5.3 L’évolution des contenus d’enseignement

Il est une autre évolution dans les programmes et instructions concernant l’apprentissage de l’écriture qui nous semble importante, c’est celle des contenus d’enseignement. Jusqu’en 1972, les répartitions par Cours (Préparatoire, Elémentaire et Moyen) et par mois et semaines, sont indiquées aux enseignants. Au Cours Préparatoire, ce sont les lettres minuscules qui sont apprises, selon un ordre déterminé ; les mots à faire écrire aux élèves, en fonction de la lettre apprise, sont même fournis. Au Cours Elémentaire, après reprise des minuscules, ce sont les majuscules qui deviennent objet d’apprentissage, puis les lettres minuscules script et, à la deuxième année du Cours Elémentaire, les majuscules de cette même écriture script. Celle-ci demeure cependant facultative. ’Nos répartitions - lettres minuscules et lettres majuscules - dispensent de tout commentaire’55, dit le législateur.

La tâche du maître se trouve très facilitée mais aussi très contrainte. Il est exécutant d’instructions précises. Il a relativement peu de liberté, à part le choix d’enseigner ou non l’écriture script. Il existe un rapport d’autorité entre le législateur et les enseignants. D’ailleurs, l’importance de l’autorité du maître dans la classe est aussi affirmée par le législateur. En effet, il fait allusion aux pensums, interdits par les textes : ’En ce qui concerne les « pensums », nous voudrions rassurer les maîtres qui seraient hantés par la crainte d’en donner. Une « copie » mal écrite, une « dictée » bourrée de fautes (malgré le soin apporté à sa préparation), doivent être remises au net. Les maîtres soucieux de leur autorité connaissent d’ailleurs rarement la nécessité d’une telle mesure’56. C’est donc l’autorité qui assure l’application des élèves, application grâce à laquelle ils écriront nécessairement correctement. Ecrire mal n’est donc pas une question de capacités, de compétences, mais d’application.

Les instructions ministérielles suivantes, celles de la loi ’Haby’, sont tout à fait différentes sur ce plan. Elles ne formulent que peu de contenus mais précisent les compétences à développer en fonction des cycles de la scolarité. Les répartitions mensuelles et par semaine n’existent plus. Les lettres minuscules et majuscules doivent toujours être apprises, dès le cycle préparatoire. Mais d’autres aspects de l’apprentissage de l’écriture sont soulignés. Ainsi, pour le cycle préparatoire, il s’agit pour l’enfant de ’maîtriser l’acte matériel d’écrire’57, ce qui comporte, non seulement la reproduction des lettres, mais aussi la capacité à lier les lettres d’un même mot et de laisser des espaces entre les mots. Pour ce même cycle, l’enfant doit pouvoir ’copier sans faute, au moins mot à mot (à la rigueur syllabe par syllabe mais non lettre à lettre) des phrases simples et courtes (vitesse moyenne d’exécution de l’ordre de 30 à 40 lettres à la minute)58.

L’arrêté du 7 juillet 1978 précise qu’au cycle élémentaire l’élève doit manifester une sensibilité ’à la qualité de la présentation et à la lisibilité de l’écriture’59 et, bien sûr, respecter les normes de l’écriture qui ont été apprises au cycle précédent.

L’arrêté du 10 juillet 1980 indique aussi que les élèves doivent être habitués à bien écrire et à bien disposer et présenter leur travail. Les exercices méthodiques d’écriture retrouvent leur place au cycle moyen, place qu’ils avaient officiellement perdue depuis 1956. Ils seront faits dans deux optiques :

‘’ceux pour lesquels l’accent sera mis sur la calligraphie (les exercices de copie calligraphiée ne dépasseront pas 5 à 6 lignes) ;
- ceux pour lesquels il faudra concilier au mieux lisibilité et vitesse d’exécution, l’essentiel étant que les enfants prennent conscience de l’intérêt pratique de savoir écrire vite et bien (éventuellement en utilisant des abréviations : entraînement à la prise de notes)’60.’

Les contenus sont plus larges et moins précis qu’auparavant. L’organisation dans le temps en incombe au maître.

En 1985, de nouveaux programmes sont publiés. Le maître doit toujours rendre l’enfant sensible aux normes de l’écriture et à la qualité de la présentation. Les programmes présentent quelques modifications : l’apprentissage des majuscules retourne au Cours Elémentaire (on ne parle plus de cycles) où la courte copie prend place également ; l’attention aux signes de ponctuation et accents passe au Cours Préparatoire ; au Cours Moyen, on parle d’ ’amélioration de la qualité technique de l’écriture manuelle’61, et non plus de recherche de vitesse.

En 1995, les compétences sont dissociées des programmes, au moins partiellement car il s’agit parfois d’une formulation différente de la même réalité. Le programme de maternelle est déjà très important, mais demeure cependant peu précis. Ainsi, ’tout enfant doit commencer à s’entraîner à l’écriture cursive’62 et découvrir la fonction de l’écriture. Le législateur indique les éléments de travail suivants :

Dans ces activités, il faudra veiller à la position du corps ; il faudra prendre des précautions très particulières avec les enfants réellement gauchers, pour qu’ils parviennent à écrire aussi lisiblement et rapidement que les droitiers.’63

Nous avons reproduit toutes ces prescriptions car elles montrent de fortes exigences de la part du législateur et la formulation des consignes qui ne permet pas de savoir immédiatement comment les appliquer. Ainsi, comment contrôler les ’tracés de l’écriture cursive afin d’éviter les retours en arrière’ et surtout comment apprendre à le faire ? Quelles ’précautions très particulières’ faut-il prendre avec ’les enfants réellement gauchers’ ? Qu’est-ce qu’un enfant réellement gaucher ?

Pour le cycle des apprentissages fondamentaux, le législateur prescrit la ’reproduction de lettres minuscules cursives et [la] liaison entre elles de lettres constituant un mot [et la] reproduction progressive de majuscules de l’écriture cursive’64 ; on retrouve les données précédentes. Il n’est pas nécessairement question d’apprentissage du ductus, c’est-à-dire de la conduite du geste, de la trajectoire, mais de reproduction. ’Au cycle des approfondissements, l’élève écrit soigneusement, rapidement et lisiblement’65 : cela signifie-t-il un apprentissage pour y parvenir ? Le législateur ne le dit pas.

Notes
55.

LETERRIER, L. : 1973, op. cit. p.281.

56.

id. p.198.

57.

LETERRIER, L. : 1981, op. cit. p.214.

58.

ibid.

59.

id. p.263.

60.

id. p.374.

61.

MINISTERE DE L’EDUCATION NATIONALE : 1985, op. cit. p.34.

62.

MINISTERE DE L’EDUCATION NATIONALE : 1995, op. cit. p.33.

63.

ibid.

64.

id. p.46.

65.

id. p.58.