5.4 En conclusion

L’importance de l’écriture a toujours été affirmée par le législateur et, lorsque son apprentissage a été un peu délaissé pour le Cours Moyen, les inspecteurs de l’Education Nationale ont donné aux enseignants les moyens d’y conserver sa place malgré tout. Cette importance s’est manifestée jusque par des directives concernant des programmes et des horaires d’écriture dans les écoles normales. Il n’en est plus de même aujourd’hui. Peut-être d’ailleurs est-ce là une des causes de la crise qui retient notre attention : non pas que ces programmes aient été supprimés, mais qu’il n’y ait plus de formation des enseignants à l’écriture et à sa pédagogie. Une telle formation permettrait de compenser une absence sans doute justifiée de directives précises pour l’enseignement de l’écriture à l’école, voire de la remplacer avantageusement. Mais il ne s’agit certainement pas de reprendre les programmes des écoles normales de la fin du siècle dernier qui étaient centrés sur l’apprentissage de divers genres d’écriture par les futurs enseignants. Il s’agirait plutôt de permettre à ceux-ci d’acquérir les connaissances, les repères suffisants pour concevoir leur pratique. Car c’est ce qui leur est demandé aujourd’hui et qui est rendu indispensable du fait de la moindre précision des textes officiels.

Les directives ministérielles montrent une évolution considérable en ce qui concerne les finalités de l’apprentissage de l’écriture. Il s’agit, dans un premier temps, de conserver la mécanique corporelle en bon état de fonctionnement. Ensuite vient le souci de faciliter l’acte graphique, l’écriture régulière et rapide devant être obtenue sans effort excessif. Puis l’écriture devient moyen d’éducation au contrôle de soi, sans perdre de vue qu’il faut pouvoir écrire avec aisance, pour les études et la vie future. C’est alors que les possibilités psychomotrices de l’enfant constituent, pour le législateur, un facteur essentiel de progrès dans l’apprentissage de l’écriture. Et ces possibilités psychomotrices sont développées par le travail fait en maternelle, travail que les enseignants de l’école élémentaire sont invités à poursuivre en cas de besoin. Il reste à savoir comment déterminer ce besoin et quels dispositifs mettre en oeuvre pour développer des possibilités psychomotrices qu’il convient de définir. De toute évidence, il y a là un manque. En maternelle, il s’agit aussi d’adapter les propositions pédagogiques aux capacités de l’enfant. Il est donc indispensable de pouvoir les évaluer. Que proposer à l’enfant selon son âge et ses capacités ? C’est une question importante.

Les instructions de la réforme ’Haby’, redisant le souci d’une bonne tenue et d’une bonne préhension de l’outil scripteur, précisent que l’exigence des maîtres ne suffit pas : c’est l’habileté motrice et la conscience posturale qu’il convient de développer pour favoriser l’exécution correcte et aisée de l’écriture. L’acte d’écrire se trouve même doté par le législateur d’une fonction de lien entre la motricité et l’intellect. Si ceci nous semble discutable, nous ne pouvons qu’adhérer au souci de prise en compte d’une globalité de l’être dans l’éducation et l’apprentissage. C’est ce souci de compréhension globale de la personne qui a présidé à l’émergence et au développement de la psychomotricité. Mais, si l’on peut admettre que l’habileté motrice et la conscience posturale favorisent la bonne tenue, la bonne préhension de l’outil scripteur, l’exécution correcte du tracé, il reste à définir celles-ci. Et leur acquisition par l’enfant, qui ne peut être que progressive, demande réflexion pour que la pédagogie soit adaptée aux capacités de l’apprenant. Comment ces orientations des textes officiels peuvent-elles être mises en oeuvre par les enseignants si ceux-ci n’ont pas cette compréhension de la globalité de l’être humain, de l’évolution de l’acte graphique, ni les moyens de les développer ? Il y a donc nécessité d’une formation théorique et d’une proposition d’outils pratiques. La psychomotricité est, non pas seule mais en complément d’autres disciplines, en mesure d’apporter cela.

Les programmes de 1995 mettent l’accent sur le sens que peut avoir l’acte d’écrire pour l’enfant. Le seul exercice considéré est l’exercice graphique. C’est lui qui va permettre l’amélioration du geste, la tenue de l’outil et l’exploration des outils. Il n’est plus question de possibilités psychomotrices à développer, ce que nous ne pouvons que déplorer. Si la psychomotricité est, comme nous le pensons, un moyen de contribuer à résoudre la crise de la pédagogie de l’écriture, c’est, en effet, regrettable que les textes officiels l’oublient.

Nous avons constaté que les programmes précis se sont considérablement réduits. L’enseignant, par le fait même, n’est plus simple exécutant de directives ministérielles. Mais concevoir sa pratique est plus complexe qu’appliquer des consignes. Une formation qui comporte, non seulement des ’recettes’ en termes de savoir-faire, mais aussi des éléments théoriques, s’avère indispensable. En ce qui concerne la pédagogie de l’écriture, la psychomotricité peut constituer un outil de formation. On pourrait aussi penser que les manuels scolaires relatifs à l’apprentissage de l’écriture peuvent suffire aux enseignants. Mais, nous allons le voir, ils ne présentent pas suffisamment de cohérence.

La pédagogie de l’écriture est en crise. Les enseignants ne savent pas comment aider les enfants dans leur apprentissage de l’écriture. Ils ne savent pas bien ce qu’ils doivent enseigner, particulièrement en ce qui concerne les lettres (types de lettres, ornementations, ductus) car l’éducation de la motricité graphique ne fait généralement même pas partie de leurs préoccupations.

Lorsque l’outil scripteur imposait par lui-même une adaptation du geste, le problème ne se posait que peu. Le législateur et les méthodes indiquaient aussi aux enseignants les normes tant sur le plan de la posture et du geste graphique que sur celui des modèles à apprendre. L’enseignant n’avait pas à se préoccuper du contenu de son enseignement ; il lui suffisait d’appliquer les directives. Nous avons vu que celles-ci ont perdu de leur précision alors que les outils scripteurs se sont diversifiés et sont devenus plus aisés à manier. De plus, la formation des maîtres en ce qui concerne la pédagogie de l’écriture semble avoir presque complètement disparu. Les psychologues et psychanalystes ont interrogé les pratiques des enseignants, bien entendu sans leur fournir de nouveaux modèles pédagogiques. La centration sur le sens du message, au détriment de sa forme et de l’acte qui le réalise, s’est répandue du fait de certains écrits (Ferreiro, Vigotsky, Charmeux...).

Tout cela a contribué à éliminer les modèles existants de pédagogie de l’écriture centrée sur les acquisitions graphomotrices. Les enseignants s’en trouvent donc désemparés. Pourtant, la maîtrise de l’acte graphique n’est pas un but en soi : non seulement elle ne s’oppose pas à la production de sens, mais elle est à son service.

Nous retiendrons aussi, pour notre part, que les textes officiels ont, entre 1970 et 1980, affirmé que ’le progrès de l’écriture dépend des possibilités psychomotrices de l’enfant’66. Il fallait donc, selon le législateur, développer ces possibilités : habileté motrice, conscience posturale. L’école maternelle permet déjà des acquisitions sur ce plan, et l’école élémentaire doit poursuivre le travail entrepris. Le souci de prise en compte de la globalité de l’être humain est affiché, mais les fonctions psychomotrices qui sont nécessaires à l’apprentissage de l’écriture ne sont pas suffisamment précisées.

Les programmes et compétences de 1995 ne mentionnent plus du tout la psychomotricité. Nous le déplorons, mais cela peut se comprendre par le fait qu’il ne suffit pas que les textes officiels affirment la nécessité de prendre en compte la globalité de la personne pour que cela puisse se faire. Il est indispensable que les enseignants comprennent cette globalité pour qu’ils puissent intégrer cette conception de l’être humain dans leur pratique pédagogique. Or, même les textes officiels restent imprécis en ce qui concerne les fonctions psychomotrices qui permettent l’apprentissage de l’écriture.

Nous comprendrons mieux, lorsque nous aborderons l’aspect historique de la psychomotricité à l’école, pourquoi celle-ci a été abandonnée dans les années 1980.

Notes
66.

LETERRIER, L. : 1973, op. cit. p.105.