III - 2 011PLACEMENT ET DYNAMIQUES FAMILIALES

Deux particularités, dans la pratique institutionnelle, ont aussi orienté les hypothèses concernant la question de la délinquance à l’adolescence :

III.2.1011Demandes de placement et rupture de l’enveloppe

La première particularité s’inscrit dans l’origine des demandes de placement pour les jeunes en rupture de famille, qui semble être en lien avec des modes d’expression différents de rupture de l’enveloppe familiale.

Qu’ils soient dans une logique de délinquance et placés par le juge à la P.J.J., en fonction de la gravité des délits, le placement constituant une alternative à l’incarcération dans une visée éducative-réparatrice. La séparation des familles intervient alors en fonction de la notion de danger que celles-ci, jugées incompétentes ou nocives, représentent pour l’évolution du jeune adolescent. L’aide éducative en milieu ouvert restant l’un des modes privilégié pour subvenir aux “défaillances passagères” des parents.

Le placement peut aussi intervenir, non pas en raison d’une délinquance organisée mais d’un effondrement du milieu familial qui a implosé, effondrement constaté par les organismes de protection sociale ou bien par les parents eux-mêmes qui viennent alors demander assistance au juge : “‘faire rentrer leurs jeunes adolescents dans le rang’”, représentant la façon dont bien souvent ces familles expriment le besoin de remettre de l’ordre dans le système familial.

Il y a aussi des cas beaucoup plus rares où le jeune vient de lui-même demander aide et assistance au juge pour violences parentales.

Se dégagent ici trois catégories de prise en charge qui ont pour point commun une défaillance actuelle de l’environnement familial, à laquelle les adolescents réagissent différemment, indépendamment de l’âge (15-18 ans et jeunes majeurs en prolongation de mesure). Je n’ai cependant pas pu repérer un principe de causalité associant régulièrement tel type de comportement (antisocial, réactionnel ou déficitaire) du jeune adolescent à tel type de rupture de l’enveloppe familiale. Sans doute serait-il important de pouvoir en faire un objet d’étude particulier, mais ceci dépasse le cadre de cette recherche.

Ce que nous pouvons par contre repérer au cours des entretiens, soit avec les jeunes seuls soit avec leurs parents lorsque la rencontre est encore possible, c’est le vécu très différent de cette rupture de l’enveloppe familiale faisant penser, comme l’a montré D. Anzieu212 à partir des travaux de W. Bion et de R Kaës, qu’il pourrait y avoir des troubles spécifiques de la fonction contenante et de la fonction conteneur, liés aux différents modes d’emboîtements des deux enveloppes psychiques constituées par le pare-excitation et la surface d’inscription.

Ces modes d’emboîtements au niveau des psychés individuelles dépendraient “‘des limites imposées aux énoncés identificatoires’” à l’intérieur du groupe famille, lui-même pris dans l’ensemble des positions du sujet dans une culture donnée. Nous pouvons alors de nouveau nous référer à Piera Aulagnier, qui définit de son côté un “‘langage fondamental qui préexiste aux deux registres de l’identification à l’intérieur’ ‘ ’ ‘du’ ‘ ’ ‘groupe comprenant ’ ‘les termes nommant l’affect’ ‘, ’ ‘les termes nommant le système de parenté’”.213

Ces expériences de rupture semblent être vécues en fonction des modes d’investissement par les parents de leurs adolescents. Ces derniers mettraient en jeu des réseaux identificatoires à l’intérieur desquels se profilent les conflits inter-générationnels et les répétitions que les empiétements emboîtés reproduisent. Modes d’échanges au cours desquels se condense une sorte d’idéologie familiale, venant rompre les termes d’un contrat narcissique pouvant se référer à des représentations du dehors. Se dessinent alors des modes narcissiques de satisfaction pulsionnelle insuffisamment élaborés, qui infiltrent l’organisation du pôle éducatif de la fonction parentale.

Cet investissement de l’adolescent par les parents semble insuffisamment dégagé des avatars de l’identification dans les psychés parentales, “‘l’enfant en souffrance dans le parent’”214 reste comme un écran qui masque la relation de dépendance qu’il entretient, inscrivant l’adolescent dans un rapport à l’identique et non au semblable.

Nous retrouvons ici, avec le degré de souffrance psychique du parent, l’aspect quantitatif de l’excitation trop forte qui empêche les processus de refoulement et l’instauration d’une topique interne différenciée. Cette souffrance semble entretenir des modalités de liaisons intra-psychiques qui perturbent plus ou moins la capacité à reconnaître l’altérité, ou à la supporter, à ce moment de l’adolescence qui interroge aussi les assises narcissiques des psychés parentales.

Notes
212.

D. Anzieu 1990 - Epiderme nomade et peau psychique - opus cité

213.

P. Aulagnier 1981 - La violence de l’interprétation - opus cité - pp. 158 et 159

214.

M. Berger 1990 - Des entretiens familiaux à la représentation de soi - Apsygée