III.2.1-3011La culpabilité inconsciente
Amar

De même, Amar, 17 ans, a-t-il pu exprimer le manque de cette fonction de butée symbolisante, après avoir été arrêté après plusieurs vols de vêtements et de voitures : son complice, majeur, ayant avoué, “‘cela l’avait obligé à reconnaître sa propre implication dans ces vols, cela lui’ ‘ ’ ‘avait fait l’effet d’un mur qui l’avait arrêté’ ‘, même s’il aurait préféré s’en tirer autrement’”.

Né en Algérie, il avait vécu le divorce de ses parents à l’âge de 8 ans, séparation subie comme une déchirure par l’enfant entraînant un vécu de perte d’amour dans le désintérêt qu’il avait ressenti de la part son père.

Selon toute vraisemblance, dans ce qu’il se rappelle de sa mère lorsqu’il avait deux ans et demi, (et même si ses souvenirs sont reconstitués sans doute sur la trame de ce qui a pu “s’écouter et se voir” bien après, ils impliquent précisément comme “souvenirs écrans” le travail du moi et ses essais de théorisation pour comprendre ce qui a pu l’affecter), celle-ci se prostituait, l’emmenant sur ses lieux de rendez-vous.

Il peut maintenant se sentir complice de cette ancienne situation, alors qu’il se sentait “‘pris entre la crainte de désobéir à sa mère en parlant et d’être découvert par son père, et de trahir ainsi sa mère, mais il trahissait aussi son père’”. Dans ce travail de remémoration, il reste, après-coup, toujours avec cette question énigmatique : “‘pourquoi faisait-elle cela ?’ ‘”’

D’abord en garde chez son père après le divorce, sa mère l’avait “récupéré” pour l’emmener vivre en France et Amar, pris dans la confusion de ce qui l’affecte, se sent très coupable “‘d’avoir choisi de partir avec sa mère et d’avoir abandonné ce père qui le gâtait moins qu’elle’”. Depuis qu’il est parti d’Algérie, son père n’a jamais cherché à avoir de ses nouvelles.

Depuis qu’il est en France, sa mère présente beaucoup d’instabilité, vivant à Lyon à Marseille ou retournant, sans prévenir, en Algérie, “sans activité repérable” n’hésitant pas à laisser Amar seul et “ ‘à faire travailler la jeune soeur pour nourrir la famille’”. Elle est remariée à un beau-père qui “n’hésite pas à la critiquer” devant Amar, beau-père qui l’a mis dehors (Amar s’est effectivement retrouvé à la rue) après une dispute “‘sans que sa mère ait dit quoi que ce soit sur cet événement’”.

Les vols ont débuté juste après ces faits.

La question qui se dessine autour de ce qui tend à se construire dans le passage à l’acte appartenant à ce registre de délinquance, ne serait-elle pas aussi centrée autour de la recherche, par défaut, d’une limite à l’extérieur, une limite interne n’ayant pu suffisamment s’éprouver sur un environnement fiable, apportant la cohérence dont le moi a besoin pour se structurer ?

Or, nous le savons, l’acte de décharge ne prend sens que si l’objet est là pour le recevoir et démentir régulièrement les fantasmes de destruction ou de séduction qu’il polarise (l’objet bien au courant de L’esquisse serait le prototype de ce modèle d’élaboration psychique). Si ce travail de liaison et de déflexion fait défaut, le sentiment inconscient de culpabilité qui accompagne les mouvements pulsionnels ne peut plus être intégré au travail d’élaboration de l’expérience vécue. L’hypothèse est alors qu’il se fait compulsion dans l’acte de décharge pour tenter de lier l’expérience qui n’a pu être symbolisée.

Ce passage à l’acte se rapprocherait ici du processus qui se découvre dans l’épreuve de réalité qui consiste à construire la réalité extérieure de l’objet et serait le témoin de l’échec, dans la rencontre sujet/objet, de l’intériorisation d’une expérience symbolisante.

Ainsi, au cours d’un entretien, Amar fera un lien entre son état dépressif actuel et le départ de son ami Tarak, “un autre lui-même”, et associera sur la chance de ce garçon d’avoir une mère qui pense à lui. (Cette mère “vient de prendre” 18 ans de prison pour avoir tué son mari). La sienne ne lui dit jamais “comment tu vas, tu me manques“, “Elle n’a jamais été ni devant ni derrière”. Il associe ensuite sur ses voyages, ses départs intempestifs, imprévisibles, qui lui donne le sentiment “d’être responsable de ces départs quand elle s’en va loin”. Nous pouvons ici imaginer comment l’absence du tiers dans la psyché maternelle empêche Amar de pouvoir construire un roman oedipien sur lequel édifier une identité séparée sans souffrir d’une perte de l’objet dont il reste dépendant, dans la mesure où la mère, dans la réalité, ne peut l’aider à renoncer à l’illusion de complétude sans faille.

Il semblerait que nous touchions là à un fond de culpabilité inconsciente liée à une faille dans la construction du narcissisme primaire qui s’est tissé dans la rencontre avec l’objet. L’imago dans la réalité psychique de l’adolescent, semble porter les traces de la pulsion libidinale qui n’a pu satisfaire, au moyen de l’objet, ses besoins d’attachement primaire fondamentaux, et du retournement masochique que le moi a dû effectuer dans ses défenses primitives pour tenter de conserver un lien aux objets et trouver une issue à sa destructivité.

Nous voyons comment, pour éviter une perte d’amour intolérable, le moi a été entraîné dans une confusion des limites dedans/dehors, dans son effort pour conserver un investissement nécessaire à sa survie psychique, cherchant au-delà de toute logique – mais c’est une logique de l’inconscient – (qui vient d’ailleurs questionner le principe du plaisir/déplaisir), à préserver l’objet : “cela ne peut pas venir de lui, ça vient de moi”. Processus venant renforcer l’idéalisation de l’objet, cet objet ne pouvant pas être saisi comme objet d’identification puisqu’il ne peut étayer le travail de son effacement.216

Je peux faire ici référence à la position théorique présentée par M. Tomassini lorsqu’il soutient l’idée, à partir de l’analyse des structures perverses, que “‘la mère suffisamment’ ‘ ’ ‘bonne’ ‘ ’ ‘est’ ‘ ’ ‘la mère qui permet la séparation’”. Elle est donc une mère oedipienne et non une mère symbiotique. Reprenant l’analyse de S. Freud dans Un enfant est battu, il en extrait deux modes d’identification masochique : soit le sujet veut être traité comme un enfant méchant, il le connecte alors au masochisme moral, soit il veut être placé dans une position caractéristique de la féminité : être châtré, subir le coït, accoucher. Cette position définit le masochisme érogène et replace la problématique de l’issue masochique à l’intérieur de la question de la désidentification primaire, qui caractérise pour lui le travail de séparation nécessaire à la mise en place de la structuration oedipienne. Il en déduit deux processus, l’un qui maintient dans l’identification à la mère la fusion de l’identification primaire et spécifiant l’impasse des processus évolutifs ; l’autre signifiant, dans l’identification à un enfant méchant, que “‘le passage de la désidentification primaire s’est effectuée, mais dans des conditions défavorables’”. Car, “‘L’enfant méchant peut être un enfant sadique, mais qui en même temps se charge de culpabilité ’ ‘“’ ‘auto-conservatrice’ ‘”’ ‘, et d’angoisse persécutrice’”.

Comme le relève J.L. Donnet, la question de la désidéalisation de l’objet rencontre la nécessité, pour le sujet, de pouvoir accéder au renoncement des investissements primaires, renoncement qui précède l’identification à l’objet qui prend ainsi “une valeur compensatrice en fonction d’une perte reconnue217. De son point de vue, c’est ce travail qui permet l’instauration, dans le surmoi, de la fonction d’idéal, qui, souligne-t-il : “‘témoigne assez de ce que le moi ne se prend pas pour l’idéal, puisqu’il y a écart’”218 (p. 31). Il insiste en particulier sur l’idée que, contrairement à ce que propose S. Freud en 1932, concernant l’organisation post-oedipienne, ce processus implique que “l’identification aux parents n’est pas réussie, ou que sa réussite est celle du clivage du Moi-Surmoi” : “‘La dimension sur-moïque de l’identification en fait donc un introject ’ ‘“’ ‘en viager’ ‘”’ ‘, porteur d’une différence qui serait comme le pendant narcissique dans le registre de l’être, de la différence qui soutient le désir’ ‘ pour l’objet dans le registre de l’avoir’” (p. 32).

L’hypothèse d’une désorganisation du processus semble se confirmer, sur un mode paradoxal, dans la suite des associations d’Amar, lorsqu’à propos des vols qu’il a commis – “‘actes qui le dépassent, et qu’il ne comprend pas’” – il dira “‘ne pas pouvoir se reconnaître coupable, car il faudrait porter toute la responsabilité’”.

Il s’agirait, en quelque sorte, de contenir un sentiment de culpabilité d’autant plus envahissant qu’il n’a pas été intégré aux capacités primaires de représentation du moi, en témoigne l’incapacité actuelle secondaire du moi à différencier ce qui vient de lui et ce qui ne lui appartient pas. La conscience de culpabilité ne peut pas avoir de sens au niveau de la responsabilité que le sujet peut se sentir capable d’assumer lors du passage à l’acte de la pulsion agressive.

Ainsi, ce ne serait pas tant l’absence de l’objet que ses modes de présence qui permettraient une métabolisation des pulsions libidinales et agressives, conflictualisant la relation sujet/objet pour que l’expérience reste suffisamment satisfaisante et que le sujet ne soit pas envahi par la culpabilité, relative à la pulsion agressive. Motion pulsionnelle que le moi, du fait de son immaturité, ne peut pas endiguer seul, sauf à retourner le mouvement agressif (double retournement de la pulsion – S. Freud 1915), ou à se cliver de l’expérience intolérable.

Ne pouvons-nous pas repérer une telle préoccupation au coeur des questions que S. Freud essaye d’élucider en 1926 ? Lorsqu’il s’interroge notamment sur les processus du refoulement à l’oeuvre dans la phobie du petit Hans et qu’il remarque que, contrairement à ce qui est admis jusqu’alors en psychanalyse, le moi ne se défend pas seulement contre la motion tendre interdite mais aussi contre la motion agressive : puisque la formation substitutive du symptôme s’exerce sur le courant agressif envers le père, espérant ainsi éviter le conflit d’ambivalence et stopper le développement de l’angoisse. Ce qui l’amène à proposer, entre autre, que la pulsion de destruction qui s’exerce sur l’objet est à considérer comme une modalité de l’investissement libidinal 219 :

‘“L’investissement sadique d’objet peut donc à bon droit être considéré comme un investissement libidinal ; nos vues sur les diverses organisations de la libido n’ont pas besoin d’être révisées, la motion agressive contre le père peut, au même titre que la motion tendre pour la mère, devenir l’objet du refoulement ”. ’

Cette position de 1926 éclaire dans le sens que nous avons introduit à partir du concept de déprivation de D. Winnicott (page 74) la proposition de 1938 lorsque S. Freud soutient : “‘La conscience de culpabilité’ ‘ se développe aussi à partir de l’amour insatisfait. Comme la haine’”. En effet, si la pulsion agressive peut être considérée comme une modalité de l’investissement libidinal, et peut, au même titre que la pulsion d’amour, être l’objet du refoulement, le travail de la culpabilité va se construire en fonction des modalités de satisfaction de l’investissement pulsionnel, dont l’inhibition engendre l’agressivité : position qu’il reprend et développe en 1929, dans Malaise dans la civilisation, comme nous allons le voir à propos de l’élucidation du mouvement répressif transféré au surmoi “‘qui se mue en sentiment de culpabilité’” (pp. 173 et 187).

Ce point de vue nous permet de travailler la question du rapport de la culpabilité aux possibilités de satisfaction pulsionnelles, non seulement sur le versant de la problématique oedipienne, mais encore dans son rapport à la construction primaire sur laquelle s’édifie les représentations secondaires de l’expérience.

Hypothèse qui s’intégrerait bien à ce moment de la théorie dans le développement qui se trame autour de la question de l’angoisse de castration que S. Freud va pouvoir référer, dans ce texte de 1926, à une angoisse archaïque prototypique produit par l’état de détresse psychique du nourrisson, soumis à la dépendance de l’objet pour son auto-conservation, et pour lequel toute expérience de séparation constitue une expérience de perte de l’objet  :

‘“En remarquant comme nous venons de le faire que le moi a été préparé à la castration par des pertes de l’objet régulièrement répétées, nous obtenons une nouvelle conception de l’angoisse : si jusqu’à présent nous la considérions comme un affect signal de danger, elle nous apparaît maintenant, du fait qu’il s’agit si souvent du danger de la castration, comme la réaction à une perte, à une séparation”.220

Nous-nous interrogerons cependant, dans la deuxième partie, sur la question de savoir si nous pouvons assimiler toutes les séparations à une expérience de perte de l’objet, et si, précisément, nous ne pourrions pas les différencier à partir des modes de présence de l’objet au moment de la dépendance totale (au sens de D. Winnicott).

Nous voyons ici pour Amar comment cette culpabilité primaire, qui semble ne pas avoir trouvé d’issue dans un mécanisme de refoulement de la pulsion agressive, culpabilité inconsciente entretenue par un objet trop insuffisamment bon, ne laisserait pas d’autre choix au sujet que de contre-investir des affects qui l’enferment dans une logique du désespoir : être impuissant et s’en sentir coupable. Le sujet serait alors privé d’expérimenter le jeu de la destructivité et cet empêchement ne peut que renforcer le mouvement de défense primaire par retournement et/ou par clivage venant pervertir le jeu pulsionnel, qui peut se figurer ainsi : je ne crée plus le lien , je le subis. Ce n’est pas le lien qui n’est pas bon, je ne sais plus le créer.

C’est dans une configuration semblable que R. Roussillon théorise les conditions d’exercice de la survie psychique, qui renvoie à un noyau de culpabilité primaire non ambivalent précédant l’organisation de la différenciation sujet/objet. Ce noyau se “calcifie” sur une confusion primaire moi-non/moi : conditions d’expérience auxquelles il attribue “‘l’essence même du clivage’ ‘ du moi’ ”.221

Le processus d’élaboration de la culpabilité secondaire serait donc entravé, privé de pouvoir se construire à partir d’une première construction fantasmatique, dans l’éprouvé structurant de la phase dépressive, lorsque la culpabilité est tolérée et semble être une issue plus acceptable au sentiment d’impuissance que le refuge dans la toute puissance, autre face du désespoir.

Nous pouvons ainsi nous demander si l’acte criminel par sentiment de culpabilité que S. Freud décrit à plusieurs reprises (notamment en 1916 dans Quelques types de caractère dégagés par la psychanalyse, en 1923 dans Le Moi et le ça ou encore en 1928 dans Dostoevski et le parricide) n’appartient pas, dans ce cadre de délinquance, à cette logique inconsciente, lorsqu’il évoque la possibilité d’une culpabilité primaire, précédant l’acte délinquant : “‘On trouve, chez beaucoup de criminels jeunes un puissant sentiment de culpabilité, ’ ‘antérieur et non consécutif au crime’ ‘, un sentiment qui a été le mobile du crime comme si le sujet avait trouvé un ’ ‘soulagement’ ‘ à rattacher ce sentiment inconscient à quelque chose de réel et d’actuel ’”.222

En effet, si en 1916 en particulier, S.Freud rattache explicitement ce processus au travail de la culpabilité oedipienne : “‘Cet obscur sentiment de culpabilité provient du complexe d’OEdipe, il est une réaction aux deux grandes intentions criminelles, celles de tuer le père, et d’avoir avec la mère des relations sexuelles’”223, en 1928 il intègre ce processus dans une problématique oedipienne par le biais d’une culpabilité primaire intériorisée dans la conscience morale, culpabilité primaire qui vient se révéler dans le mouvement de retournement masochique de la pulsion destructrice.

C’est ainsi que S. Freud fait l’analyse de la pulsion destructrice de Dostoïevski224 “‘pulsion qui eût pu aisément faire de lui un criminel [et qui ] est, dans sa vie, dirigée principalement contre sa propre personne (vers l’intérieur au lieu de l’être vers l’extérieur) et s’exprime ainsi sous forme de masochisme’ ‘ et de sentiment de culpabilité’” (p. 163). S. Freud rattache ce retournement pulsionnel au besoin de soulager, paradoxalement, “le poids d’une dette” (p. 175) en jouant et en s’endettant ; il relève dans quelles circonstances Dostoïevski pouvait retrouver un soulagement du sentiment inconscient de culpabilité dont il fait l’hypothèse : “‘Quand le sentiment de culpabilité de Dostoïevski était satisfait par les punitions qu’il s’était infligées à lui-même, alors son inhibition au travail était levée et il s’autorisait à faire quelques pas sur la voie du succès’” (p. 176). S. Freud souligne comment l’écrivain, ‘“’ ‘au lieu de se punir lui-même, se laissa punir par un remplaçant du père’” (p. 172) et constate : “‘C’est un fait que de très nombreux criminels demandent à être punis. Leur surmoi’ ‘ l’exige, et s’épargne ainsi d’avoir à s’infliger lui-même la punition’” (p.172).

Cette perspective nouvelle s’inscrit dans la suite des questions relancées par son article de 1925, Le problème économique du masochisme. Elle reprend la problématique introduite dans Totem et tabou 225 lorsque, d’une part, S. Freud rattache la question de la conscience morale à l’ambivalence : “ ‘C’est ainsi que la conscience morale naît probablement, elle aussi, sur le terrain de l’ambivalence affective’ (1913 - p. 108) ; et lorsque, d’autre part, il rapporte le problème de la culpabilité de l’acte à l’intention : “ ‘Il n’est pas vrai que les obsédés qui, de nos jours subissent la pression d’une sur-morale ne se défendent que contre la seule réalité psychique’ ‘ des tentations et ne considèrent comme des crimes méritant un châtiment que des pulsions uniquement ressenties. Il y a dans leurs tentations et pulsions une bonne part de ’ ‘réalité historique’ ‘ ; dans leur enfance, ces hommes ne connaissaient que de mauvaises pulsions et dans la mesure où leur permettaient leurs ressources infantiles, ils ont plus d’une fois traduit ces pulsions en actes. Chacun de ces hommes se piquant aujourd’hui d’une moralité supérieure a connu dans son enfance une période de méchanceté, une phase de perversion, préparatoire et annonciatrice de la phase sur-morale ultérieure’” (1913 - p. 240). Problématique préfigurant la question de la conscience de culpabilité issue du surmoi, sous-jacente au questionnement de 1914 dans Pour introduire le narcissisme et redéployée, elle aussi, en 1923 dans Le moi et le ça. Nous chercherons à élucider, dans la deuxième partie de ce travail, ce qui permet de différencier, dans la pensée de S. Freud, et à quel moment de la théorie, le sentiment inconscient de culpabilité de la conscience de culpabilité. Ce qui nous engagera ainsi à reprendre (p. 196) et à approfondir, à partir de cette interrogation, les questions que soulèvent le masochisme.

Or passer de l’acte à l’intention c’est, d’une certaine façon, poser le problème de la représentation de cet acte retenu par l’acte de pensée ; c’est se retrouver devant la question de la symbolisation de l’expérience et des conditions qui permettent cette élaboration.

Ainsi, les effets de l’intention, les formes de culpabilité, consciente ou inconsciente, qui vont se déduire des énoncés moïques, peuvent nous renseigner sur les modalités identificatoires. Et, en contrepoint, les effets subjectifs des modes de présence de l’objet vont pouvoir se comprendre à partir de la capacité du sujet à pouvoir s’éprouver coupable et à se donner ou non une représentation de cet affect.

Si l’acte soulage un sentiment de culpabilité inconscient, il y a comme une tentative inconsciente du moi à pouvoir éprouver quelque chose d’irreprésentable, faille dans la symbolisation qui se donne, ainsi que R. Roussillon peut nous le proposer autour du paradoxe de la destructivité, comme une modalité du paradoxe des transferts narcissiques : “‘Souvenir de ce qui n’a pu être expérimenté’”.226

L’acte délictueux vient alors signifier l’impossible élaboration psychique d’un traumatisme qui a eu lieu mais qui n’a pu se symboliser – “traumatisme perdu” – parce que le sujet n’était pas suffisamment constitué pour pouvoir se le représenter.

Et comme le souligne R. Roussillon (1991) dans la reprise théorique des travaux de Winnicott, les paradoxes qui accompagnent les processus de maturation, dans la façon dont ils sont tolérés par le psychisme, se proposent soit : “‘comme un mode de lien et du symbole de l’union’”, ou bien, “‘impensables et ainsi inacceptables [...], ils se présentent au contraire comme une modalité de la pulsion de mort’ ‘ de l’attaque et du clivage’ ”.

Le geste délinquant serait alors une façon de mobiliser l’environnement, de le mouvoir et de l’émouvoir. Se profile également dans ce geste l’appel à l’objet vécu sur le mode de l’indifférence ou du trop de présence, en tout cas énigmatique trop tôt ou trop longtemps.

Notes
216.

M.Tomassini 1992 - Rapport : De l’emprise à la perversion - R.F.P. spécial congrès -p.1593

217.

J. L. Donnet 1995 - Surmoi I - opus cité - p. 27

218.

A ce propos, J.L. Donnet souligne que ’la notion du Moi idéal, par opposition à l’Idéal du moi, n’est pas explicite chez Freud’ (p. 31 - note n°1) proposition que nous aurons l’occasion de travailler en particulier avec A. Green dans la seconde partie de ce travail.

219.

S. Freud 1926 - Inhibition, symptômes, angoisse - opus cité - p. 47 à 49

220.

S. Freud 1926 - Inhibition, symptômes, angoisse - opus cité - p. 54

221.

R. Roussillon 1999 - Violence et culpabilité primaire in Agonie, clivage et symbolisation - p. 83 : ’Le concept d’effraction du pare-excitation signifie [...] que l’exigence de travail psychique imposée par l’environnement excède les capacités du sujet et ainsi lui fait subir une violence qui le place dans une alternative dilemnatique. [...] A la place de la forme matricielle de l’illusion narcissique primaire : ’je suis le sein’ (S. Freud 1938), s’instaure une illusion négative à l’origine du noyau de culpabilité primaire : ’je suis le mal’.’

222.

S. Freud 1923 - Le Moi et le ça in Essais de psychanalyse - p. 226

223.

S. Freud 1916 - Criminels par sentiment de culpabilité in Essais de psychanalyse appliquée - p. 135

224.

S. Freud 1928 - Dostoïevski et le parricide in Résultats, idées, problèmes - Tome II - opus cité

225.

S. Freud 1913 - Totem et tabou - P.B.P. 1992

226.

R. Roussillon 1991 - opus cité - p. 20