7. Conceptions de l’écriture et de son apprentissage

Les divergences de propositions pratiques trouvent en partie leur justification dans les divergences de vue sur l’écriture elle-même et son apprentissage. Nous avons déjà mentionné deux types de méthodes cités par Calmy. Mais elle en relève deux autres : les méthodes gestuelles qui considèrent l’écriture comme acte psycho-moteur et les méthodes cursives et dynamiques pour lesquelles l’écriture est un acte de communication. Les méthodes gestuelles citées sont la méthode de rééducation de Borel-Maisonny et la méthode du Bon Départ qui met l’accent sur le rythme et est aussi une méthode de rééducation psychomotrice.

Dans les ouvrages de pédagogie pratique que nous avons consultés, seule celui de Calmy fait référence à une de ces méthodes gestuelles, la méthode du Bon Départ. Certains autres emprunts se font à la rééducation psychomotrice. Cela pose la question importante du passage du champ rééducatif ou thérapeutique au champ pédagogique. Nous y reviendrons.

L’emprunt à des méthodes divergentes peut expliquer les oppositions entre certains auteurs, mais aussi certaines incohérences chez un même auteur ; peut-être s’agit-il d’une impossibilité à choisir entre des éléments pourtant inconciliables. Ainsi, Calmy tient à la rigueur d’un apprentissage, à une démarche très précise parce que, dit-elle, ’nous sommes responsables des premières habitudes’118. Pourtant, elle suggère d’encourager l’enfant à copier librement en favorisant, par la valorisation, les bonnes traces sinon les bons gestes. N’y a-t-il pas là une opposition entre une conception comportementaliste et une conception constructiviste de l’apprentissage ? On retrouve cette même opposition chez Chaumin et Lassalas : elles affirment, d’une part que ’l’enfant, à partir des premiers plaisirs procurés par l’inscription motrice des tracés, explore et s’approprie les mouvements fondamentaux de l’écriture’119, d’autre part qu’il est nécessaire d’éduquer, vers la fin de la Moyenne Section, les quatre mouvements fondamentaux de l’écriture à partir desquels peuvent se tracer toutes les lettres de l’écriture liée.

Si les propositions des différents auteurs reposent sur des conceptions différentes de l’acte d’écrire et de son apprentissage, nous constatons que ces conceptions demeurent, le plus souvent, peu explicitées. Il est donc souvent difficile de savoir ce qui justifie les propositions pédagogiques pratiques. Il est certain que l’expérience des auteurs, l’observation des élèves et la pratique de la classe, les lectures qu’ils ont pu effectuer et les formations qu’ils ont suivies, leur permettent de dégager des éléments fondamentaux de l’acte d’écrire et de son apprentissage. Ils se réfèrent aussi à des travaux de recherche. Mais les convictions se mêlent aux éléments étayés théoriquement ou démontrés par la recherche et on rencontre parfois une insuffisance de maîtrise des concepts employés. Ainsi, la situation d’écriture, les mécanismes moteurs et perceptifs de l’acte d’écrire, ne sont analysés que par Octor et Kaczmarek. Si, globalement, leur analyse est pertinente, quelques éléments interrogeront des psychomotriciens quant à la bonne compréhension de certains concepts par ces deux auteurs. Ainsi, il semble bien qu’ils confondent ’pronation’ et ’préhension’ puisqu’ils écrivent ’L’écriture se fait essentiellement grâce à une pronation de l’outil scripteur par une pince pouce-index...’120 ; de plus, ils limitent la fonction tonique aux parties immobiles du corps. Ce sont ces mêmes auteurs, ainsi que Rieu et Frey-Kerouedan, qui réfléchissent particulièrement au cas des enfants gauchers ; mais leurs propos concernant la latéralité ont de quoi étonner les psychomotriciens : ainsi, leur dénomination de la latéralité homogène du terme ’harmonique’ et de la latéralité mal affirmée du terme ’ambidextrie’.

Notes
118.

CALMY, G. : op. cit. p.35.

119.

CHAUMIN, R. et LASSALAS, P. : op. cit. p.22.

120.

OCTOR, R. et KACZMAREK, J. : op. cit. p.18.