II.2-2011La liaison et l’exigence de travail psychique de la pulsion :
Le modèle de 1915

L’autre position qui consiste à référer “‘le fonctionnement psychique dans le rapport de la pulsion à l’objet’” s’appuie, comme le souligne A. Green, sur l’exigence de travail décrite et théorisée par S. Freud en 1915 dans Pulsions et destins de pulsions. 337 Nous pouvons alors en proposer un contrepoint nous permettant de préciser ce que vise le mouvement pulsionnel, dans la conquête identitaire, qu’il s’effectue soit sur le mode de la liaison soit sur le mode de la décharge, pouvant aller à l’extrême de la déliaison, dans la réalisation de la mort psychique ou du meurtre qui échappe au travail symbolique de différenciation338.

Si, d’une part, nous retenons dans ce texte de 1915 l’aspect économique dévolu à la pulsion en terme d’exigence du travail psychique qu’il représente, S. Freud l’entend comme l’essence même de la pulsion qui se caractérise par la constance de cette exigence qui pousse à la satisfaction, but de la pulsion : en ce sens, dit-il, toute pulsion est un morceau d’activité et “‘quand on parle, d’une façon relâchée de pulsions passives, on ne peut rien vouloir dire d’autre que des pulsions à but passif’”.

Si, d’autre part, nous rapprochons ce passage des formulations précédentes, rédigées quelques lignes plus haut dans ce texte, dans lesquelles S. Freud impute au système nerveux, axe biologique, et non à la pulsion, axe psychologique, le rôle de régulation homéostatique du système physiologique “‘sous la domination du Principe de constance’”, le Principe de plaisir étant donc à relier à l’axe psychologique (se dégageant ainsi de la confusion des deux niveaux dans L’esquisse) nous sommes alors confrontés à une complexité que S. Freud a lui-même soulignée :

‘“Le système nerveux est un appareil auquel est impartie la fonction d’éliminer les stimulus qui lui parviennent, de les ramener à un niveau aussi bas que possible, ou qui voudrait, si seulement cela était possible, se maintenir absolument sans stimulus [...] et donnons pour tâche au système nerveux, pour parler en termes généraux, la maîtrise de ces stimulus. Nous voyons alors combien l’introduction des pulsions complique le schème-réflexe physiologique simple . Les stimulus externes n’imposent que la seule tâche de se soustraire à eux ; ce qui se fait par des mouvements musculaires dont l’un atteint finalement le but et devient alors, étant le mouvement approprié à sa fin, la disposition héréditaire 339 . Les stimulus pulsionnels, faisant leur apparition à l’intérieur de l’organisme, ne peuvent être liquidés par ce mécanisme . Ils soumettent donc le système nerveux à des exigences beaucoup plus élevées , ils l’incitent à des activités compliquées, s’engrenant les unes dans les autres, qui apportent au monde extérieur ce qu’il faut de modification pour que celui-ci procure la satisfaction à la source de stimulus interne, et ils le forcent avant tout à renoncer à son intention idéale de tenir à distance les stimulus, puisqu’ils entretiennent un afflux de stimulus inévitable et continu”.’

Dans cette perspective, la question n’est elle pas de savoir comment se fait-il que la pulsion puisse se donner aussi, pour S. Freud après 1920, comme une pulsion de mort recherchant à atteindre, dans ses manifestations les plus destructrices, le degré zéro d’excitation dans l’annihilation soit de l’objet soit du sujet lui-même, perspective qui peut nous faire rabattre le processus sur une problématique de jouissance absolue par les voies les plus rapides, comme Jean Laplanche, par exemple nous l’a proposé.340

C’est bien ce risque que souligne l’auteur dans Les nouveaux fondements pour la psychanalyse. Par ailleurs, nous pouvons noter la critique que J. Laplanche adresse au texte de 1915, dans son introduction, concernant le fondement physiologique de la pulsion, dans la mesure où il souligne comment le modèle emprunté à la biologie est un faux modèle et que par la même il vient signifier “‘comme une double’ ‘ hétérogénéité’”. Il semble au contraire essentiel de pouvoir faire travailler celle-ci avec tous les paradoxes que cela entraîne pour la penser. Là encore nous pouvons faire appel aux travaux de A. Damasio qui décrit très précisément le système neuronal sous la domination du principe homéostatique qui consiste pour le système nerveux à traiter les stimulus de façon appropriée à la conservation du système. Ce point de vue biologique ne l’empêche nullement de différencier la problématique des émotion s et de l’élaboration de la conscience de soi, problématique qui ne se réduit pas au fonctionnement physiologique du système mais qui se fonde, – et comment pourrait-il en être autrement ? – sur ce système. S. Freud en 1915 dans L’Inconscient, se démarquant radicalement d’une position qui retiendrait une localisation anatomique des systèmes qu’il décrit alors en terme d’Ics - Pcs/cs, énonce lui-même sans aucune ambiguïté : “‘C’est un résultat inébranlable de la recherche que l’activité animique est liée à la fonction du cerveau comme à nul autre organe’”341.

Notes
337.

S. Freud 1915 - Pulsions et destins de pulsions in OC XIII - PUF 1988 - pp. 166 et 167

338.

Position qui se rapproche de celle envisagée par R. Roussillon lorsqu’il propose de considérer que ’La mort ou la vie ne serait pas un objectif propre à la visée pulsionnelle mais relatif à certains de ses registres’, référant les processus à la problématique de la représentation soit primaire, en identité de perception sur le mode de l’hallucination, retour à l’identique qui ne permet pas la symbolisation de la pulsion, soit au contraire en identité de pensée, qui permet l’intégration de l’altérité : Roussillon 2000 in L’invention de la pulsion de mort - opus cité - pp. 77 et 78

339.

Il est intéressant de souligner au passage la transformation que subit ’la recherche de l’acte spécifique’ de L’esquisse.

340.

J. Laplanche 1987 - Nouveaux fondements pour la psychanalyse - PUF 1987

341.

S. Freud 1915 – L’inconscient – in O. C. XIII – opus cité – pp. 213 et 214