Cette question est abordée par tous les chercheurs que nous avons cités. Auzias et ses collègues se demandent ’jusqu’à quel point ces tentatives de « démarrage » du langage écrit, entre 5 et 6 ans, sont tout à fait justifiées’127. Elles constatent que ces tentatives existent dans un certain nombre de classes de grande section maternelle. Selon elles, cinq ans pourrait être un âge trop précoce pour le début de l’apprentissage de l’écriture car leurs recherches les amènent à conclure qu’il ’semble que c’est après 5;6 128 que les enfants tirent le plus parti de l’enseignement qu’ils reçoivent sur le plan de l’écriture’129. Il est donc préférable de ne pas commencer l’initiation à l’écriture avant le troisième trimestre de la Grande Section maternelle. Mais on peut encore, à cette période, se limiter à des exercices préparatoires à l’écriture sans que cela soit préjudiciable aux enfants. ’Parallèlement, mais très progressivement, aux alentours du troisième trimestre de GS130, lorsque les enfants ont environ 6 ans, on peut commencer à les initier au tracé des lettres les plus couramment utilisées, pour transcrire des phrases qui viennent d’eux.
Quant à initier les enfants de moyenne section, entre 4 et 5 ans, à l’écriture, c’est-à-dire à l’apprentissage des lettres ou à des copies de phrases, il coule de source, après les constatations de cette étude, que ceci est tout à fait inutile’131. Auzias va même jusqu’à considérer que ce peut être contre-indiqué.
Lurçat constate qu’il existe une diversité de propositions selon les écoles, du fait de l’absence de directives ministérielles : ’Dans certaines écoles, on considère que l’activité graphique spontanée constitue en elle-même une préparation à l’écriture. Ailleurs, les exercices peuvent commencer dès la petite section, tandis que l’apprentissage de l’écriture, informel en moyenne section, peut être systématique en grande section’132. Lurçat pense qu’il est dangereux d’affronter trop tôt les enfants à la copie de modèles difficiles car cela peut les faire développer des attitudes d’échec. Or, c’est vers l’âge de 6 ans que l’enfant devient capable de respecter le parcours de chaque lettre et le sens de l’écriture. Le point de vue de L. Lurçat rejoint donc celui de M. Auzias. La Grande Section maternelle est une ’période essentielle pour l’écriture puisque les enfants deviennent capables de reproduire des formes en respectant la trajectoire’133. L’apprentissage systématique des lettres ne devient pertinent que vers la fin de la Grande Section, soit vers 6 ans, un apprentissage antérieur ne rendant pas l’enfant plus performant au Cours Préparatoire. Lurçat ajoute que l’enseignement doit être adapté aux capacités de enfants ; chacun ayant un rythme de développement qui lui est propre, l’individualisation est la seule voie possible. L’âge de 6 ans est donc un âge repère, une donnée statistique. Certains enfants pourraient donc peut-être être prêts à apprendre à écrire plus tôt, mais ce n’est pas la majorité. De toute façon, le perfectionnement de l’écriture se poursuit sur plusieurs années par la maturation et l’exercice.
Charmeux affirme qu’il faut ’plonger l’enfant le plus tôt possible dans l’aventure « scripturale », mais ne pas commencer l’apprentissage de l’écriture avant le C.P. ; ce qui revient à dire que l’apprentissage de l’acte graphique doit intervenir après la mise en place du comportement de scripteur ; on peut en déduire que cet apprentissage (du moins sous sa forme systématique), n’a pas sa place à l’école maternelle’134. On retrouve donc le point de vue de Lurçat et Auzias selon lequel il ne faut pas commencer trop tôt l’apprentissage systématique de l’écriture, mais assorti d’une affirmation de précocité nécessaire de confrontation de l’enfant à l’écrit. Se pose donc là la question de la préparation à l’apprentissage systématique de l’écriture, question sur laquelle il nous faudra revenir. Charmeux fixe une exigence de copie lisible et rapide en fin du CE1 ; elle estime ainsi retarder l’exigence de l’acquis et laisser beaucoup de temps pour l’apprentissage. Cependant, l’entraînement se poursuit jusqu’à la fin de la scolarité primaire.
Zerbato-Poudou s’oppose aux précédents auteurs en ce qui concerne l’âge auquel l’enfant est capable d’apprendre à écrire. Elle affirme en effet qu’il est tout à fait possible ’d’apprendre à écrire de façon performante à de jeunes élèves de moyenne section’135. Enseignante en maternelle, elle s’appuie sur son expérience et ses travaux de recherche universitaire pour affirmer cela. Ce n’est donc pas qu’une simple conviction. Il nous faut donc tenter de comprendre ce qui justifie ces points de vue divergents.
AUZIAS, M. ; CASATI, I. ; CELLIER, C. ; DELAYE, R. et VERLEURE, F..: Ecrire à 5 ans ? P.U.F., Paris 1977, p.9.
5;6 signifie âge de 5 ans 6 mois, mode de notation que nous retrouverons encore par la suite.
id. p.73.
Grande Section.
AUZIAS, M. et al. : op. cit. p.131.
LURÇAT, L. : L’activité graphique à l’école maternelle, E.S.F., Paris 1979, p.14.
id. p.13.
CHARMEUX, E. : L’écriture à l’école, CDIC, Paris 1983, p.24.
ZERBATO-POUDOU, M.-T. : op. cit. p.53.