2.2 Contenus de la préparation à l’apprentissage de l’écriture

Nous venons d’évoquer, au paragraphe précédent, quelques éléments de la préparation à l’apprentissage de l’écriture. On peut reconnaître un certain accord entre les auteurs pour affirmer que cet apprentissage comporte une préparation motrice et une préparation sensorielle. Le travail de la motricité digitale est cité par tous, comportant pour la plupart des exercices graphiques. La motricité plus large, mettant en oeuvre les bras ou le corps dans son ensemble, est mentionnée par quelques auteurs seulement. Calmy seule situe le travail moteur selon une progression qui respecte les lois céphalo-caudale et proximo-distale, visant par conséquent une progressive indépendance segmentaire et, s’agissant du geste graphique, une réduction progressive du tracé. Quant aux aspects sensoriels, ils ne sont cités que par Octor et Kaczmarek, et par Calmy. Ils consistent en des exercices de discrimination visuelle pour Octor et Kaczmarek, en une éducation sensorielle avec verbalisation pour Calmy qui y fait intégrer tout un vocabulaire d’orientation spatiale et y fait effectuer la schématisation d’un parcours. D’autres auteurs visent aussi le développement de l’organisation spatio-temporelle, sans utiliser la dénomination de préparation sensorielle, sans doute du fait que le travail réalisé à cet effet met en jeu les fonctions motrices autant que les fonctions perceptives.

Selon plusieurs auteurs, la préparation à l’écriture concerne le schéma corporel, mais de façons diverses. Ainsi, lorsque Hebting parle de l’éducation du membre supérieur dans le schéma corporel, il indique la mobilisation de l’épaule, du bras, de la main avec reproduction de mouvements, verbalisation d’actions, symbolisation par schéma ou dessin, mais aussi dissociation coude et corps, main et avant-bras, éducation de la main, relaxation, immobilisation volontaire d’un segment et tenue de l’outil scripteur. Il inclut la latéralité dans l’organisation du schéma corporel. Pour Calmy, la fermeture des yeux lors d’exercices aide l’enfant à intégrer son schéma corporel. Quant à Berthet, la préparation du corps en ce qui concerne le schéma corporel consiste en l’exercice des fonctions motrices, en la conscience du corps en mouvement, enfin en l’intériorisation, la représentation mentale, la mémorisation. Ces trois auteurs parlent-ils de la même chose ? Seule Berthet indique la définition du schéma corporel que donne le Docteur Le Boulch, à savoir ’l’intuition d’ensemble ou la connaissance immédiate que nous avons de notre corps à l’état statique ou en mouvement dans le rapport de ses différentes parties entre elles et surtout dans ses rapports avec l’espace et les objets qui nous environnent’80.

La question de la latéralité n’est également abordée que par quelques auteurs. Ils sont tous d’accord pour affirmer que la latéralité concerne une dominance fonctionnelle d’un côté sur l’autre, ou une asymétrie fonctionnelle, encore qu’on pourrait discuter de l’équivalence de ces expressions. Ils sont aussi d’accord sur le fait que la latéralité se met en place pendant les premières années de la vie et est généralement établie vers six ans.

Par contre, il est bien d’autres aspects de la latéralité sur lesquels leurs propos divergent. Rieu et Frey-Kerouedan, préconisent d’aider l’enfant à acquérir une latéralité homogène, c’est-à-dire une même prévalence pour l’oeil, la main et le pied. Octor et Kaczmarek pensent qu’une latéralité hétérogène, qu’ils nomment ’dysharmonique’, peut être source de difficultés. Hebting et Berthet se contentent l’un et l’autre de constater que tout le monde n’a pas une latéralité homogène. Pour eux, une prévalence latérale doit s’établir au niveau manuel. Mais, alors que Hebting affirme que les ambidextres peuvent être ou non latéralisés, Berthet considère l’ambidextrie comme une mauvaise latéralisation.

Rieu et Frey-Kerouedan, Octor et Kaczmarek préconisent de déterminer la dominance latérale de l’enfant. Pour ce faire, ils n’utilisent pas les mêmes tests ; Octor et Kaczmarek en mentionnent beaucoup plus. Pour Rieu et Frey-Kerouedan, on devra renforcer la dominance latérale ainsi déterminée par ’des situations pédagogiques particulières [dans lesquelles] l’enfant pourra « entraîner » son côté privilégié, sans que lui soit imposée d’emblée une dominance latérale arbitrairement dictée par la pression sociale’81 ; mais ils ne disent pas ce que sont ces situations pédagogiques ! Chez Octor et Kaczmarek, la finalité de l’examen de la latéralité n’est pas évidente : ils indiquent seulement qu’il faut le réaliser lorsque l’enfant a des difficultés graphiques ou pour ’éviter de baptiser « gaucher » un enfant non ou mal latéralisé’82. Ils jugent important de proposer aux jeunes enfants de multiples occasions ’d’exercer leur habileté manuelle, et surtout en les laissant librement utiliser les deux mains’83 et d’apporter une aide particulière à l’enfant gaucher dans l’écriture. On ne sait donc pas pourquoi l’examen de la latéralité doit être effectué lorsque l’enfant a des difficultés graphiques. Par contre, si l’enfant est gaucher, le fait d’en avoir la certitude permet de lui apporter l’aide dont il a besoin pour apprendre à écrire. Berthet considère qu’il est nécessaire de déterminer le côté prévalent en cas de question sur le choix de la main pour écrire. Elle propose des ’exercices de latéralisation’84, mais ceux-ci concernent l’orientation dans l’espace corporel et extra-corporel et non la latéralité. Berthet justifie son choix en affirmant que, ’si l’enfant connaît bien son corps au niveau du vécu et du senti, et pas simplement intellectuellement, s’il a de bons repères spatiaux, la latéralisation ne pose en général aucun problème’85. Pour les enfants qui ont davantage de difficultés, les exercices qu’elle propose visent à développer ’une prise de conscience susceptible de renforcer la tonicité et la connaissance du côté dominant’86. Il serait nécessaire de montrer comment la prise de conscience peut renforcer la tonicité, car cela est loin d’être évident.

Cette préparation à l’apprentissage de l’écriture en est, selon les auteurs, plus ou moins éloignée sur le plan temporel. En effet, elle peut commencer très tôt en maternelle, mais aussi continuer à se faire alors même que l’enfant a déjà commencé à apprendre à écrire.

La plupart des auteurs semblent d’accord pour affirmer que l’écriture met en jeu des capacités motrices et sensorielles qui doivent donc être développées pour que l’enfant puisse apprendre à écrire. Mais seule Berthet utilise des exercices qui sont issus de la rééducation psychomotrice de l’écriture telle qu’elle a été élaborée par Auzias et Denner. Seule Calmy se réfère aussi à la méthode du Bon Départ, qui est elle-même également une méthode de rééducation psychomotrice. Deux questions se trouvent ainsi posées : celle du passage du champ rééducatif au champ pédagogique et celle des relations entre la psychomotricité et la pédagogie de l’écriture. Cette dernière est aussi posée par la préparation à l’écriture qui se fait, pour certains auteurs, par des exercices psycho-moteurs. Calmy va encore plus loin en préconisant une éducation psycho-motrice du geste graphique dont le principe essentiel est : ’vivre les mouvements dans l’espace avant de vivre des trajectoires sur le papier’87. Sans qu’ils qualifient leur pédagogie de psychomotrice, Rieu et Frey-Kerouedan88 font aussi expérimenter les formes et trajectoires des lettres de l’alphabet avant de les faire tracer sur le papier. Mais Calmy fait, en outre, représenter des trajectoires réalisées par d’autres enfants. Le passage du mouvement au graphisme est donc réalisé de deux façons différentes : l’enseignant fait représenter par des enfants, soit les parcours ou mouvements réalisés par d’autres élèves, soit ceux qu’ils viennent eux-mêmes d’effectuer.

Commentaires

L’apprentissage de l’écriture se prépare sur le plan moteur et sur le plan perceptif. L’enfant ne peut pas apprendre à écrire si sa motricité et son organisation perceptive ne sont pas suffisamment développées. L’école maternelle cherche à favoriser ce développement. Mais, nous l’avons vu, il existe des différences en ce qui concerne ce que les auteurs étudiés préconisent pour cela. Si tous se préoccupent du développement de la motricité fine, certains seulement prennent en compte la motricité large et seule Calmy s’appuie sur les lois du développement psychomoteur pour rechercher l’indépendance segmentaire. Quant à l’éducation sensorielle, nous avons vu également qu’elle différait d’un auteur à l’autre.

Nous avons constaté aussi que des éléments psychomoteurs sont pris en compte par plusieurs auteurs : le schéma corporel, qui a constitué le concept central de la psychomotricité pendant toute une période, et la latéralité dont les troubles sont traités par les psychomotriciens. Nous avons pu mettre en évidence les divergences entre ces auteurs, posant la question de la définition même des concepts concernés. Celle du schéma corporel n’a d’ailleurs été donnée que par un seul auteur, Calmy. En ce qui concerne la latéralité, les divergences portent sur les moyens de l’évaluer et sur la finalité de cette évaluation, ainsi que sur les moyens d’action sur la latéralité. Si Rieu et Frey-Kerouedan préconisent d’aider l’enfant à acquérir une latéralité homogène, on ne voit pas comment ce résultat va être obtenu simplement en le laissant utiliser librement sa motricité. La même contradiction apparaît chez Octor et Kaczmarek.

De toute évidence il existe des divergences entre les auteurs et des contradictions à l’intérieur d’un même ouvrage. Il paraît donc nécessaire de définir les concepts utilisés ici et d’étudier précisément leurs implications. Il est certain qu’ils ont leur importance dans le cadre de la préparation à l’écriture qui est une activité psychomotrice complexe imposant le choix d’une main.

La question de l’utilisation de techniques de rééducation psychomotrice dans le cadre de la préparation à l’écriture à l’école doit également être examinée. On peut penser que c’est la psychomotricité, même si elle n’a pas été seule en cela, qui a conduit à faire exécuter des trajectoires par le mouvement global avant de les reproduire sur le papier. La pertinence de cette démarche doit aussi être interrogée, d’autant plus que l’on a pu voir qu’elle se met en pratique de différentes façons.

Notes
80.

LE BOULCH, J. : L’éducation par le mouvement, E.S.F. Paris 1971, cité par BERTHET, D., op. cit. p.21.

81.

RIEU, C. et FREY-KEROUEDAN, M. : De la motricité à l’écriture, Armand Colin, 1979, p.25.

82.

OCTOR, R. et KACZMAREK, J. : op. cit. p.32.

83.

ibid.

84.

BERTHET, D. : op. cit. p.46.

85.

ibid.

86.

ibid.

87.

CALMY, G. : L’éducation du geste graphique. Nathan, Paris 1976, p.10.

88.

Frey-Kerouedan est rééducateur en psychomotricité (R.P.M. de l’Education Nationale, diplôme qui n’est plus passé aujourd’hui).