III - 1011L’ESPACE POTENTIEL

III.1.1011Espace potentiel et institution

III.1.1-1011Djamel

Je voudrais évoquer à ce propos, pour à la fois en souligner les impasses actuelles et les potentialités à créer un tel espace transitionnel susceptible de pouvoir aider à élaborer la destructivité, le cas de Djamel, jeune maghrébin de 17 ans accueilli pour un placement temporaire en urgence assorti d’une mesure de liberté surveillée, en raison de violences répétées à l’égard d’autres jeunes de l’établissement scolaire qu’il fréquentait. Cet adolescent, à son arrivée, avait posé des problèmes de comportement dans le foyer, notamment au niveau du non respect du règlement, et il était question de ces retards le matin, “inexpliqués et inexplicables208, dont la répétition malgré “les mises en garde” n’était plus tolérée par l’équipe, qui éprouvait une certaine difficulté à investir ce jeune “dont l’arrivée leur avait été imposée”.

Les éducateurs se plaignaient que la mère “couvrait ce jeune en se montrant complice de celui-ci”. Une explication musclée” avait eu lieu avec l’adolescent et le lendemain celui-ci téléphonait pour prévenir de son retard, invoquant l’obligation dans laquelle il était de garder sa jeune soeur de 13 ans, motif qui “avait paru louche”. Il était arrivé dans l’après-midi avec deux bouteilles qu’il avait posées sur la table et le soir, “‘malgré la saucée qu’il avait prise se mettait à essuyer la vaisselle avec beaucoup de zèle’” : ensemble d’événements qui semblaient en même temps émouvoir et gêner les éducateurs, et sur lesquels ils s’interrogeaient à la réunion de synthèse.

Certaines représentations commençaient à prendre forme autour de la création d’un lien et d’un processus de réparation, lorsque le psychiatre attaché à l’institution, proposa, sous forme de boutade, “‘qu’en fait, avec ses bouteilles, c’était de la corruption de fonctionnaires’”.

Cette intervention, que j’ai pu saisir comme un contre-investissement des affects qui se dégageaient des associations ressentis comme un risque de séduction (risque contenu dans le mouvement pulsionnel qui pousse à investir l’objet) a fait basculer l’équipe dans un processus défensif à tonalité maniaque, annulant le travail élaboratif précédent et renforçant le rejet dont le jeune était déjà la cible : “‘de toute façon, on n’allait pas se casser pour un mec qui dans trois semaines ne serait plus là’”. Trois jours après, suite à de nouveaux débordements, le jeune était renvoyé du foyer.

Selon toute vraisemblance, nous pouvons penser que “ce geste” au sens de D. Winnicott, qui n’a pu être reconnu au moment où lui-même le présentait comme un acte de réparation si celui-ci pouvait être saisi comme tel par l’environnement, a privé la destructivité contenue dans l’attaque du lien de pouvoir s’éprouver comme un mode de réinvestissement possible d’un cadre institutionnel, (maintien ferme des éducateurs) se substituant à un environnement défaillant, (mère/séductrice/complice).

Du côté de l’équipe, sans parler des processus psychiques en jeu au niveau groupal, nous relevons au niveau individuel un empiétement de l’intra-subjectif sur l’intersubjectif qui se révèle dans le processus projectif qui consiste à attribuer à l’autre une intention séductrice – de facto – qui sera ensuite partagée sur le mode de la contagion par l’ensemble. Mouvement défensif qui court-circuite l’analyse du mouvement pulsionnel activé du dehors et qui trouve un écho au dedans, dans une confusion temporelle qui entraîne une indifférenciation, dans les processus identificatoires, entre ce qui se passe dans l’actuel, et ce qui, de l’actuel, renvoie à un autre temps psychique. L’impasse du processus identificatoire semble impliquer une fragilité des limites intra-psychiques soumises au vacillement, dans ce lieu, par les épreuves de force que font jouer les adolescents pour la construction de leur identité. Violence qui vient toucher, en miroir, les points sensibles de l’autre, là où l’impasse s’est jouée pour eux dans leurs relations d’objets.

Ainsi, pour créer un espace transitionnel au sens où “‘il revêt une fonction de suppléance à la défaillance’ ‘ en excès ou en défaut du pare-excitation’ ”, R. Cahn, dans le cadre du lieu soignant qu’il anime, relève l’importance, en s’appuyant sur les idées de W. Bion, de la prise en compte de l’analyse du contre-transfert qui vient en contrepoint de la possibilité d’élaboration des conflits qui s’y projettent :

‘[...] “Une telle métaphore théorique [...] : transformer les éléments bêtas en éléments alphas par détoxication des identifications projectives du sujet [...] s’avérerait incomplète si elle excluait la prise en compte des identifications projectives des soignants à l’égard des adolescents, elles-mêmes répétition induite de ce qui a dû se jouer au niveau de l’objet pour le sujet, signant, outre l’incapacité des objets à psychiser les identifications projectives du sujet, la collusion, le télescopage de la folie des pulsions de l’un avec celle des pulsions des autres, offrant ainsi au sujet la possibilité de s’en dégager dès lors qu’elles ne lui sont plus renvoyées”.209

Comme je l’ai indiqué, certaines observations cliniques, aussi bien dans le cadre institutionnel que dans un champ de pratique plus général, m’ont permis d’articuler à l’expérience clinique certains points théoriques et je propose de poursuivre l’élaboration de la question, à partir des deux observations suivantes

Notes
208.

Tous les passages entre guillemets et en italique sont les expressions utilisées par les éducateurs ou les jeunes adolescents de l’institution.

209.

R. Cahn 1991 - Adolescence et folie - opus cité - p 175