I.1.2011Principe de plaisir
Automatisme - compulsion de répétition

Nous savons plus précisément depuis l’article de 1911, Formulations sur le cours des deux événements psychiques, retravaillant les premiers développements de L’esquisse de 1895 concernant l’expérience de satisfaction liée à l’état de détresse – Hilflosigkeit – que la symbolisation repose sur les conditions de satisfaction des pulsions. Et depuis 1920, notamment à partir des travaux sur les névroses traumatiques, que le retour d’expériences non symbolisées, repérables dans l’activité psychique de répétition compulsive, complexifie le fonctionnement du principe de plaisir, considéré jusque là par S. Freud comme l’organisateur princeps de la vie psychique, principe économique dont la fonction de décharge des tensions se double d’une fonction de liaison qui, elle, semble être mise en échec :

‘“Il est clair que la majeure partie de ce que la contrainte de répétition fait revivre doit forcément apporter du déplaisir au moi, car elle met en effet au jour les opérations des motions pulsionnelles refoulées, mais ce n’est là un déplaisir que nous avons déjà pris en compte, et qui ne contredit pas le principe de plaisir , déplaisir pour un système et en même temps satisfaction pour l’autre. Mais le fait nouveau et remarquable qu’il nous faut décrire, c’est que la contrainte de répétition ramène aussi ces expériences vécues du passé qui ne comportent aucune possibilité de plaisir et qui même en leur temps ne peuvent avoir été des satisfactions, serait-ce pour les motions pulsionnelles depuis lors refoulées”.263

Or, un mode d’approche théorique concernant l’issue représentative des liens à l’objet, étayé sur et par les modalités de sa présence 264, est sous-jacent dans la pensée de Freud en 1911 lorsqu’il décrit le fonctionnement narcissique primaire fondé sur l’expérience de re-présentations hallucinatoires des réponses de l’objet, préfigurant ainsi la figure de l’Idéal du moi qui portera les traces de la réalisation suffisante ou de l’échec du principe de plaisir :

‘“J’en reviens à des pensées que j’ai développées ailleurs (dans la partie théorique de L’interprétation des rêves) lorsque je suppose que l’état de repos psychique a été troublé initialement par les exigences impérieuses des besoins intérieurs. Dans ce cas ce qui était pensé (désiré) était simplement posé de façon hallucinatoire , comme il arrive aujourd’hui encore chaque nuit avec nos pensées de rêve. C ’est seulement le défaut persistant de la satisfaction attendue , la déception, qui a entraîné l’abandon de cette tentative de satisfaction par le moyen de l’hallucination . A sa place, l’appareil psychique dut se résoudre à représenter l’état réel du monde extérieur et à rechercher une modification réelle . Par là, un nouveau principe de l’activité psychique était introduit ; ce qui était représenté, ce n’était plus ce qui était agréable, mais ce qui était réel, même si cela devait être désagréable”.265

Et, nous le savons, l’organisation du fonctionnement psychique entièrement soumise au principe de plaisir est une fiction, dit S. Freud, “‘qui se justifie quand on remarque que le nourrisson, à condition d’y ajouter les soins maternels, est bien près de réaliser un tel système psychique. Il hallucine vraisemblablement l’accomplissement de ses besoins internes, ’ ‘il révèle son déplaisir, lorsque l’excitation croît et que la satisfaction continue à faire défaut, par la décharge’ ‘ motrice des cris et de l’agitation et il éprouve ensuite la satisfaction hallucinée’”(opus cité - p. 137). Nous voyons donc bien comment le principe de réalité se fonde sur la capacité de l’objet à “détourner” le sujet de la satisfaction hallucinatoire, en lui donnant l’occasion, par sa présence effective, d’organiser l’expérience sur un fond de satisfaction réelle suffisant, permettant un apaisement de la tension psychique issue d’un accroissement d’excitations (et nous reviendrons, à propos du masochisme, sur cet aspect de la question).

Cependant, en 1914, lorsque S. Freud s’interroge sur l’instance surmoïque qu’il est en train de mettre à jour, il l’a conçoit d’emblée de façon ambiguë, sinon paradoxale, à la fois comme une formation interne rassurante à l’intérieur du moi : “‘Il ne serait pas étonnant, dit-il, que nous trouvions une instance psychique particulière qui accomplisse ’ ‘la tâche de veiller à ce que soit assurée la satisfaction narcissique provenant de l’idéal du moi’ ‘ ’ ‘”’, et il lui attribue également, “dans cette intention”, en référence au refoulement théoriquement fondé sur le dualisme pulsionnel de la première topique, une fonction de censeur très rigoureux, sur le modèle du censeur du rêve de 1900 (p. 101) : “‘Elle observe sans cesse le moi actuel et le mesure à l’idéa’ l”. D’où vient alors cette fracture interne générée dans le moi par une instance issue d’une de ses parties qui s’en est différenciée, fracture à laquelle nous pouvons relier le sentiment inconscient de culpabilité sous la forme isolée par S. Freud “de cet obscur besoin de punition ” ?

Se profile dans le texte de 1914 la question d’un clivage dans le moi, reprise en 1919 dans L’inquiétante étrangeté, lorsque S. Freud nous présente à nouveau cette instance surmoïque sous la forme de la conscience morale , issue du double , constituant du narcissisme primaire, figure de l’idéal “ qui était primitivement une assurance contre la destruction du moi”.Or, cette figure bienveillante du double va acquérir au cours du développement, comme principe d’altérité au sein du moi, un caractère qui dépasse le sentiment d’inquiétante étrangeté auquel S. Freud se réfère pour en faire l’analyse. Voici ce qu’il en dit : “‘Ainsi, le caractère d’inquiétante étrangeté inhérent au double ne peut provenir que de ce fait : le double est une formation appartenant aux temps psychiques primitifs dépassés où il devait sans doute alors avoir un sens plus bienveillant. Le double s’est transformé en ’ ‘image d’épouvante à la façon dont les dieux après la chute de la religion à laquelle ils appartenaient sont devenus des démons’ .”.

Notes
263.

S. Freud - 1920 - Au-delà du principe de plaisir - O. C XV - chapitre III - p. 290

264.

En effet, il est important de pouvoir reconnaître, comme le fait R. Roussillon, les deux temps de la symbolisation primaire afin de pouvoir en saisir les impasses, et notamment le sentiment dévastateur d’une culpabilité primaire inconsciente alimentée par la crainte de ne plus savoir créer l’objet, dans lesquelles le moi peut être précipité, comme nous l’avons déjà souligné à la fin de la première partie de ce travail (p. 137).

265.

S. Freud 1911 – Formulations sur les deux principes du cours des évènements psychiques in R.I.P. - Tome I – opus cité – p.136.