II.2-4011La liaison et le rythme – Satisfaction et Principe de plaisir

Ainsi, dans la perspective qui est la nôtre, la proposition de S. Freud concernant la définition du masochisme moral, “‘récemment reconnu par la psychanalyse comme sentiment de culpabilité, généralement inconscient’” (1924 – p. 289) qui consiste à le traduire comme un “‘échec de la libido à rendre inoffensive la pulsion de mort’ ‘ expulsée au dehors’”, pulsion de destruction “‘faisant ainsi retour dans le moi sous la forme d’un masochisme secondaire’ ‘ ”’ (1924 – p. 291) semble nous faire perdre toute la dimension de la symbolisation primaire qui se dessine autour de la question du rythme.

En effet, S. Freud laisse irrésolue l’interrogation qui se profile, au début du Problème économique du masochisme, à propos de ce facteur qualitatif dont il fait l’hypothèse, et ceci nous empêche de pouvoir saisir plus précisément le rapport de la satisfaction au fonctionnement du principe plaisir/déplaisir. Cependant qu’il attire notre attention sur cette contradiction apparente du processus de satisfaction, qui peut aussi bien être l’issue d’une augmentation que d’une baisse de l’excitation :

‘“Plaisir et déplaisir ne peuvent donc pas être rapportés à l’accroissement ou à la diminution d’une quantité que nous appelons tension d’excitation , encore qu’ils aient beaucoup à voir avec ce facteur. Il semble qu’ils ne dépendent pas de ce facteur quantitatif , mais d’un caractère de celui-ci , que nous ne pouvons désigner que comme qualitatif . Nous serions ‘beaucoup’ plus avancés en psychologie si nous pouvions indiquer quel est ce caractère qualitatif. Peut-être s’agit-il du rythme , de l’écoulement temporel des modifications, des montées et des chutes de la quantité d’excitation , nous ne le savons pas”. (p. 288 - 1924)’

Cette question du rythme, nous l’avons souligné, est déjà présente dans L’esquisse, lorsque S. Freud évoque le “caractère temporel”, nommée “période”, de l’écoulement d’un neurone à l’autre, pour expliquer la transformation d’une quantité en qualité, ce qui détermine pour lui la possibilité du passage à l’état conscient des processus psychiques :

‘“[...] Cependant, mon hypothèse va plus loin. D’après elle, les neurones perceptifs, incapables de recevoir des quantités ( message URL IMGL1.gif ) assimilent, en revanche, la période d’une excitation . Le fait, pour eux, d’être impressionnés par une période tout en n’étant remplis que d’un minimum de quantité ( message URL IMGL1.gif ) constitue le fondement même de l’état conscient.” (1895 - p.329-330).’

Ces considérations nous renvoient très précisément à ce que D. Winnicott a pu décrire de la fonction de “la mère environnement” qui organise concrètement les séquences temporelles du nourrisson dans les soins qu’elle lui apporte, périodes qui ne doivent pas excéder la capacité du moi à supporter l’absence de l’objet pour que la relation à la mère s’imprègne du sens d’un espace partagé : Il a montré, notamment dans Jeu et réalité,350  l’importance du facteur temps qui organise la capacité du bébé “à utiliser le symbole de l’union”, et lui permet de découvrir l’objet situé à l’extérieur : “‘Le sentiment de l’existence de la mère dure x minutes. Si la mère s’absente plus de x minutes, l’imago’ ‘ s’efface et, dans un même temps, cesse la capacité qu’a le bébé d’utiliser le symbole de l’union. Le bébé est désemparé, mais il est bientôt remis de son désarroi, si la mère revient après x+y minutes. En x+y minutes, il devient traumatisé. Après x+y+z minutes, le retour de la mère ne répare pas l’altération de l’état du bébé. Le traumatisme’ ‘ implique que le bébé a éprouvé une coupure dans la continuité de son existence, de sorte que les défenses primitives vont dès lors s’organiser de manière à opérer une protection contre la répétition d’une ’ ‘“’ ‘angoisse impensable’ ‘”’ ‘ (unthinkable anxiety) ou contre le retour de l’état confusionnel aigu qui accompagne la désintégration d’une structure’ ‘ naissante du moi.’” Et je ne peux ici que renvoyer au travail consacré à ce thème par R. Roussillon en 1991, dans lequel il montre comment l’organisation de la pulsion “‘notamment la différenciation de la source et de l’objet’”, s’effectue progressivement à partir de l’identification à un objet capable de respecter le rythme de l’enfant, ce qui va lui permettre d’étayer dans ses processus internes “‘une appropriation moïque de l’expérience’”.351

Par ailleurs, nous voyons en même temps dans le texte de 1924, comment S. Freud réintroduit le principe de constance (isolé en 1895 en terme de principe d’inertie, absent de la théorie en 1920 comme principe indépendant du principe de plaisir) : ceci lui permet d’un côté de différencier le principe de plaisir/déplaisir de ce principe qu’il rattache au principe de Nirvana de Barbara Low et de résoudre du même coup le paradoxe énoncé en 1920352 d’un principe de plaisir au service de la pulsion de mort :

“‘Mais c’est inconsidérément que nous avons identifié le principe de plaisir’ ‘/déplaisir avec ce principe de Nirvana’  ” (p. 287 - 1924) [...] “‘Le principe de Nirvana exprime la tendance de la pulsion de mort’ ‘ ”’ (p. 288 - 1924) [...] “‘On ne peut se dispenser de désigner le principe de plaisir comme gardien de la vie’”. (p.289 - 1924)

Mais il réintroduit le principe de constance sans tenir compte du fait qu’il attribue de nouveau à la pulsion cette tendance à la stabilité, contrairement à ce qu’il distingue du processus physiologique et du processus pulsionnel en 1915, comme nous l’avons vu précédemment, et répétant la confusion des deux niveaux de 1920 : “‘Nous avons, on s’en souvient’ ‘, ’ ‘compris le principe qui domine tous les processus psychique’ ‘s comme un cas particulier de ce que Fechner nomme tendance à la stabilité’ ‘ et attribué de la sorte à l’appareil psychique le dessein de réduire à rien la somme d’excitation qui afflue en lui ou du moins de la maintenir basse autant qu’il est possible’ . (p. 287 - 1920)

Or il est intéressant de suivre comment s’opère déjà dans L’esquisse cette confusion que nous avons repérée de ces deux registres, physiologique et pulsionnel, puisqu’elle semble entraîner la perte de la notion d’Hilflosigkeit au moment même où elle est reconnue en 1895, cet état de détresse première au stade les plus précoces de la vie, dont l’absence de théorisation semble être aussi au centre de la problématique de 1924 autour de cette interrogation sur le rythme. Dans le texte de 1895, en effet, nous voyons comment, pour satisfaire “à l’urgence de la vie”, le système neuronique est obligé de renoncer au principe primaire d’inertie qui assure son équilibre homéostatique et de prendre en compte les excitations endogènes résultant des changements physiologiques qui s’opèrent en lui.353 Le processus secondaire , psychique, s’origine ainsi dans le soma et pour que les sensations brutes puissent se symboliser en représentation-chose et conduire au réinvestissement hallucinatoire en identité de perception deux conditions doivent être remplies.

La première condition est référée à l’objet, et nous reconnaissons en elle le rôle qui lui est dévolu en 1911 dans Les deux principes du fonctionnement mental pour que soit assuré le fonctionnement du principe de plaisir qui est censé réguler le système psychique : “‘Les excitations ne cessent que si ’ ‘des conditions bien déterminées’ ‘ se trouvent réalisées dans le monde extérieur’ . (p. 317 - 1895). Et plus loin au chapitre II dans L’épreuve de la satisfaction : “‘Cette sorte d’intervention exige que se produise une certaine modification à l’extérieur (par exemple apport de nourriture, proximité de l’objet sexuel), une modification qui, en tant ’ ‘“’ ‘qu’action’ ‘ ’ ‘spécifique’ ‘ ” ne peut s’effectuer que par des moyens déterminés. ’ ‘L’organisme humain, à ses stades précoces, est incapable de provoquer cette action spécifique’ ‘ qui ne peut être réalisée qu’avec une aide extérieure et au moment où l’attention d’une personne bien au courant se porte sur l’état de l’enfant’ . (p.336 – 1895)

Ainsi, pour que la sensation de la tension interne puisse se décharger, l’objet doit se présenter d’une certaine manière ; et, deuxième condition référée au sujet non sans ambiguïté en ce qui concerne le caractère passif ou actif du processus 354, il devient en même temps incontournable pour ce système de pouvoir accepter un certain degré de tension, comme nous l’avons déjà souligné : “‘Il doit apprendre à supporter une quantité emmagasinée (’ message URL IMGL1.gif ‘) qui suffise à satisfaire les exigences d’un acte spécifique’ ‘. Suivant la manière dont il le fait, cependant, la même tendance persiste’ ‘ ’ ‘sous la forme modifiée d’un effort’ ‘ ’ ‘pour maintenir la quantité à un niveau aussi bas que possible et éviter toute élévation, c’est-à-dire pour conserver constant ce niveau’ .” (p. 317)

Nous voyons bien ici comment la question du rythme vient rencontrer celle de la capacité du système à renoncer à “‘l’évitement primaire de toute tension quantitative’ (p. 326 - 1895). Et nous pouvons reconnaître dans l’adaptation nécessaire imposée au psychisme de contenir une certaine quantité de déplaisir pour satisfaire aux pulsions de vie, ce que S. Freud isole en 1924 en terme de masochisme originaire érogène, chargé de lier sur place une partie de la tendance à la décharge pure de tout ce qui peut être ressenti comme du déplaisir.

G. Deleuze355, par exemple, interrogeant la légitimité du principe de plaisir en tant que principe transcendantal, retrouve la définition que S. Freud délimite dès 1895 : ‘Seule la liaison de l’excitation la rend “résoluble” en plaisir’ ‘, c’est-à-dire’ ‘ ’ ‘en rend possible la décharge’ ‘. Sans l’activité de liaison, il y aurait sans doute des décharges et des plaisirs, mais épars, au hasard des rencontres, sans valeur systématique’ ‘. ’ ‘C’est la liaison qui rend possible le plaisir, comme principe’ ‘, ou qui fonde le principe de plaisir. Et cette liaison constitutive d’Eros, nous pouvons, ’ ‘nous devons la déterminer comme “répétition”’ ‘ : répétition par rapport à l’excitation ; répétition du moment de la vie, ou de l’union nécessaire même aux unicellulaires’”. C’est ici toute la problématique de l’investissement d’un objet à l’extérieur de soi qui entre en jeu, avant même que cet objet puisse être reconnu objectivement, double jeu de l’objectif et du subjectif à l’origine de l’organisation potentielle de la pulsion.

‘“Une autre partie (de la pulsion agressive) ne participe pas à ce déplacement vers l’extérieur, elle demeure dans l’organisme et là elle se trouve liée libidinalement à l’aide de la coexcitation sexuelle dont nous avons parlé ; c’est en elle que nous devons reconnaître le masochisme originaire érogène.” (p. 291 – 1924)’

Et nous voyons aussi comment ce travail psychique “originaire”, qui s’organise dans les échanges relationnels avec l’objet auquel le sujet se relie pour une prime de plaisir : la satisfaction de ce qui est désiré, qui s’exprime aussi à travers la recherche d’une satisfaction indispensable à toute une série de besoins pour satisfaire à un équilibre psychique,356 s’étaye bien sur un équilibre physiologique mais pour s’en différencier radicalement.

Il ne s’agit pas du principe d’inertie qui tend à retrouver une homéostasie biologique limitant au maximum les tensions au niveau des neurones. Il s’agit au contraire d’assurer un “‘effort constant d’investissement’ ‘ de l’objet’” pour perpétuer ce qui a été découvert, et, pour assurer ce travail psychique de représentation, il est nécessaire que l’appareil psychique ne soit pas débordé par les tensions internes ou externes que ce travail engendre nécessairement.

Cet aspect économique de la question, qui réfère la problématique de la satisfaction à la possibilité pour le moi de maîtriser l’accroissement de la tension, est assez clairement présenté en ces termes par S. Freud en 1926, lorsqu’il déclare dans Inhibition, Symptôme, Angoisse, à propos de l’élaboration théorique de la position d’Otto Rank concernant l’angoisse prototypique de la naissance, que la situation originaire de danger est  “‘constituée par la perturbation économique consécutive à l’accroissement des quantités d’excitation qui exigent d’être liquidées’ et contre laquelle le moi se défend “‘de façon automatique’” (p. 81) : “‘Si le nourrisson manifeste un désir’ ‘ si vif de percevoir la mère, ce n’est que parce qu’il sait par expérience qu’elle satisfait tous ses besoins sans délai. La situation qu’il considère comme un ’ ‘“’ ‘danger’ ‘”’ ‘, contre laquelle il veut être garanti, ’ ‘est par’ ‘ ’ ‘conséquent celle de l’insatisfaction, de l’accroissement de la tension du besoin, en’ ‘ ’ ‘face de laquelle il est impuissant’ ‘. Je pense que de ce point de vue tout s’ordonne ; la situation d’insatisfaction – où des quantités d’excitation atteignent un niveau déplaisant ’ ‘sans maîtrise possible par utilisation psychique et décharge’ ‘ – doit être, pour le nourrisson, l’analogue de l’expérience de la naissance, la répétition de la situation de danger’.”

Or en 1895, il semblerait bien que ce soit autour de la question de la rupture d’un équilibre (rupture de rythme) entre ce que le sujet peut contenir, une quantité d’excitation liée psychiquement, et ce dont il est envahi par l’extérieur, (ce qui devrait alerter S. Freud quant au rôle de l’objet externe dont il a posé la nécessaire intervention pour ce qu’il a dénommé “l’épreuve de satisfaction  ”), autour donc d’une rupture potentiellement désorganisatrice pour la cohésion du système, (qui préfigure la théorisation du traumatisme en 1920) que va se jouer la perte de ce qui tendait à se représenter en terme de liaison de l’expérience fondée sur l’étayage du mouvement pulsionnel par l’objet . S. Freud, en effet, va rabattre le mode de décharge d’une tension psychique, organisé par le principe de plaisir, sur le mode de la tendance primaire à la décharge physiologique, organisé par le principe d’inertie. Est-ce le terme de constance que l’on retrouve impliqué dans les deux principes qui induit cette confusion ? Et c’est la douleur physique qui lui sert alors de modèle pour exprimer la rupture du pare-excitation interne qu’il vient de décrire sous la forme prototypique des barrières de contact entre les neurones dont la fonction est d’assurer la rétention de charge nécessaire à la fonction secondaire :

‘“Existe-t-il un phénomène capable de coïncider avec l’échec de cette organisation 357 ? A mon avis oui, la douleur. Tout ce que nous savons de la douleur confirme cette thèse. Le système neuronique tend, de la façon la plus marquée, à fuir la douleur et nous voyons dans cette réaction une manifestation de sa tendance primaire à éviter tout accroissement de tension quantitative ( message URL IMGL1.gif ). Nous en concluons que la douleur consiste en une irruption de grandes quantités (Q) dans Ψ . Les deux tendances n’en constituent donc qu’une seule et unique.” (p. 326 - 1895).’
Et c’est dans cette logique qu’il finit par rabattre, purement et simplement, le principe de plaisir sur la tendance primaire à l’inertie. Exit le principe de liaison : “‘Nous savons qu’il existe dans le psychisme une certaine ’ ‘tendance à éviter le déplaisir’ ‘, ’ ‘nous sommes donc tentés de confondre’ ‘ cette tendance avec celle, primaire, à l’inertie. En ce cas, le déplaisir coïnciderait avec une élévation du niveau de la quantité (’ message URL IMGL1.gif ‘) ou avec une augmentation de tension ; une sensation serait perçue quand la quantité (’ message URL IMGL1.gif ‘) augmenterait dans ψ. Le plaisir na’ ‘îtrait d’une sensation de décharge’ .” (p.331 – 1895).

Cette logique va avoir pour conséquence, entre autres, de rendre la théorisation de l’organisation du narcissisme primaire et secondaire d’autant plus confuse que le temps second de la symbolisation primaire, que S. Freud a commencé à repérer  lorsqu’il décrit les premiers éléments d’organisation du moi en 1895, va se perdre lui aussi, notamment dans la théorisation du masochisme en 1924.358 S. Freud a pourtant bien décrit en 1895, avec l’entrée en jeu de l’objet, comment sa fonction de déflexion associée à sa fonction de liaison constituent pour le sujet un temps nécessairement second dans ce passage obligé par ses soins et l’empreinte, sinon l’emprise, qu’il produit dans le travail psychique interne étayé sur ses modes de présence :

‘“Quand la personne secourable a exécuté pour l’être impuissant l’action spécifique nécessaire, celui-ci se trouve alors en mesure, grâce aux possibilités réflexes, de réaliser immédiatement, à l’intérieur de son corps, ce qu’exige la suppression de stimulus endogène. L’ensemble de ce processus constitue un “fait de satisfaction” qui a, dans le développement fonctionnel de l’individu, les conséquences les plus importantes. Trois phénomènes, en effet, se produisent dans le système Ψ  : 1 e Une décharge durable s’effectue, ce qui entraîne la suppression de la tension ayant suscité en W 359 du déplaisir ; 2 e L’investissement correspondant à la perception d’un objet se produit dans un ou plusieurs points du pallium ; 3 e D’autres points du pallium reçoivent l’annonce de la décharge provoquée par le déclenchement du mouvement réflexe qui a suivi l’action spécifique . Un frayage s’établi entre ces investissements [(2) et (3)] et les neurones nucléaires [qui ont été chargés à partir des sources endogènes durant le stade d’urgence].”. (p. 337 – 1895)’

Nous allons effectivement retrouver les effets de ce manque, les effets de l’absence de l’objet dans la théorisation, lorsque S. Freud déclare par exemple en 1924 :

‘“En prenant son parti d’une certaine inexactitude, on peut dire que la pulsion de mort qui est à l’oeuvre dans l’organisme – le sadisme originaire , est identique au masochisme . Après que sa plus grande part a été déplacée vers l’extérieur sur les objets, ce qui demeure comme son résidu dans l’intérieur, c’est le masochisme proprement dit , érogène , qui d’une part est devenu une composante de la libido et d’autre part garde toujours pour objet l’être propre de l’individu. Ce masochisme serait donc un témoin et un vestige de cette phase de formation dans laquelle s’est accompli cet alliage, si important pour la vie, de la pulsion de mort et d’Eros. Nous ne serons pas étonnés d’apprendre que, dans des circonstances déterminées, le sadisme ou pulsion de destruction , tourné vers l’extérieur, projeté, peut être de nouveau introjecté, tourné vers l’intérieur, ayant de la sorte régressé à sa situation antérieure . Il donne alors le masochisme secondaire qui vient s’ajouter au masochisme originel.” ’

Mon intention n’est pas de faire une analyse exhaustive du texte de S. Freud qui a par ailleurs été faite notamment par Benno Rosenberg dans un contexte théorique qui cherche, précisément, comme nous l’avons vu, à “mettre en évidence le concept de pulsion de mort“.360 Mais nous devons souligner cependant comment il est difficile à l’auteur de ne pas complexifier indirectement la question, lorsqu’il réintroduit la question du rôle de l’objet :

‘“Le moi ne peut pas se former sans que la pulsion de mort soit liée, autrement toute ébauche de moi primaire est détruite [ ...] Ceci dit, l’opposition que nous essayons d’établir entre l’intrication pulsionnelle secondaire, se réalisant à travers l’objet, et l’intrication pulsionnelle primaire se jouant autour du moi-sujet, n’est que relative , limitée. En effet, si l’on part de la dyade-unité mère enfant, on est amené à penser que c’est la mère qui prend en charge la liaison de la pulsion de mort par la libido tant que l’enfant ne peut le faire par lui-même [...] Il est probable que c’est elle qui détermine la qualité de l’intrication primaire , l’existence d’un noyau masochique primaire solide qui assure une continuité interne suffisante , ou bien au contraire, un dysfonctionnement de ce noyau-organisation masochique primaire ayant pour conséquence une menace – qui peut être grave – de discontinuité du fonctionnement du moi” (p.79).’

En 1999, travaillant les enjeux de la passivité dans l’organisation du masochisme, il reconnaît, à nouveau, à l’objet ce rôle essentiel dans les processus d’intrication de la pulsion de mort par la libido. Alors qu’il vient de reconnaître l’existence à priori de la pulsion de mort orientée vers l’intérieur (comme nous l’avons déjà souligné p. 216), il soutient “‘qu’il nous faut ajouter que cette liaison ne peut se faire que par l’intermédiaire de l’objet’ ‘. ’ ‘Ce qui suppose que la libido a, auparavant’ ‘, ’ ‘dans un premier temps’ ‘, ’ ‘investi l’objet’”361. Mais il va ensuite, à la fois, défendre la présence d’un noyau masochique dans le moi, sur la base de cet investissement objectal, qui sera attaqué par la pulsion de mort interne et projeté ensuite dans l’objet, comme objet masochique, fondant ainsi un “masochisme objectal”, et justifiant ainsi la haine362, tout en référant phénoménologiquement la constitution d’un tel processus au stade de l’indifférenciation narcissique primaire tel que S. Freud le décrit en 1915. Or, il y a une contradiction interne qu’il est bon de souligner dans la mesure où elle me semble se référer à la même confusion que nous avons relevée lors de notre discussion autour de la constitution de l’épreuve de réalité par rapport à A. Green (dans la première partie de ce travail, p. 79 à 82) entre l’objet subjectivement créé et ce qui est objectivement trouvé : comment en effet postuler en dehors de ce paradoxe proposé par D. Winnicott, un décalage temporel entre la constitution de l’objet qui serait secondaire à la constitution du noyau masochique, qui, lui, se construirait originellement, sur un objet libidinalement investi alors que l’objet n’est pas encore représenté?

Notes
350.

D. Winnicott 1951 - La localisation de l’expérience culturelle in Jeu et réalité - opus cité - p 135 

351.

R. Roussillon 1991 - Le rythme, le transitionnel, le transit et le cadre in Paradoxes et situations limites de la psychanalyse - opus cité - pp. 198 à 21.

352.

S. Freud 1920 - Au-delà du Principe de plaisir in O.C. XV p. 337 :’Le principe de plaisir semble tout simplement être au service des pulsions de mort’.

353.

S. Freud 1895 - Le point de vue biologique in L’esquisse - opus cité - p. 323 : ’Rappelons-nous que, dès le début, deux fonctions incombaient au système neuronique : recevoir les stimuli de l’extérieur et assurer la décharge des excitations endogènes. C’est de cette dernière tâche, nous le savons (p. 318) que naquit, sous la pression des nécessités vitales, un besoin de poursuivre le développement biologique.’

354.

Cette ambiguïté, due à la position de dépendance du moi, semble introduire d’emblée la possibilité pour le moi d’un processus de défense sur les deux modes du retournement actif/passif et passif/actif selon la position fantasmatique dans laquelle il se trouve dans son rapport à l’objet : Dans Pulsions et destins des pulsions - 1915 - opus cité, S. Freud indique par exemple que ’le moi-sujet est passif vis-à-vis des stimulus externes, actif du fait de ses propres pulsions’.

355.

G. Deleuze 1967 - Présentation de Sacher Masoch - La Vénus à la fourrure - Editions de Minuit - p. 98

356.

S. Freud 1915 - Pulsions et destin des pulsions - opus cité - p. 182 : ’Des objets qui servent à la conservation du moi, on ne déclare pas qu’on les aime, mais on souligne qu’on a besoin d’eux, et l’on permet éventuellement que s’exprime en supplément une relation d’un autre genre, en usant de mots qui suggèrent un aimer très affaibli, tels que : aimer bien, aimer voir, trouver agréable.’

357.

(Qή) représentant la quantité ’psychique’, (Q) représentant la quantité ’extérieure’ - L’esquisse - opus cité - p. 315 - note 1

358.

D.Braunschweig 1995 in Le double - Monographies de la R. F. P. - sous la direction de C. Couvreur, A. Fine et A. Le Guen - PUF 1997 - pp. 62 et 63 : Il me semble que D. Braunschweig souligne d’une certaine manière cette difficulté lorsqu’elle remarque que ’l’individualité confuse’ entre l’idéal du moi ’héritier du narcissisme’ et le surmoi ’héritier du complexe d’OEdipe’ résulterait de l’attribution à l’instance primaire dégagée en 1914 des fonctions de censure, d’observation, de surveillance et de conscience morale qui appartiennent aussi au surmoi en 1923. Et elle précise : ’Il nous semble que par la suite, l’affirmation d’un masochisme primaire, première liaison in situ de la pulsion de mort par Eros (1924) viendra recouvrir et reléguer à l’arrière plan, entre autres aspects de la théorie du narcissisme, le narcissisme primaire du bébé, révélateur par sa projection sur ce dernier de celui de ses parents, mais aussi, et l’on peut les relier, le stade narcissique de la réunion des auto-érotismes sur un corps propre investi de libido érotique.’

359.

W = système perception

360.

B. Rosenberg 1991 - Masochisme mortifère et masochisme gardien de la vie - Monographies de la R. F. P. - PUF 1999 3e édition - p. 60

361.

B Rosenberg 1999 – Masochisme et passivité in Enjeux de la passivité - R.F.P. n° 5 - p. 1660

362.

B. Rosenberg 1999 – opus cité supra : ’Pour nous, l’apparition de la haine correspond à la projection de la pulsion de mort sur l’objet et à son intégration à l’intérieur de ce dernier. La haine est ainsi la réaction aux menaces potentielles qui viennent de l’objet chargé de la pulsion de mort, menaces que le moi connaît bien, qu’il a projetées sur l’objet et dont il craint le retour. La haine est surtout une défense contre ce retour possible, toujours possible, de la destructivité’. Ainsi, cette expérience de l’objet ne serait que pure projection, l’objet serait innocenté de tout ce qu’il fait vivre !