III.2.1-4011Défaillance de l’enveloppe signifiante et de l’enveloppe étayante
Mohammed

Il semble en être ainsi pour Mohammed, classé comme récidiviste à 16 ans pour de multiples vols dans les magasins, faisant échouer toutes les tentatives de placement qui l’éloignent du milieu familial auquel il ne paraît, paradoxalement, pas particulièrement attaché (un père “receleur” et complice de ses vols, dont il a peur, une mère “qui le couve” et qui semble ne pas avoir fait le deuil d’un garçon décédé à l’âge de deux ans, renversé par un camion alors qu’elle le promenait dans sa poussette ; Mohammed était âgé de quatre ans au moment de ce drame). Placé à la P.J.J. à l’atelier menuiserie du Centre de jour, il investit particulièrement bien ce lieu, mais ne va pas pouvoir y rester, sur décision du juge (une femme) qui décide de le rescolariser.

Le processus de délinquance se réveille à nouveau et conduit Mohammed une nouvelle fois devant le juge à qui il oppose indifférence et mutisme, réservant à l’assistante sociale qui l’a suivi pendant son placement ses larmes et son accès de rage : “‘j’avais honte pour mes parents, mais au moins ma mère a vu jusqu’où je pouvais aller’”.

Je n’ai pu avoir que trois entretiens avec Mohammed, dont un avec la mère qui se présente comme hyper-protectrice envers son fils, “perle de ses yeux”. Elle semble maintenir son fils dans une sorte d’enkystement narcissique dont il retire manifestement certains bénéfices secondaires. Cette mère, qui se dit très attachée à ce garçon, n’hésite cependant pas, le lendemain de la comparution devant le juge (alors qu’il a été décidé un placement éloigné comme alternative à la prison) à s’absenter le jour de l’entretien organisé par l’éducateur à son domicile pour fixer les modalités de cette séparation. Elle prétextera que “‘des voisines sont venues la chercher pour aller faire des courses’”. La veille, elle avait exprimé devant le juge, dans un français difficile, son découragement et sa méfiance envers “une justice qui n’avait pas su la défendre lors de la mort de son petit garçon”.

Nous pouvons suivre, en filigrane, les emboîtements des souffrances psychiques qui s’expriment dans les vécus d’abandon et de perte qui semblent geler la pulsion libidinale sur un versant narcissique aussi bien du côté de la mère, miroir sans tain, que de son fils, questionnant, au péril de sa propre conservation, la nature de l’attachement maternel. Cette mère ne réussit pas à le maintenir tout en le retenant prisonnier dans son deuil inachevé sur lequel pèse, de son point de vue, une injustice. Elle ne peut pas être aidée et soutenue par le père du jeune homme. Dans ce que j’ai pu comprendre des rencontres entre ce père et les éducateurs, il apparaît pris lui-même dans les contradictions de ses propres failles identificatoires, impuissant à représenter un principe organisateur dans le registre oedipien.

Nous voyons donc bien comment la question de la signification de l’acte délinquant à l’adolescence rencontre la question des modalités d’organisation de la communication inconsciente à l’intérieur du système familial, et nous devons rechercher comment, à travers l’organisation psychique de l’adolescent, s’organise l’empreinte des traumatismes narcissiques parentaux non symbolisés.

R. Cahn réfère cette “‘inscription intergénérationnelle inconsciente’ ‘”’ ‘à ’ ‘“’ ‘la charge affective formidable, permanente, envahissante, présente derrière le non-pensable, l’indicible et qui agit sur l’autre à travers tout l’éventail des moyens de communications habituels destinés à le dissimuler pour, par là-même, mais en creux, en négatif’ ‘,’ ‘ mieux le communiquer’”.227

Ainsi, pour comprendre l’organisation psychique des adolescents délinquants, nous sommes amenés à faire un hypothèse englobant l’organisation des psychés parentales. Leur propre dynamique primaire, insuffisamment secondarisée, entraînerait une défaillance de la transitionnalité, provoquant, pour le sujet, un débordement de ses capacités d’organisation psychique par le facteur quantitatif de la pulsion (qui va faire irruption sur la scène du réel dans le passage à l’acte délictueux). L’économie psychique des parents, pris eux-mêmes dans une problématique narcissique indicible, entretient, dans le sujet, à travers les rôles parentaux dont ils sont investis, les failles qu’ils n’ont pu élaborer. Défaut de l’enveloppe signifiante (inscription), entretenu par et entretenant la faille de l’enveloppe étayante (pare-excitation).

Notes
227.

R. Cahn 1991 - Adolescence et Folie - opus cité - p. 82