SECTION I
SENTIMENT DE CULPABILITÉ - CONSCIENCE DE CULPABILITÉ
L’AMBIGUÏTÉ DU CONCEPT DE CULPABILITÉ CHEZ FREUD

Dans un article récent Albert Ciccone242, à propos de sa pratique avec de jeunes enfants “qui poussent à bout”, décrit précisément chez eux un défaut d’intégration d’une fonction contenante, qu’il met en lien avec une défaillance de la mère à avoir pu retenir puis transformer la pulsionnalité de l’enfant, et, à partir d’observations cliniques de nourrissons il définit les processus intégrateurs d’un surmoi régulateur selon ces deux fonctions :

‘“Un surmoi qui contient, qui limite est d’abord un surmoi qui retient. C’est ensuite un surmoi qui transforme.” ’

Cette position243 a d’autant plus d’intérêt qu’elle se fonde sur l’observation de jeunes bébés pour lesquels, dit-il, la culpabilité est déduite. C’est la fuite ou l’évitement qui est observé et qui nous renseigne sur les éléments persécutoirs ou angoissants, sur l’état de détresse du bébé ou bien sur sa capacité à élaborer ce sentiment dans les actes de réparation : la culpabilité est déduite de ces actes.

La question qui se pose est de savoir comment nous pouvons déduire, des modes de symbolisation qu’il nous est donné d’observer, les modalités de subjectivation de la culpabilité par le bébé ou par le jeune enfant, au sens où il peut rentrer au contact de sa pulsion agressive, reconnaître qu’elle lui appartient et l’intégrer dans ses modes de penser du moment. C’est-à-dire, comment peut-il s’en emparer, la transformer et découvrir une limite qui contient son acte pulsionnel sans qu’elle soit rabattue sur une position de réparation masochique ou maniaque.

Il me semble que l’enjeu de la prise de conscience du sentiment de culpabilité se situe dans cette position subjective que le bébé et l’enfant pourront construire au cours des premiers échanges avec l’objet et des échanges successifs avec leurs objets.

Avant d’aborder la question de la culpabilité chez S. Freud, et pour l’introduire selon cet axe de recherche — ce qui fonde dans la théorie la culpabilité oedipienne et ce qui la rattache à la culpabilité primaire et à l’originaire je vais présenter dans l’histoire de Mathurin ce qui me semble relever du processus de subjectivation, qui permet la réorganisation de l’angoisse en terme de culpabilité suffisamment régulatrice, dans la façon dont ce jeune enfant a pu se saisir de sa pulsion agressive et représenter après-coup, au cours de ses jeux, l’élaboration de ce mouvement où la sollicitude pour l’objet est venu signifier ce travail d’appropriation.

Notes
242.

Albert Ciccone 2000 - Rencontres ouvertes du 8 avril - C.R.P.P.C de Lyon II

243.

Celle-ci semble renvoyer à la question du domptage de la pulsion qui s’établit pour R. Roussillon en particulier sur l’identification du nourrisson à un objet qui lui permet de différer : ’À ce niveau, on ne renonce, on ne s’engage dans une formation de compromis, que pour autant que ce renoncement s’accompagne d’une promesse de réalisation future. La première forme structurante du surmoi n’est pas celle d’une exigence de renoncement radical mais celle d’un différé. Cependant celui-ci ne sera acceptable que pour autant qu’il sera étayé du dedans par des expériences de retour rythmiques du même’. R. Roussillon 1991 - Le rythme, le transitionnel, le transit et le cadre in Paradoxes et situations limites de la psychanalyse - opus cité - p. 211