SECTION III
LA THÉORIE DE LA TENDANCE ANTISOCIALE
A L’ÉPREUVE DE LA CLINIQUE

Le matériel clinique que je présente dans cette première mise en forme de la recherche centrée sur la culpabilité inconsciente est ancien, et le travail théorique qui l’accompagne est issu des premières interrogations qui se sont formulées au tout début de mon activité de clinicienne, il y a une douzaine d’années.

Le recueil des données cliniques s’est fait, pour l’essentiel, dans le contexte d’entretiens demandés par La Protection Judiciaire à la Jeunesse, entretiens destinés, la plupart du temps, à établir un compte-rendu permettant au Juge des enfants d’établir la responsabilité des actes antisociaux qui pouvait être retenue pour statuer sur l’orientation à prendre pour ces adolescents délinquants. En moyenne au nombre de trois, j’ai eu l’occasion, pour certains d’entre eux, de proposer un soutien thérapeutique, lorsque leurs difficultés me paraissaient accessibles à cette forme de réflexion. Dans ces cas, rares, du fait en particulier de la rivalité que cela faisait jouer au niveau de l’équipe éducative qui n’était pas habituée à ce genre de prise en charge, j’associais un travail avec les parents.

La contrainte du cadre institutionnel dans lequel j’ai évolué a rendu nécessaire le travail d’élaboration des données très hétérogènes. Données que j’ai dû ensuite organiser pour construire les hypothèses de ce travail de recherche, m’étayant aussi, pour l’argumenter, sur les éléments de réflexion accumulés au cours des séances de synthèse ou de réunions d’équipe auxquelles je participais ; travail qui a constitué, pour une grande part, une façon de survivre psychiquement à l’intérieur d’une organisation qui n’avait pas les moyens psychiques suffisants pour donner du sens à une pratique quotidienne sollicitée en permanence par la violence des adolescents.

Ce travail porte donc la trace de la nécessité à construire une trame représentative du puzzle qui constituait les conditions de vie psychique au sein de cette institution, et du désir que j’avais de comprendre les manifestations symptomatiques qui lui étaient adressées. Ces particularités ont organisé le fond sur lequel une autre réflexion concernant la culpabilité primaire, dans un autre contexte clinique, a ensuite été nécessaire et rendue possible.

Nous en arrivons aux faits cliniques qui ont orienté la façon dont la question s’est organisée sur le plan théorique, mais il est nécessaire de situer rapidement le cadre de la pratique qui est impliqué dans cette réflexion, dans la mesure où La Protection Judiciaire à la Jeunesse me semble être une institution qui pourrait devenir un lieu de projection des conflits, dans la figuration des imagos parentales dont sa double fonction d’aide et de contrôle est implicitement investie. Un espace transitionnel où pourrait se traiter le transfert des défaillances et des violences que parents et adolescents viennent y déposer, sans avoir la possibilité de les métaboliser.204

Je n’aborderai pas, cependant, la problématique de l’analyse institutionnelle, qui se pose nécessairement pour la construction du cadre clinique, je souligne simplement l’importance à pouvoir imaginer, dans le travail des équipes par rapport à ces adolescents, un lieu contenant et conteneur, qui puisse à la fois accueillir et transformer les éléments pulsionnels, figures de l’étayage que se partagent une fonction maternelle et une fonction paternelle suffisamment régulatrices. Je fais ici référence à la fonction contenante que W. Bion205 attribue à la capacité de rêverie maternelle qui peut accueillir et transformer les contenus émotionnels du nourrisson, et à la fonction de régulation que R. Kaës décrit en terme de conteneur, fonction qui rétablit le processus psychique “‘grâce aux transformations de contenus destructeurs par un contenant humain, actif et apte à rendre possible cette métabolisation’”.206

Ce n’est pas actuellement sous cet angle que les processus en jeu peuvent s’analyser dans le lieu qui nous intéresse, pour des raisons qui concernent notamment son histoire et qui dépassent le cadre de notre réflexion.

Mais cet état de fait complique grandement le travail d’élaboration de la pratique pour ces équipes, obligées de faire face à des difficultés institutionnelles ne leur laissant que peu d’énergie pour investir une “tâche primaire207 qui manque à s’instituer au fondement inconscient de leurs choix pédagogiques.

Ce qui, en retour, complique le travail du clinicien, occupé à garantir une place où puisse être maintenue vivante la subjectivité qui tend sans cesse à être méconnue ou annulée.

Notes
204.

Documents P.J.J. - voir bibliographie

205.

Introduction aux idées psychanalytiques de Bion - Collectif - Bordas 1976 - pp. 82 - 83 : la rêverie maternelle, comme mode de fonctionnement mental qui peut accueillir et transformer les contenus émotionnels du nourrisson, peut être rapprochée de l’hypothèse d’une homomorphie entre le nourrisson et la mère, proposée par R. Roussillon, comme le travail psychique que décrit R. Kaës en terme de conteneur.

206.

R. Kaës 1979 - Introduction à l’analyse transitionnelle in Rupture, crise et dépassement - Dunod - p. 63

207.

R. Kaës 1987 in L’institution et les institutions : La tâche primaire, comme finalité, raison du lien, ’peut être supplantée si les défenses des soignants contre les dangers réels ou imaginaires, liés à la réalisation du soin, mobilise toute l’énergie.’ - pp. 41 et 42