III - 1011LA CULPABILITÉ, LE CADRE, L’AFFECT ET LA SYMBOLISATION

Nous avons donc été confrontés, en explorant les moments premiers de la construction du moi, à l’importance que revêt le mode de relation organisé par l’objet pour que soit assuré un étayage suffisant à la symbolisation de l’expérience primaire, favorisant l’élaboration de l’ambivalence et la capacité du moi à reconnaître en lui les mouvements libidinaux et agressifs qui lui appartiennent. Mais la symbolisation repose aussi sur la capacité du moi à supporter la part d’insatisfaction incontournable liée au travail psychique qu’elle requiert, dont va dépendre sa capacité à s’approprier la culpabilité intrinsèque à l’élaboration de l’ambivalence envers l’objet.

Nous avons souligné à quels modes de défenses le sujet pouvait avoir recours pour répondre à cette nécessité, psychiquement vitale, lorsque l’objet le contraint à un travail dépassant les capacités d’élaboration du moi, lorsque l’expérience se donne comme une emprise de l’objet sur son propre désir, confrontant le moi à l’expérience d’un sentiment de culpabilité primaire irreprésentable, désorganisant le travail de transformation de la pulsion.

Nous avons vu notamment comment cette emprise de l’objet, et l’angoisse qu’elle suscite, semblent avoir pour conséquence de contraindre le sujet à des comportements de maîtrise, qui empruntent à la projection et au retournement des mouvements pulsionnels, en les pervertissant au sens propre du terme,400 les modes d’élaboration de la symbolisation primaire et entretiennent, notamment dans les processus d’idéalisation, la dépendance à l’objet auquel le sujet reste fixé.

Et tout au long de ce travail, nous avons repéré, en filigrane, l’importance de l’affect qui doit pouvoir trouver, au moyen d‘un objet qui peut suffisamment en reconnaître les modalités d’expression, une possibilité de transformer la charge libidinale ou agressive d’investissement dont il est porteur afin que celle-ci soit dotée d’une représentation lui permettant de lier l’angoisse mobilisée par le travail de différenciation à l’intérieur de la psyché entre le moi et ce qui se constitue à l’extérieur de sa subjectivité.

Lorsque ce travail psychique a abouti à une impasse et que la souffrance qui en résulte peut encore alimenter le désir chez le sujet de trouver une issue à sa difficulté de vivre, le cadre thérapeutique peut se proposer comme relais imaginaire pour soutenir l’effort de symbolisation dans lequel le clinicien va se sentir sollicité.

Notes
400.

Comme nous l’avons indiqué p. 22, pervertir : du latin pervertere ( per et vertere) qui signifie tourner, retourner, renverser et finalement corrompre. Notons aussi ce que Littré cite de Baudel à propos des notes nouvelles sur Poe pour illustrer le terme de perversité : ’Il y a dans l’homme, dit-il (Poe) une force mystérieuse dont la philosophie moderne ne veut pas tenir compte ; et cependant sans cette force innommée, sans ce penchant primordial, une foule d’actions humaines resteront inexpliquées, inexplicables. Ces actions n’ont d’attrait que parce que elles sont mauvaises, dangereuses ; elles possèdent l’attirance naturelle du gouffre. Cette force primitive, irrésistible, est la perversité naturelle, qui fait que l’homme est sans cesse et à la fois homicide et suicide, assassin et bourreau.’ - Le Grand Robert 1978 - Tome 5 p. 146