Précédemment, nous avons interrogé la pertinence d’une éducation du geste scripteur au sens d’apprentissage du ductus des lettres et de la façon de lier celles-ci entre elles. Notre propos est maintenant de considérer la motricité graphique en tant que telle, c’est-à-dire la posture et les mouvements dans l’acte d’écrire. Nous constatons que ces éléments ne sont abordés ni par Charmeux ni par Zerbato-Poudou. Seuls ceux qui s’intéressent à l’apprentissage de la réalisation des lettres et de leur liaison traitent aussi de ces aspects posturo-moteurs.
Ajuriaguerra et Auzias constatent que la plupart des auteurs sont d’accord en ce qui concerne la posture la plus favorable à l’écriture. ’Le sujet doit être assis confortablement dans une attitude détendue [...]. Le torse doit [...] être droit, vertical ou légèrement incliné en avant, la tête légèrement penchée vers le papier...’188. Ce serait une posture idéale pour écrire. C’est celle qui est demandée par bien des maîtres de l’école primaire. Pourtant, l’étude de l’évolution de la motricité graphique effectuée par Ajuriaguerra et Auzias montre que les enfants n’adoptent pas cette attitude d’emblée, malgré les recommandations magistrales. ’Nous avons constaté qu’une évolution génétique se fait :
vers l’amélioration de l’attitude générale avec : - redressement progressif de la tête et du tronc, lequel supprime petit à petit son appui à la table, - diminution de l’appui au niveau de l’avant-bras et du poignet ;
vers l’installation d’une stabilité du tronc et de certains segments selon certaines positions (main en demi-supination ou en intermédiaire, consécutivement à une fixation de l’avant-bras dans un certain rapport pronation-supination) ;
vers un assouplissement progressif des articulations : épaule, poignet, doigts’189.
Cette évolution résulte de la maturation tonique, de l’apprentissage et de l’expérience. C’est pourquoi Auzias, tout en constatant le besoin du jeune enfant d’appuyer le torse à la table, n’exclut pas de lui demander de fournir un effort pour se tenir droit, ’mais il faut savoir qu’ils ne peuvent fournir cet effort longtemps et limiter les exercices d’écriture sur papier, en plan horizontal’190. De même, ce n’est qu’avec précaution qu’elle suggère d’essayer de rectifier la position de la main au Cours Préparatoire si celle qu’adopte l’enfant est défavorable, c’est-à-dire peu fonctionnelle. La question de la mauvaise position des doigts est différente car elle ne semble pas en lien avec la maturation. De ce fait, ’la rectification de la position des doigts se fera précocement, mais toujours sans rigidité’191. Elle est favorisée par la connaissance des doigts et l’exercice de la motricité digitale en dehors de l’écriture. C’est par des exercices préparatoires à l’écriture, y compris des exercices graphiques, que l’on peut aussi améliorer les mouvements de l’écriture. Il est d’autres aspects de l’évolution de la motricité graphique étudiés par Ajuriaguerra et Auzias qui n’ont pas été repris par cette dernière sur le plan pédagogique. Ainsi en est-il de la position de l’avant-bras par rapport à la table et de l’angle de la main avec l’avant-bras.
L’étude génétique de la motricité graphique fournit à Auzias un étayage de ses propositions pédagogiques. C’est aussi la démarche de Lurçat qui considère qu’il est indispensable que l’enseignement soit adapté aux capacités des enfants. En ce qui concerne le contenu de cet enseignement, ’la pédagogie de l’écriture doit s’appuyer sur l’éducation des postures et de la trajectoire’192. Les facteurs posturaux concourent à la bonne qualité de la forme. Ils ’consistent : 1) dans la tenue de l’instrument (crayon à bille, feutre, stylo) ; 2) dans la position et l’inclinaison de la feuille de papier qui permet le déploiement du geste ; 3) dans le point d’appui sur l’avant-bras gauche pour le droitier, droit pour le gaucher, afin de libérer le membre qui écrit du poids du tronc’193. L’éducation de ces facteurs doit permettre une écriture correctement réalisée et sans fatigue. La notion de posture est donc plus large chez Lurçat que chez Ajuriaguerra et Auzias même si ceux-ci ont aussi pris en compte tous ces facteurs. Pourtant, Lurçat affirme aussi que la posture ’se réalise dans la position assise et l’appui du corps sur la table’194 ; elle est alors une première forme d’équilibre, la seconde consistant dans l’établissement du point d’appui de l’avant-bras sur la table.
Les aspects posturaux et moteurs diffèrent selon la latéralité de l’enfant. Ainsi en est-il, nous venons de le voir, en ce qui concerne l’appui sur l’avant-bras du membre non-scripteur. Lurçat indique aussi que, ’pour le gaucher, la position de la feuille de papier est placée face à l’hémichamp corporel gauche. Elle est inclinée à droite. Le bras entraîne la main dans un mouvement somatrope qui permet à chaque segment de remplir sa fonction : le bras est le segment directeur, la main le segment dirigé. De plus, l’inclinaison à droite de la feuille permet le contrôle visuel de la trace’195. Auzias, prenant en compte l’évolution de la motricité graphique, selon laquelle la main se place spontanément sous la ligne lorsque l’enfant atteint 8 ans ½ - 9 ans, en même temps que la feuille s’incline légèrement, conseille seulement d’habituer progressivement les enfants gauchers du Cours Préparatoire ’à placer leur feuille de papier légèrement sur leur gauche’196. Quant à l’inclinaison de la feuille, elle se fera vers la droite si l’enfant place sa main sous la ligne ; mais, s’il la place au-dessus, position qu’il ’n’y a pas lieu de changer si l’enfant l’a prise spontanément et si c’est ainsi qu’il écrit le mieux’197, il vaut mieux garder la feuille droite, voire légèrement inclinée à gauche.
La question du choix de la main pour écrire n’est abordée que par Ajuriaguerra et Auzias, d’une part pour les jeunes enfants, d’autre part chez les enfants dont la scolarité est plus avancée. Dans son manuel d’apprentissage de l’écriture, Auzias revient brièvement sur le premier cas, le second concernant les rééducateurs plus que les enseignants. Elle indique des techniques d’observation utilisables en Grande Section. Il s’agit de comparer l’efficience motrice des deux mains dans les exercices graphiques et d’autres exercices manuels. En fin d’année scolaire, la décision se prend essentiellement en fonction de l’habileté graphique et du choix de l’enfant. Auzias a aussi élaboré une ’épreuve de latéralité usuelle’198 composée de vingt items dont dix sont particulièrement différenciateurs et en corrélation avec la latéralité graphique.
Si Lurçat insiste sur la nécessité d’une éducation de la posture et du geste graphique, si elle en décrit les éléments, elle donne cependant très peu d’indications sur la façon de réaliser cette éducation. C’est donc M. Auzias qui passe le plus concrètement de l’étude génétique à la pédagogie. Avec Ajuriaguerra et la collaboration de Denner, elle élabore aussi une méthode de rééducation de l’écriture, méthode qui est presque assimilée par ses concepteurs à une forme de rééducation psychomotrice. D’une part, donc, l’étude de l’évolution de l’écriture conduit à l’élaboration d’une pédagogie de l’écriture et d’une rééducation de l’écriture. D’autre part, cette dernière est considérée comme une forme de rééducation psychomotrice. Cela pose la question de la spécificité de la rééducation par rapport à la pédagogie ainsi que la question du rapport de la psychomotricité à l’écriture. Nous reviendrons nécessairement sur ces questions.
AJURIAGUERRA, J. (de) et AUZIAS, M. : op. cit. p.669-670.
AJURIAGUERRA, J. (de) et AUZIAS, M. : L’évolution de la motricité graphique, in AJURIAGUERRA, J. (de) et al : 1964, Tome I, op. cit. p.155.
AUZIAS, M. : 1966, op. cit. p.29.
id. p.35.
LURÇAT, L. : 1985, op. cit. p.49.
id. p.48.
id. p.59.
id. p.48.
AUZIAS, M. : 1966, op. cit. p.9.
id. p.32.
AUZIAS, M. : Enfants gauchers, enfants droitiers, Delachaux et Niestlé, Neuchâtel et Paris 1975.