En ce qui concerne l’apprentissage de l’écriture pour les enfants à la fin du siècle dernier, Buisson affirme que l’élève doit être guidé et que, ’dans toute leçon, le maître doit :
Rappeler les règles pour la position du corps et la tenue de la plume ;
Faire lire le modèle, qui doit être le même pour toute la classe ;
Montrer au tableau la manière d’exécuter les lettres les plus difficiles ou celles qui sont le plus souvent mal formées ;
Enfin passer de table en table pour redresser les positions mauvaises du corps et de la plume et corriger les formes bizarres’37.
La démarche est donnée. Il resterait à préciser ce que sont les règles pour la position du corps et la tenue de la plume ainsi que la manière d’exécuter les lettres, ce qui est fait, selon Buisson, dans les ’bonnes méthodes’38 qu’il énumère.
Les instructions de 1923 mettent en évidence la préoccupation hygiénique de la pédagogie de l’écriture. Le choix de la méthode est laissé à l’appréciation de l’enseignant, ’l’essentiel est que la méthode adoptée permette à l’enfant de se placer, pour écrire, dans les meilleures conditions hygiéniques. Qu’il se tienne bien droit devant son cahier, le torse vertical, les deux avant-bras également appuyés sur la table, les yeux à 30 centimètres environ du papier. Trop souvent, ces conditions ne sont pas réalisées ; trop souvent, nos écoliers se courbent et se tordent devant leur page d’écriture, au grand dommage de leur colonne vertébrale, de leurs poumons et de leurs yeux’39. La bonne attitude corporelle pour l’écriture est donc justifiée par des préoccupations orthopédiques, respiratoires et visuelles. C’est la mécanique corporelle qu’il est important de préserver. Pour cela, il faut lutter contre les causes des dysfonctionnements : ’trop souvent le mal vient, soit de la construction défectueuse des tables et des bancs, soit de la mauvaise disposition du cahier, soit d’une sorte de paresse physique qui laisse fléchir le corps. Du moins faut-il éviter qu’à ces causes, contre lesquelles on ne saurait trop énergiquement réagir, ne vienne pas s’ajouter l’emploi d’une mauvaise méthode’40. A part le choix du mobilier qui est certainement limité pour l’instituteur, la lutte contre les causes se fait par des conseils, par des exigences posées pour les élèves. La volonté de l’enfant sera nécessairement sollicitée pour lutter contre sa ’paresse physique’.
La circulaire du 3 septembre 1965 souligne l’intérêt des nouveaux outils scripteurs plus commodes que le porte-plume : ’il n’y a donc pas lieu d’interdire les instruments à réservoir d’encre, ni même les crayons à bille qui procurent des avantages de commodité pratique, à condition qu’ils soient bien choisis, et qu’ils permettent, sans effort excessif des doigts, du poignet et de l’avant-bras, d’obtenir une écriture liée, régulière et rapide. Les maîtres veilleront toutefois au bon emploi de ces divers types d’instruments et feront apprendre des graphies correspondantes’41.
La préoccupation hygiénique n’est sans doute pas abandonnée, mais l’attention est portée davantage sur des aspects fonctionnels : il s’agit d’éviter les efforts excessifs, de faciliter l’acte d’écrire. On constate aussi un souci d’adéquation entre les graphies que l’on fait apprendre et les instruments utilisés. Tout outil ne permettrait donc pas de réaliser n’importe quelle graphie.
L’attention accordée à l’écriture et à la tenue du cahier développe aussi des ’qualités générales’42 que la circulaire ne nomme pas.
Ce sont peut-être ces qualités qui sont citées dans la circulaire du 4 décembre 1972 : ’L’enfant qui apprend à écrire, à bien conduire les mouvements de sa main, s’exerce au contrôle de soi’43. Il n’est plus seulement question d’hygiène, mais de maîtrise de soi. Il s’agit donc, non seulement d’apprentissage moteur, mais d’éducation : ’La liaison, la sûreté, la légèreté des gestes qu’exige une « bonne écriture » sont des éléments de l’éducation que l’on ne peut négliger sans dommage’44. Cela n’exclut pas la visée fonctionnelle : ’l’élève qui écrit péniblement sera gêné dans ses études, et dans sa vie’45. Le choix des outils les plus commodes est officiellement recommandé : ’Le crayon à bille et à pointe mousse seront les instruments préférés. [...] Mieux vaut désormais s’épargner les difficultés de la plume à bec’46.
En 1972, pour la première fois, l’acte graphomoteur est situé dans un ensemble plus large du point de vue fonctionnel : ’le progrès de l’écriture dépend des possibilités psychomotrices de l’enfant’47. Et l’intérêt de la préparation reçue à l’école maternelle se trouve souligné, les enseignants de l’école élémentaire étant invités à la poursuivre en cas de besoin.
La réforme ’Haby’, du nom du ministre de l’Education Nationale de l’époque, remet l’accent, à la fin des années 1970, sur les exigences posturales et sur la tenue de l’outil scripteur. Curieusement, ce n’est pas pour les cycles préparatoire et élémentaire que des recommandations sont faites à ce sujet, mais pour le cycle moyen. Ainsi, c’est l’arrêté du 10 juillet 1980 qui préconise de veiller ’tout particulièrement à la tenue et à l’attitude des élèves : position assise sur le siège, face à la table ; position des avant-bras ; tenue du crayon, du stylo’48. Mais il ne suffit pas à l’enseignant d’exiger la bonne tenue et la bonne préhension de l’outil. Il lui faut développer chez les enfants ’l’habileté motrice et la conscience posturale [qui] constituent des conditions d’exécution correcte et aisée de l’acte d’écrire’49. Cet acte est donc dépendant de fonctions psychomotrices. Le législateur cherche même à souligner la globalité de l’être humain, affirmant que l’acte d’écrire ’assure des liaisons entre la motricité et l’intellect (coordination de l’oeil et de la main)’50. Même si l’on voit mal comment la coordination de l’oeil et de la main concerne les liaisons entre la motricité et l’intellect, on perçoit une évolution dans la façon de comprendre la personne humaine. Celle-ci n’est plus appréhendée comme une juxtaposition de fonctions indépendantes les unes des autres ; les liaisons interfonctionnelles sont prises en compte. La compréhension mécanique de l’acte moteur fait place à une conception fonctionnelle dans laquelle la motricité se trouve en situation d’interdépendance avec l’intellect. Il ne s’agit plus d’inculquer de bonnes habitudes motrices à l’enfant, mais d’intégrer l’apprentissage de l’écriture à ’l’éducation d’une culture de la sensibilité esthétique (calligraphie, présentation de textes, illustration...)’51.
Les programmes de 1995 insistent sur le développement de la signification de l’acte d’écrire chez l’enfant : ’L’activité graphique n’est d’abord qu’une trace laissée par le corps ou la main sur des supports variés avec des instruments spécifiques. Progressivement, l’enfant s’approprie ces tracés qui deviennent des figures porteuses de sens et il utilise leur pouvoir de communication’52. C’est ce qui justifie que les exercices d’écriture soient ’toujours fonctionnels et inscrits dans des activités signifiantes’53 dès l’école maternelle. Par ces exercices, ’l’enfant améliore la sûreté de ses gestes, apprend à mobiliser plus finement sa main, à mieux tenir les divers instruments scripteurs, à explorer les contraintes des différents supports. Par des jeux variés, il explore l’espace graphique et le répertoire des différents tracés’54. L’exercice est fonctionnel et favorise le développement de la motricité. L’accent est mis sur l’exploration par l’enfant des supports, de l’espace, de sa motricité graphique.
BUISSON, F. : Dictionnaire de pédagogie., 2ème partie, tome I, p.644.
BUISSON, F. : Dictionnaire de pédagogie, 1ère partie, tome I, p.799.
GOSSOT, H. ; HERBINIERE-LEBERT, J. et BRUNOT, F. : op. cit. p.523.
ibid.
AUZIAS, M. : op. cit. p.56.
ibid.
LETERRIER, L. : 1973, op. cit. p105.
ibid.
ibid.
ibid.
ibid.
LETERRIER, L. : 1981, op. cit. p.375.
ibid.
ibid.
ibid.
MINISTERE DE L’EDUCATION NATIONALE : 1995, op. cit. p.25.
ibid.
ibid.