I - 4011L’ANTISOCIALITÉ COMME ORGANISATION LIMITE ENTRE NÉVROSE ET PSYCHOSE

Cette expérience de la réalité objective, à l’adolescence, est référée par R Cahn108 à l’aire d’illusion winnicotienne de la rencontre, “‘qui se voit, dans son évidence immédiate, antérieure à toute réalité pensée comme extérieure, redécouverte à l’adolescence par un véritable court-circuit des couches cumulatives du moi à partir de la vacillation existentielle, narcissique/objectale’”.

Il s’agit donc pour lui d’une problématique qui renvoie, en après-coup, à ce qui s’est joué avec l’objet primaire, “‘qui, ou bien a été en mesure de soutenir l’illusion’ ‘ primaire d’un sentiment d’être, ou au contraire, soit par sa carence a donné lieu à des angoisses d’anéantissement109, soit par intrusion a abouti au sentiment de ne pas se sentir réel.’”

L’auteur se situe dans un travail d’élucidation de la psychose à l’adolescence, travail qu’il relie à l’un des modes d’organisation psychopathologique, se constituant, dans son champ théorique, comme autant de solutions économiques pour résoudre les problèmes de changement et de différenciation survenant à cette période.

Ces modes d’organisation sont l’expression d’un effondrement du moi, dans la tâche essentielle qui l’occupe à “réorganiser la névrose infantile”, ou ce qui a déjà pu en être élaboré, un moi submergé par une angoisse liée à une faille narcissique fondamentale, “‘qui peut, dans la survenue d’un tableau psychotique franc [...] ressentir la nécessité de rompre avec la réalité dans une ultime tentative pour résoudre un intolérable conflit’ ‘ entre elle et le sujet, sans que pour autant le rapport de force soit joué d’avance’”.110

Cet effondrement peut se comprendre en référence à un noyau non symbolisé dans le moi, enkysté, potentialisant une décompensation à l’adolescence, si l’on se réfère au processus décrit par D. Winnicott qui relie la psychose à une carence affective subie au moment de la “double dépendance“ du nourrisson ‘: ’ ‘“’ ‘dépendance totale par rapport à l’environnement alors que le sujet n’a pas la faculté d’en avoir la perception’ ”. Du fait de la faillite de l’environnement, n’ont pu être assurées la protection et la continuité d’existence pour le moi immature, et D. Winnicott définit la psychose : “‘comme défenses très primitives qui s’organisent à cause des anomalies de l’environnement qui fait défaut [indépendamment] de la vie instinctuelle prégénitale ou au stade de la primauté des zones érogènes du nourrisson’”.111

Cette conception rejoint la position de S. Freud en 1911 concernant “le choix de la névrose”: “‘Pendant que le moi accomplit sa transformation de moi-plaisir en moi-réalité, les pulsions sexuelles subissent les modifications qui les conduisent par diverses phases intermédiaires de l’auto-érotisme’ ‘ initial à l’amour d’objet [...], on est amené [...] à faire dépendre le choix de la névrose de la phase du développement du moi et de la libido pendant laquelle est intervenue l’inhibition de développement prédisposante’”.112

Elle confirme l’idée que ce qui est en souffrance dans la psyché témoigne de points de suture liés à l’histoire du développement psychique étayé sur la relation à l’objet.

Ainsi, les manifestations symptomatiques laissent à penser que les modes de passage à l’adolescence, temps de remaniements psychiques fragilisant le sentiment d’identité du jeune adolescent, se modulent à deux niveaux, selon les conflits et/ou carences identificatoires liés à l’OEdipe, mais aussi en référence à la construction du narcissisme, d’une part dans un registre pulsionnel et sur la base de l’activité fantasmatique du sujet113, d’autre part dans un registre où sera pris en compte la place des objets sur lesquels s’étayent la symbolisation primaire et les théories infantiles qu’ils auront suscitées, confirmées ou bien néantisées.

Notes
108.

R. Cahn 1991 - opus cité

109.

D. Winnicott 1963 - La crainte de l’effondrement in N.R.F. 1975 - Figures du vide - n°11 - pp. 35 à 44

110.

R. Cahn 1991 - Adolescence et Folie - PUF 1991 - p. 86 à 94

111.

D. Winnicott 1957 - Contribution de la psychanalyse à la classification psychiatrique in Processus de maturation chez l’enfant - Payot 1989 - p. 108

112.

S. Freud 1911 - Formulations - opus cité

113.

S. Freud 1911 - Formulations - opus cité : En 1911, le fantasme est considéré par Freud comme le résultat d’une activité de pensée de l’appareil psychique qui se sépare par clivage et reste indépendante de l’épreuve de réalité, soumise uniquement au principe de plaisir : il apparaît, avant l’heure, à ce moment de la théorie, comme un principe régulateur, éminemment narcissique, des tensions internes du sujet liées à la découverte de l’extériorité de l’objet et cette indépendance du fantasme renvoie à la conception d’un stade narcissique anobjectal qui n’est pas sans poser de problèmes théoriques pour ce qui est du passage du principe de plaisir au principe de réalité (cf. la différence entre acte et action décrite plus haut).