relation ?

  • Ah oui, oui, moi je suis pour, à 200% pour tout ce qui est relationnel avec l’enfant quoi. Je ne peux pas, comme quand on part en classe d’environnement ou autre, ou même quand on fait une sortie en car, m’asseoir devant et puis donner des ordres, et puis, voilà c’est tout. Moi, j’ai besoin d’aller m’asseoir avec les enfants, discuter avec eux. C’est facile de discuter avec eux, hein si on suit un petit peu tout ce qui se passe autour de soi, y a toujours des centres d’intérêt que ce soit le basket, enfin plein de choses comme ça, on arrivera toujours à les accrocher. Et puis, eux, ils aiment bien qu’on s’intéresse à eux. A partir du moment où on s’adresse à eux, on s’intéresse à eux, ils sont valorisés. Et de préférence ceux qui ont des problèmes scolaires. Justement revaloriser l’enfant c’est le mettre en position d’acquérir. Parce que si on le bloque au départ en lui disant: “ de toutes façons t’es nul, t’as que des mauvais résultats, t’as encore eu un zéro en dictée ... ”, alors là c’est crac, le verdict qui tombe et le gamin qui fera plus rien, et il aura toujours des zéros en dictée. Et, contrairement à ce que font malheureusement certains enseignants et certains parents, c’est pas en disant au gamin en rentrant le soir : “ bon, t’as des problèmes à l’école, on va encore repasser deux heures dessus ”. Alors là, c’est sûr et certain que l’effet sera ... désastreux hein ! Au contraire, moi j’ai dit aux parents à la réunion de début d’année : “ Y a des leçons à faire, y a un peu de travail à la maison, ce qui est tout à fait normal, mais y en a pas beaucoup ”. Les activités périscolaires, il faut en faire. Qu’ils fassent n’importe quoi : j’en ai qui font du judo, de la danse, des claquettes, enfin ils font ce qu’ils veulent, mais le principal c’est de faire autre chose, qu’ils s’habituent à faire autre chose, qu’ils se vident la tête. Comme nous. De toutes façons on a besoin après le travail de ... moi, quand je rentre à la maison, c’est pas pour prendre un bouquin de pédagogie, je peux vous le garantir !

  • Ou bien de rester sans rien faire parce qu’il y a aussi des enfants qui sont trop sollicités.

  • Oui. Mais il y en a aussi qui sont demandeurs

  • Mais demandeur c’est complètement différent.

  • Moi j’en ai un qui est incapable de rester à ne rien faire. Il a besoin de prendre un bouquin. Donc, c’est merveilleux, ça ! Il a des tonnes d’encyclopédies à la maison. Bon, le papa est docteur, c’est un petit peu normal, mais il est très très demandeur. Je trouve que c’est d’une grande richesse. Et j’essaie de transmettre un petit peu ça aux autres. En essayant qu’ils fassent le parallèle entre le fait qu’il lit beaucoup et ses résultats, leur dire : “ Ben voyez ! Si vous arrivez à lire vous, beaucoup, vous aussi vous allez acquérir aussi beaucoup de, de notions, plein de choses ”. Le problème, c’est qu’on se heurte à la lecture. Alors ça, là aussi on pourrait discourir longtemps. Moi je suis, j’avoue je suis perdu maintenant hein ! Quelles que soient les méthodes, moi les gamins qui arrivent au CM 2, j’arrive pas à les faire progresser de façon suffisamment importante pour qu’ils arrivent en 6ème sans aucun problème. Ce qui est sûr, c’est que beaucoup n’ont toujours pas compris que l’acquisition de la lecture se fait entre la grande section de maternelle et la fin du CE 1. C’est dans cette période-là. Et les enfants qui rentrent au CP doivent savoir lire à Noël pour certains, enfin. Si à Noël ils savent pas lire ils font des pieds et des mains, ils viennent se plaindre au niveau de l’enseignant. L’enseignant, ayant la pression, se retrouve dans la situation où on va matraquer le gamin, alors que c’est exactement le contraire qu’il faudrait faire. Dans un autre sens, si on se retrouve avec des gamins au CM 2 qui ont des problèmes, c’est parce que la, le problème de la lecture justement n’est pas mis suffisamment en avant. Moi, je crois que c’est au niveau de la maternelle. La dernière année de maternelle, on doit s’apercevoir qu’il y a des mômes qui ont des problèmes quand même, c’est à ce moment-là. Le problème des enfants qui butent sur la lecture, c’est qu’il y a des, des arriérés aussi hein ! C’est qu’il y a des problèmes familiaux et autres. Si ce n’est pas pris en considération, on n’a pas de psychologue. Bon les psychologues ils viennent, ils voient le gamin et nous on sait pas ce qu’il a, on sait rien du tout. On n’a pas de retour parce que, normalement, y a que la famille qui a droit de savoir cela. Y a des familles qui ne veulent pas que des enfants soient placés dans des classes de perfectionnement, et on n’a pas de classes de perfectionnement qui aient un nombre suffisant de places. Résultat : les gamins passent d’année en année avec ce fardeau. Et ce fardeau, il est plus lourd chaque année, et on commence par tirer un petit boulet, et puis ça finit par un énorme. Et il redouble une fois, et on n’a plus le droit de les faire redoubler. Alors on se retrouve avec un nombre incalculable de gamins en 6ème qui sont incapables de lire correctement hein ! Alors, après c’est haro sur le baudet : l’enseignant est incapable et ainsi de suite mais bon ... Moi, je crois que l’infrastructure actuelle ne permet pas justement de combattre de façon intelligente et suivie cet analphabétisme chronique, et qui commence à prendre des proportions énormes. Mais y avait moins d’enfants qui ne savaient pas lire autrefois ; me semble-t-il. Il me semble hein. Il y a, lié à ce problème, bon moi je crois que la télé c’est très destructeur au niveau de l’enfant, très très destructeur parce que ce n’est pas géré. Les gamins, ils arrivent le matin, à 8 heures et demie, bon ils sont à 7 heures devant la télé, ils se racontent le dessin animé qu’ils ont vu. Moi je dis : grave là. Mais que font les parents ? Ben c’est simple, les parents ils sont pas là, ils sont partis au boulot. Y a la télé qui marche, et puis les gamins ils regardent n’importe quoi, donc y a un seuil de fatigue qu’est déjà atteint avant même d’arriver à l’école, donc ils sont plus réceptifs du tout ! Plus du tout ! Alors ça, ça s’enchaîne, alors on a des problèmes de lecture, on a des problèmes de suivi, d’attention, on a des problèmes comportementaux également, parce que cette violence qui passe à la télévision, c’est pas gratuit les gamins ils regardent plus que ça hein ! On a parlé aujourd’hui justement de paix, de conflits, de choses comme ça. Dès qu’on a dit le mot conflit, ça y est ils miment une bagarre. C’est, c’est, bon ils le vivent intérieur mais ... On dit le mot paix, y a aucune réaction, par contre le mot conflit ils savent tout de suite le montrer, l’extérioriser. C’est pour ça que je dis, moi la télévision, faudrait mettre presque une croix dessus. Ou alors apprendre à gérer ce que l’on regarde, choisir ce que l’on regarde.

  • Surtout avoir un regard critique.

  • Oui mais ça s’apprend également ça. Mais bon, moi je l’ai dans la classe, mais c’est vrai que je la regarde jamais. Je m’étais dit au départ :  “ bon, sur la 5, oui sur la 5, je mettrai de temps en temps certaines émissions ” et bon ça faisait partie des bonnes (rire) résolutions et je ne l’ai pas fait. Mais c’est vrai qu’il faudrait apprendre aux enfants à lire un programme, à choisir le programme, à critiquer ce qu’ils regardent. Et, ce qui devrait être fait à la maison et qui n’est pas fait à la maison. Alors, si c’est pas fait à la maison, si on s’aventure à le faire ici à l’école, et bien j’imagine aussi le retour de bâton tout de suite : “ Oui, vous passez votre temps à regarder la télé, vous n’avez pas ... La conjugaison, qu’est-ce que vous avez fait en conjugaison ?  On n’a pas fait de conjugaison, on a regardé la télé, un truc pour essayer de comprendre comment ça fonctionne et le critiquer. Vous vous rendez pas compte, ils vont arriver en 6ème ils s’en font pas ... ” On en est là quand même. Enfin, tout ça pour en revenir à la lecture. La lecture c’est c’est ... Moi, je suis incapable d’arriver à de bons résultats et on en discute avec les collègues, on essaie de voir qu’est-ce qu’on peut faire. Moi, c’est toujours ce qu’il y a autour, l’infrastructure ça fonctionne pas, quoi.

  • Est-ce que vous pouvez avoir dans la classe des moments où vous leur lisez des livres rien que pour le plaisir, le plaisir de lire ?

  • Pas des livres entiers mais des extraits, des extraits dans le sens où je dis : “ bon voilà, y a tel livre à la bibliothèque ”. Je prends un morceau du bouquin ou le résumé et je leur lis. Bon, déjà pour qu’ils entendent par rapport à ce qu’ils font, que lire posément, correctement, le message passe, que eux donc, il est important qu’ils sachent lire. Mais en plus si on leur lit bien, ça les intéresse au contenu du livre, donc ils vont aller plus facilement vers le livre. Je sais qu’au niveau acquisitions de la lecture et envie de lire, le travail fait à la maison est primordial dans le sens où on apprend aux enfants à lire, non pas déchiffrer, mais à lire des bouquins avec des images au début quand ils sont pas encore en état de déchiffrer, mais que les parents lisent. Si les parents lisent, les enfants qu’est-ce qu’ils font ? De toutes façons, souvent c’est du mimétisme hein ! Alors s’il y a deux parents à la maison en train de lire, le gamin qu’est-ce qu’il va faire ? Il va prendre un livre aussi. Et puis l’intérêt pour la lecture, la curiosité et l’esprit de, pour avancer quoi, dans ce qu’on découvre, ne vient que si on leur propose justement quelque chose. Parce que, si on lit le journal, le DL, et puis l’autre MC, et puis que le gamin n’a rien du tout à se mettre sous la main... Ici c’est pareil, hein ! D’où l’intérêt d’aller dans les bibliothèques. Des bibliothèques, y en a une à P., je voudrais savoir combien de gamins y vont, et ce qu’ils choisissent. Bon c’est ça, c’est les BD. Bon y a des BD qui sont excellentes. Par contre justement, biaiser, arriver à la lecture par la BD mais y a pas que ça, c’est une forme de lecture. Et ça, on peut parler longtemps de lecture, c’est ... C’est désolant. Moi je sais plus quoi faire au niveau des enfants. Et en plus, chaque enfant réagit différemment à la lecture. Parler du plaisir dans la lecture, moi je crois que le plaisir, pas seulement dans la lecture ... Maintenant, pour en revenir au problème de la conjugaison, conjuguer c’est écrire et écrire sorti d’un contexte ça sert à rien. Donc, il faut faire de la conjugaison Dire aux enfants : “ on va faire de la conjugaison pour faire le verbe crier à l’imparfait ”, ça sert strictement à rien. Il faut faire des textes, travailler beaucoup en expression écrite, et puis un moment ils s’apercevront que, dans le texte, ça va pas du tout ! Et c’est à partir de là qu’on va embarquer sur la conjugaison, dire : “ ben voilà, c’est comme ça qu’on doit faire, y a la concordance des temps, y a ceci, y a cela ”. Mais faire de la conjugaison pour de la conjugaison, c’est vrai que c’est un exercice de mémoire quelque part, peut-être que ça leur servira un jour mais dans l’apprentissage ce n’est pas dans cette direction-là qu’il faut aller. Moi je le crois en tous cas. Les exercices ne servent à rien parce que ça n’intéresse pas l’enfant, il n’est pas branché dessus. Je crois qu’au niveau de l’enseignement, c’est comme tout le reste, hein. Si on travaille quelque chose, il faut être capable de l’expliquer à l’enfant et qu’il y trouve son compte. C’est tout. Quand on travaille à quelque niveau que ce soit, quand on fait du sport, ben on fait pas du sport pour faire du sport. On fait du basket ou de la course pour s’amuser à faire du basket ou de la course. Y a toujours quelque chose que l’on pense derrière, que l’on prévoit ,et il faut leur dire. Ils ne s’investiront que si on leur explique pourquoi ils le font. Comme nous, de toutes façons si on nous demande de faire un travail sans nous expliquer pourquoi on le fait, on va sûrement ruer dans les brancards. Je crois qu’à leur niveau c’est exactement pareil. Et c’est justement les amener à refuser tout et n’importe quoi sans rien dire. Donc ça rejoint l’éducation civique, l’éducation à la citoyenneté. On n’est pas des citoyens pour être béats devant tout ce qui vient d’en haut hein ! Il faut justement savoir critiquer. C’est ce que je leur dis, moi, à longueur de temps. Je leur dis : “ C’est pas parce qu’on vous dit quelque chose, nous adultes, que c’est forcément vrai. A vous de faire la part des choses, d’être critiques ”. Maintenant, comment est-ce qu’on peut être critique ? Quelles armes, on peut avoir pour ça ? C’est long à faire, c’est difficile. On les a 6 heures par jour, ça permet de faire un certain travail. Maintenant, ce travail-là, dès qu’ils rentrent à la maison, c’est fini hein. A part, peut-être deux-trois dans la classe, mais les autres même des parents qui sont très gentils, très sympas, hein ! Pour l’école ils ne voient pas plus loin que ça . Pour eux, les gamins : “ bon tu vas être devant la télé, tu vas jouer chez le voisin, tu vas prendre ... tu vas dans ta chambre ”, mais être capable d’avoir une discussion, ne pas prendre l’enfant pour plus petit, plus bas qu’il n’est ; bon c’est pas un adulte, je leur répète sans arrêt. De toute façon, ils ont des prérogatives mais ils ont aussi des limites à ce qu’ils peuvent faire et dire, mais il faut aussi entretenir le fait qu’il faut être critique toute sa vie, quoi ! Envers tout. Critique dans le bon sens du terme. Critiquer dans les deux sens : savoir dire ce qui est bien, ce qui est mal, faire un choix par soi-même. Mais, c’est ... La maison ... c’est fini quoi. C’est la peur de la perte de l’autorité qui fait que les gens ne veulent pas aller vers les enfants. Ils ont peur de leurs propres enfants, certains, ou ils répercutent les comportements de leurs propres parents, c’est-à-dire que c’est comme ça, que c’est moi qui décide, c’est fini. C’est facile ça, on se protège aussi en faisant ça. Après on dit : “ les gamins, ils sont infects arrivés adolescents ”, mais tout est dans la discussion, tout est dans la parole, tout est dans les relations, dans les échanges qu’on a avec les enfants. C’est tout. Et puis, si on ne les prend pas pour des imbéciles, ils ne prendront pas non plus les adultes pour des imbéciles ! Parce que c’est vite fait aussi, le contraire. Il faut essayer de faire au mieux même dans les petites écoles de campagne, il faut essayer de s’en sortir (rire). C’est pas évident, c’est loin d’être évident mais ... Et puis chacun fait en fonction de ce qu’il sait faire aussi, de ce qu’il a envie de faire. Je crois qu’il y a autant de pédagogies qu’il y a d’enseignants, il y a autant de façons de considérer le monde qu’il y a d’enseignants et puis voilà. Moi ce que je dis là, je sais que ma collègue, c’est pas ça du tout, la collègue de CP elle pensera tout à fait différemment, même si on a des routes un petit peu communes parfois ; mais ma collègue de CM 1, au niveau des devoirs c’est deux heures tous les soirs. Ils sont au CM 1. Et bon, sans vouloir ressasser de mauvais souvenirs, moi j’ai, j’ai eu une maman qui, bon qui a rué dans les brancards, elle en pouvait plus, le gamin il passait trois heures tous les soirs parce que c’était une heure et demie à deux heures pour ceux qui sont bons ... et ceux qui ont des difficultés ... ils se couchaient à 10 heures, le gamin il pleurait. Il arrivait le matin il voulait pas venir à l’école, il avait mal au ventre, il pleurait. Et puis c’est grave ça ! Moi je comprends pas qu’on puisse faire ça à des enfants! C’est le contraire qu’il faut ! Leur donner l’envie (insiste) de venir à l’école, envie d’apprendre, envie de lire, envie de voir, envie de faire des choses. Moi en classe, si on travaille sur les fractions, par exemple, s’il y en a qui n’ont pas compris, et bien moi je recommence avec eux, je recommence un petit peu différemment à un autre moment : “ je prends ce groupe-là, on va au fond de la classe, les autres vous êtes en lecture silencieuse ”, j’en mets à l’ordinateur. On reprend, on recommence rien que pour eux. Et je préfère perdre du temps et que toutes les notions soient bien rentrées pour tout le monde, que de laisser des gamins sur la touche au fur et à mesure. Parce que le gamin, au bout d’un certain temps, qu’est-ce qu’il va se dire ? “ Moi, chaque fois que je comprends pas, on me réexplique pas ! Pourquoi se fatiguer ? ” L’important c’est de prendre un autre chemin et d’arriver au même résultat. Et ça se voit le gamin qui n’a pas compris comme ça. Bon, il faut imager ce qu’on lui demande. C’est tout. Et ça passera assez facilement quoi. Manipuler, des enfants qui ont besoin de manipuler, même au CM 2 hein ! Au niveau de l’abstraction, c’est pas encore ça. Donc il faut manipuler. Des fractions, on prend des petits bouts de papier et puis on découpe. Au bout d’un certain temps, ça y est, ça finit par rentrer. Y en a d’autres, il suffit de faire un dessin, ça y est, c’est parti. C’est vrai qu’il faut ... Ben il faut multiplier ses pédagogies en fait dans ... multiplier ses pédagogies, c’est ce qu’on nous demande de faire. Mais ça implique aussi d’avoir des programmes moins chargés, de pouvoir aller plus lentement. Parce que moi, quand je vois ce qu’on nous demande en histoire, en géo, en sciences et tout ça, je dis c’est impossible, moi je peux pas tout faire. C’est impossible. Donc, de toute façon, que ça plaise ou pas, moi je fais des coupes sombres là-dedans, on fera ce qu’on aura fait et puis c’est tout. Mais, pour en revenir aux devoirs, on a le problème des parents qui veulent des devoirs de façon à vérifier ce qui est fait en classe, c’est tout. C’est pas pour que le gamin travaille, c’est pour savoir ce qui a été fait, et pour que tous les jours ils aient la preuve qu’il y a bien eu un travail effectif de fait en classe. Ça, c’est 50 ans derrière. Alors moi je laisse faire, maintenant. C’est vrai qu’en début de carrière on est très sensible à ce genre d’agression, et à toutes les sollicitations qu’elles viennent de la mairie, qu’elles viennent des parents On passe son temps à refaire, à recommencer, à se poser des questions, à s’en faire : “ oh la,la, qu’est-ce qui va encore m’arriver ? ” Puis, petit à petit hein, on fait abstraction de tout ça. Moi je suis pas dedans, j’ai du répondant par rapport aux parents, je suis capable de leur montrer ce qu’on fait en classe. A partir du moment où ils savent, où ils ont compris, y a plus de problèmes d’agressivité et puis c’est tout. Je crois qu’il faut prendre les parents comme on prend les enfants, de façon positive. Même ceux qui arrivent en rentrant dans le lard si je puis dire, de façon agressive ; bon ben on s’assoit, on discute, où est le problème, et puis bon, j’ai tous les cahiers, j’ai tout ce qu’il faut, j’ai tous les devoirs : “ on a fait ça, vous connaissez comment je travaille, y a déjà d’autres enfants qui sont venus dans ma classe de la même famille ”. Voilà, puis ça passe. On finit au bout d’un certain temps à connaître les familles, à connaître les enfants, à savoir où seront les problèmes. Et puis de la maternelle jusqu’au CM 2 , moi j’ai eu le temps d’en entendre parler hein ! Aussi bien des enfants que des parents, alors je sais à qui je vais avoir à faire. Je me fais obligatoirement mon opinion parce que ce qui ne marche pas d’un côté peut très bien marcher avec moi. La preuve en est c’est que le gamin qui pleurait tout le temps bon, pour venir à l’école, quand il est venu avec moi il pleurait plus du tout. Parce que, bon, faut positiver. Si au début, il pleurait, alors ça, c’est ... parce qu’il avait bien pris l’habitude de pleurer pour venir à l’école, même au début de l’année, avec moi, il pleurait toujours. Alors, pour faire quitter ce comportement, c’est loin d’être évident, faut tirer, faut s’adapter à chaque enfant, voilà. L’enfant s’adapte à l’enseignant mais nous on s’adapte aussi à chaque enfant. On réagit différemment, alors faut réagir différemment tout en gardant une attitude qui soit la plus honnête par rapport à tout le monde. Je veux dire qu’il peut y avoir un enfant qui a des difficultés, faut être un petit peu plus souvent avec lui ; mais il peut y avoir un enfant qui n’ait pas de difficultés du tout mais qui a besoin qu’on s’occupe aussi de lui. Alors il faut jongler avec tout ça, c’est pas forcément évident, c’est ... C’est ce qui fait justement le sel, le piment de notre métier.