III.1.3011La fonction paternelle et maternelle

III.1.3-1011Marie

J’ai eu l’occasion de suivre Marie, 16 ans, et sa mère pendant environ un an dans le cadre de la P.J.J., à la suite d’altercations violentes répétées entre la jeune fille et l’ami de la mère. Le degré de violence de certaines confrontations avaient nécessité l’intervention de la police, écho bruyant qui avait amené Marie dans notre service sur la demande de la mère au juge des enfants, car “elle n’en venait plus à bout”.

Les mouvements agressifs de Marie se polarisaient habituellement sur sa mère (épisodiquement sur ses jeunes soeurs, dans une problématique de rivalité envieuse), dont elle mettait “l’éducation en échec”, notamment en partant vivre avec un garçon de 8 ans plus âgé, marginal et antisocial connu, tout en conservant avec sa mère un lien sans cesse attaqué, sans abandonner cependant complètement ses études (nous étions dans un milieu plutôt d’intellectuels), qu’elle arrivait à investir à minima, malgré ses grandes difficultés comportementales.

Le divorce de ses parents avait été pour elle une expérience catastrophique et l’avait amenée à exercer une sorte de chantage, resté sans effet sur ses parents : “si vous vous séparez, je me tuerai , et avec une sorte d’inefficacité répétée dans ses nombreux passages à l’acte la mettant constamment en danger.

Elle reprochait notamment à son père de n’avoir pas toléré que sa mère “prenne du champ” pour réfléchir (conversation qu’elle avait surprise) et l’avait ainsi contraint au divorce, de son point de vue.

Elle reprochait à sa mère de ne pas la laisser partir de chez elle où elle ne supportait plus son ami (elle ne pouvait pas prendre de champ), et en même temps exprimait une plainte évoquant une symbolisation des expériences primaires en difficulté : “‘si je pars c’est pour vivre ma vie... ça arrangera tout le monde, personne ne pense à moi, ça devient insupportable’”.

La caractéristique de la tendance antisociale de Marie pouvait être entendue comme un retournement actif contre elle-même d’un mouvement vécu sur un mode passif, dans la quête éperdue à laquelle elle a fini par renoncer, comme la figuration du risque qu’elle prenait en effectuant son travail d’individuation à l’adolescence, justifiant par avance la perte d’amour qu’elle provoquait pour éviter, paradoxalement, d’en souffrir. Ainsi, les difficultés auxquelles elle était confrontée se sont élaborées autour d’une impossibilité à pouvoir se séparer dans cette famille, séparation qui évoquait métaphoriquement la mort, en lien avec une imago maternelle omnipotente qui ne portait pas en elle un espace potentiel de séparation mais de rupture, comme ce qui semblait être aussi à l’oeuvre au niveau de l’imago paternelle.

Sa destructivité ne concernait pas tant la perte qui n’avait pas eu lieu que la possibilité de pouvoir y accéder, sans mourir dans la psyché maternelle, et de pouvoir la supporter.

L’histoire de Marie semble montrer que ce n’est pas le père en soi qui est garant ou non de l’ordre, mais bien la fonction paternelle qu’il est susceptible ou non de représenter, qu’il soit présent ou absent dans la réalité. Et au-delà de la figure paternelle pour Marie, se profile la figure paternelle de la mère, ce qui a pu se constituer en elle d’un ordre, d’une limite dans sa psyché, et ce qu’elle peut en représenter pour sa propre fille.