5. L’évolution des directives ministérielles

5.1 L’écriture intéresse le législateur

L’intérêt du législateur pour l’écriture n’est pas récente : déjà la Loi du 15 mars 1850 l’intégrait aux matières obligatoires de l’enseignement primaire ; l’arrêté du 31 décembre 1867 en faisait une épreuve d’admission dans les écoles normales dont elle devient, par le décret du 22 janvier 1881, une partie du programme. Buisson pense même que le programme des écoles normales de 1850 lui accorde trop de place puisqu’il comporte l’étude de genres d’écriture qui ne sont pas évalués à l’examen final. Même ’l’enseignement donné dans les salles d’asile publiques ou libres comprend les premiers principes de l’écriture (Décr. 21 mars 1855, art. 2)’26. Le programme donné pour l’école maternelle par les instructions du 16 mars 1908 comporte les premiers éléments de l’écriture pour la section des grands : ’Premiers exercices d’écriture. Premiers exercices de lecture et, le plus vite possible, copie quotidienne d’une des phrases de la leçon de lecture, écrite au tableau noir’27. Les instructions de 1938 précisent que ’tous les soins devront être donnés à l’écriture cursive’28. Lorsque, en 1956, un arrêté supprime l’horaire d’écriture au Cours Moyen, des inspecteurs réagissent : ’Reste l’écriture dont on regrettera peut-être la disparition à l’horaire du Cours Moyen. Mais il est possible de rectifier et de perfectionner la calligraphie des enfants pendant l’horaire consacré aux devoirs [...] Il est conseillé de réserver, à l’intérieur des 5 heures de devoirs, trente minutes par semaine à des exercices d’écriture méthodique’29. La circulaire du 3 septembre 1965 souligne : ’en plus des qualités générales que l’attention accordée à l’écriture et à la bonne tenue des cahiers peut développer chez les enfants, des expériences récentes ont apporté la preuve que l’acquisition d’une bonne orthographe dépend au moins partiellement du soin avec lequel les devoirs sont écrits chaque jour’30. La circulaire du 4 décembre 1972 affirme que ’si les occasions d’écrire ne sont saisies qu’à l’occasion d’exercices appelant l’attention sur d’autres soins que celui de l’écriture -travaux d’expression écrite, d’orthographe, etc. - on ne s’attendra pas à des chefs-d’oeuvre de graphisme. Or, il est nécessaire que l’écriture devienne aisée, régulière et bien lisible’31.

La circulaire du 2 août 1977 précise qu’en maternelle, ’l’apprentissage du « tracé » de signes arbitraires peut, malgré tout, être abordé, au moins en section des grands’32. La même circulaire demande que l’instituteur ’fasse appel, chez l’enfant, au besoin de correspondre avec une personne absente et veille à ne proposer que des graphismes recouvrant des significations’33. Alors qu’il y avait, dans les textes précédents, certes bien anciens, une incitation à faire écrire les enfants, à leur donner les premiers éléments d’apprentissage de l’écriture, on peut avoir l’impression d’une invitation à exclure totalement l’écriture de l’école maternelle. Mais c’est surtout une attention aux capacités de l’enfant qui est exigée, afin que l’enseignant lui permette une copie s’il en est capable.

L’arrêté du 10 juillet 1980 prescrit ’des exercices méthodiques d’écriture’34 pour le cycle moyen. Mais les programmes précis avec répartitions n’existent plus pour aucun des niveaux de l’école élémentaire. Le texte donne cependant des indications concernant la tenue et l’attitude des élèves. L’acte d’écrire reste valorisé, reconnu comme moyen de liaison entre la motricité et l’intelligence et moyen d’éducation de la sensibilité esthétique. L’arrêté du 23 avril 1985 continue à indiquer l’importance de l’écriture : ’Discipline de la main et du corps, support de tous les enseignements, l’écriture est l’objet d’une attention constante de la part du maître : elle exige l’exactitude du tracé, le respect des règles, la qualité de la présentation’35.

La loi d’orientation de 1989 a institué trois cycles pour l’école primaire : le cycle des apprentissages premiers, qui concerne la maternelle, le cycle des apprentissages fondamentaux, qui correspond à la Grande Section maternelle et aux deux premières années de l’école élémentaire, le cycle des approfondissements qui remplace ou recouvre les CE2 et CM. Même si l’école maternelle demeure, elle est plus associée à l’école élémentaire puisque la Grande Section fait partie du cycle des apprentissages fondamentaux comme du cycle des apprentissages premiers. Les compétences, dont la liste a été établie en 1991, et les programmes de 1995 ont donc été pensés de façon à ce qu’il y ait une continuité sur toute la durée de l’école primaire (maternelle et élémentaire). L’écriture y est considérée comme importante pour chacun des trois cycles. Des compétences sont à développer dans ce domaine tout au long de la scolarité primaire. Les programmes sont plus développés au cycle des apprentissages premiers ; les exercices doivent toujours y être ’fonctionnels et inscrits dans des activités signifiantes’36. Ils se réduisent au cycle des apprentissages fondamentaux et, au cycle des approfondissements, le verbe apprendre n’est plus utilisé. Cependant, une attention reste portée à l’écriture tout au long de la scolarité primaire.

De toute évidence, l’apprentissage de l’écriture a toujours eu une importance aux yeux du législateur. Cet apprentissage commence à la fin de l’école maternelle pour se poursuivre durant toute la scolarité primaire. L’intérêt du législateur pour cet apprentissage ne peut donc pas être une cause de la crise de la pédagogie de l’écriture. Mais, s’il s’est toujours manifesté, les programmes et instructions n’en ont pas moins beaucoup évolué.

Notes
26.

Buisson, F. : Dictionnaire de Pédagogie, 1 è partie, Tome 1, Paris 1887, p.801.

27.

LETERRIER, L. : Programmes instructions, Hachette, Paris 1973, p.24.

28.

GOSSOT, H. ; HERBINIERE-LEBERT, J. et BRUNOT, F. : L’enseignement du premier degré de 1887 à 1962 - De la Théorie... à la Pratique. ISTRA, Paris 1963, p.523.

29.

id. p.525.

30.

AUZIAS, M. : L’apprentissage de l’écriture. Colin, Paris 1966, p.56.

31.

LETERRIER, L. : op. cit. p.104.

32.

LETERRIER, L. : Programmes instructions. Hachette, Paris 1981, p.133.

33.

id.

34.

id. p.374.

35.

MINISTERE DE L’EDUCATION NATIONALE : Ecole élémentaire. Programmes et instructions. B.O. CNDP 1985, p.25.

36.

MINISTERE DE L’EDUCATION NATIONALE : Programmes de l’école primaire. CNDP 1995, p.32.