1. Quand commencer l’apprentissage de l’écriture ?

Il est difficile de savoir si le moment est venu pour l’enfant d’entreprendre cet apprentissage qui, comme le souligne Berthet, nécessite une certaine maturité intellectuelle, affective. C’est pourquoi elle affirme que ’la notion de trajectoire avec la contrainte qu’elle comporte ne peut être introduite qu’en Grande Section’68. C’est aussi pourquoi elle réserve l’apprentissage de l’écriture proprement dit au Cours Préparatoire. Elle est là en accord avec Casteilla69 ainsi qu’avec Valot qui pense qu’il est risqué de faire écrire les enfants trop tôt et que ’la première précaution consiste à ne pas faire écrire prématurément les enfants dans les classes enfantines ou maternelles’70 ; il affirme que l’apprentissage de l’écriture ne doit pas commencer avant le Cours Préparatoire, même pour des enfants de cinq ans maintenus en Grande Section maternelle. Il demande que l’on ne fasse pas de graphisme en lien avec la langue écrite avant l’école élémentaire.

Selon Calmy71, c’est un âge mental de cinq ans qui est nécessaire pour apprendre à écrire. Et c’est le test maison, élaboré par Simon, qui permet de déceler l’âge de l’écriture. Il faut le faire passer de mois en mois dans les Moyennes et les Grandes Sections de maternelle afin de ne pas laisser passer la période sensible. Selon les résultats au test, soit l’enfant fera des exercices quotidiens d’écriture, soit il en fera une ou deux fois par semaine, soit il fera des exercices graphiques quotidiens et quelques exercices d’écriture de semaine en semaine. L’apprentissage ne doit être ni trop précoce ni trop tardif. Même si elle reconnaît un risque de précocité, Calmy suggère de faire écrire des noms et des déterminants, des verbes et des sujets, dès la Moyenne Section.

Hebting, prenant en compte les résultats des travaux de Lurçat, affirme qu’entre 4 et 5 ans ’se pose sans doute déjà le problème de la motivation de l’écriture’72, mais l’apprentissage de l’écriture se fait au Cours Préparatoire. Octor et Kaczmarek citent les instructions officielles de 1977 et préconisent ainsi l’apprentissage du tracé de graphismes signifiants dans le but de correspondre avec des personnes absentes. Pourtant, après avoir fait écrire son prénom par l’enfant de Moyenne Section, ils font écrire lettres et chiffres en Grande Section où l’enfant apprend aussi à ’copier des mots du vocabulaire affectif [et] copier un texte court en relation avec les activités de la classe’73.

Pour Chaumin et Lassalas, c’est au début de la Grande Section de maternelle que se pose la question de l’apprentissage de l’écriture. Elles préconisent d’observer les enfants pour leur proposer ce qui leur est adapté : l’institutrice ’attend les émergences, provoque ensuite ce qui permettra l’exercice de fonctions qui se cherchent et se construisent progressivement’74.

Que retenir de ces préconisations ?

A quel âge faut-il commencer l’apprentissage de l’écriture ? Voilà une première question à laquelle il n’est apparemment pas simple de répondre, puisque nous nous trouvons, avec les sept ouvrages cités, dans trois orientations différentes. Pour Chaumin et Lassalas, c’est l’observation, à partir du début de la Grande Section maternelle, qui doit permettre d’adapter les propositions de l’enseignant aux capacités des élèves. Pour Calmy, le test maison constitue l’outil de détermination de la période sensible de l’apprentissage de l’écriture, période qui se situerait de la Moyenne Section à la Grande Section de l’école maternelle, alors que, pour Casteilla, Valot et Hebting, il faut attendre le Cours Préparatoire pour envisager cet apprentissage.

Seul Hebting se réfère aux travaux de Lurçat pour étayer son point de vue. Calmy, bien qu’elle connaisse aussi ces travaux, n’y fait pas référence pour choisir l’âge d’apprentissage de l’écriture. Elle préfère avoir recours au test maison, élaboré par Théodule Simon, et qui est censé déterminer un âge mental. On constate que les résultats à ce test n’entraînent qu’une modification de fréquence des exercices d’écriture auxquels sont ajoutés, si les résultats sont faibles, des exercices graphiques. Il paraît peu cohérent de ne faire varier que cela si le test détermine la capacité à entrer dans l’apprentissage de l’écriture. On pourrait en effet penser que les exercices d’écriture ne devraient intervenir que lorsque l’âge mental de cinq ans, affirmé par la réussite au test maison, serait atteint. Une autre contradiction apparaît chez Calmy : alors qu’elle souligne le risque de précocité d’apprentissage de l’écriture, elle fait écrire des noms et des déterminants, des verbes et des sujets, dès la Moyenne Section de l’école maternelle. On retrouve, à un moindre degré, cette contradiction chez Octor et Kaczmarek puisqu’ils font copier, dès la Grande Section, des mots et des phrases qui ne semblent pas destinés à la correspondance avec une personne absente alors qu’ils s’appuient sur les instructions officielles pour lesquelles c’est la condition d’apprentissage de signes arbitraires. Quant à Hebting, il n’explicite pas le décalage d’âge entre la motivation pour l’écriture et son apprentissage. Enfin, Chaumin et Lassalas, qui préconisent d’observer l’enfant, n’outillent pas les enseignants pour cela. Car attendre les émergences peut être tout à fait pertinent si l’on sait les repérer. Les enseignants ont donc besoin de savoir quoi observer.

Nous ne pouvons nous contenter d’une approche psychométrique comme Calmy. Ne prendre en compte que la notion d’âge mental pour déterminer la capacité à entrer dans l’écriture nous paraît discutable. Une approche plus globale, prenant en compte les différentes composantes du développement, nous semble indispensable. Car l’apprentissage de l’écriture demande, certes, une certaine maturité intellectuelle et affective, mais aussi une maturité motrice. Si les travaux de Lurçat sont particulièrement importants pour situer l’enfant dans son évolution graphique, ceux de Perron et Coumes75 et ceux de Ajuriaguerra et Auzias76 le sont tout autant. La psychomotricité peut les compléter et fournir avec eux aux enseignants d’autres repères d’observation, complémentaires de ceux qu’apportent les écrits de Lurçat.

Notes
68.

BERTHET, D. : Manuel d’apprentissage de l’écriture, Retz, Paris 1996, p.89.

69.

CASTEILLA, A. : L’écriture pour tous, Apprentissage et rééducation de l’écriture, André Casteilla, Paris 1982.

70.

VALOT, C. : Pédagogie de l’écriture. L’école, Paris 1986, p.9.

71.

CALMY, G. : L’apprentissage de l’écriture. Retz, Paris 1980.

72.

HEBTING, C. : De la calligraphie à l’écriture, Magnard 1993, p.17.

73.

OCTOR,R. et KACZMAREK, J. : Pour un apprentissage structuré de l’écriture, Armand Colin, Paris 1989, p.133.

74.

CHAUMIN, R. et LASSALAS, P. : Ecrire, le geste et le sens. Nathan, Paris 1981.

75.

PERRON, R. et COUMES, F. : Etude génétique des traces graphiques, in AJURIAGUERRA, J. (de) et al. : L’écriture de l’enfant, Tome I- L’évolution de l’écriture et ses difficultés, Delachaux et Niestlé, Neuchâtel 1964, pp. 9-116.

76.

AJURIAGUERRA, J. (de) et AUZIAS, M. : L’évolution de la motricité graphique, in AJURIAGUERRA, J. (de) et al., op. cit. pp.117-222.