3.4 A propos de l’évaluation

Bien que soulignant amplement l’intérêt de l’évaluation par leurs travaux sur l’évolution de l’écriture chez l’enfant, ni Auzias ni Lurçat n’aborde la question de l’évaluation de l’écriture par le maître dans le cadre scolaire. On sait pourtant que les enseignants qui enseignent les lettres les unes après les autres au cours de séances d’écriture évaluent les productions des élèves. On peut aussi penser que c’est un élément important de la pédagogie.

Charmeux ne s’exprime guère plus sur ce sujet. Elle affirme cependant qu’il faut laisser du temps à l’enfant pour construire son apprentissage de l’écriture. c’est pourquoi il faut le mettre très tôt en contact avec l’écrit, mais retarder ’l’exigence de l’acquis. La seule échéance exigible, c’est la fin du C.E.1 : beaucoup d’enfants sembleront l’avoir atteinte beaucoup plus tôt ? Tant mieux pour eux. Mais on ne doit évaluer de façon sommative qu’à la fin de la deuxième année d’école primaire’222. Mais que s’agit-il d’évaluer à ce moment ? ’Devenir capable de copier rapidement à peu près n’importe quoi, est l’objectif prioritaire à atteindre à la fin du C.E.1’223, voilà ce qu’en dit Charmeux. Si l’on se réfère à l’évolution de l’écriture telle qu’elle a été observée par Ajuriaguerra et Auzias, ou par Lurçat, on peut trouver bien précoce cette évaluation sommative, d’autant plus que Charmeux se réfère à la définition qu’en donne G. de Landsheere dans son Dictionnaire de l’évolution et de la recherche en éducation : ’Alors que l’évaluation formative revêt en principe un caractère privé, l’évaluation sommative est publique : communication des résultats, attribution d’un certificat ou d’un diplôme, classement éventuel des élèves entre eux, etc. (d’après Bloom)’224. Il est vrai que les critères d’évaluation ne sont pas indiqués.

L’apport de Zerbato-Poudou au sujet de l’évaluation est particulièrement important. Pour une activité d’apprentissage de l’écrit, elle définit des critères de réussite et des critères de réalisation.

Les critères de réussite ’comprennent en majorité les règles de fonctionnement de la langue écrite :

Ces critères relativement stables et collectivement reconnus permettent d’identifier la réussite. C’est-à-dire qu’ils ne peuvent être reconsidérés par l’élève, ils sont ’incontournables’. Seul le degré d’exigence de l’examinateur évolue en cours d’apprentissage notamment pour d’autres critères comme la précision, la fermeté du tracé, la grandeur des lettres, la qualité des liaisons, le ductus des lettres...’225.

Quant aux critères de réalisation, ils sont individuels et évolutifs. ’Il s’agit des savoir-faire techniques et procédés utilisés par les élèves pour fabriquer le produit’226. L’enseignant pose la question : ’Comment il faut faire pour faire...’ et l’enfant indique ses procédures d’exécution. Par exemple, pour faire un L en majuscule d’imprimerie : ’il faut faire un trait qui descend bien droit, puis un petit trait couché accroché en bas du grand’ 227. Les élèves expriment librement leurs procédures d’exécution, certains termes étant nommés collectivement (par exemple le trait horizontal dit ’couché’) ; dans le contexte de la classe, c’est ce qui permet ’au double mouvement de centration-décentration de s’établir. Décentration par rapport au produit, centration par rapport au mouvement’228. Le contrôle de l’action se fait d’abord dans l’échange verbal avec l’enseignant, par la description de la tâche à l’aide des critères de réalisation, donc sur le plan inter-psychique pour passer ensuite, par l’intériorisation, sur le plan intra-psychique.

Par l’utilisation de ces critères de réussite et de réalisation, c’est un nouveau rapport à l’évaluation qui est introduit : ’L’évaluation est appréhendée dans sa fonction de régulation plutôt que dans sa fonction de mesure, de contrôle et de conformisation. La situation d’apprentissage proposée sollicite la verbalisation des critères dans le but d’améliorer le fonctionnement des élèves en apprentissage. L’analyse de leurs travaux repose sur une pratique d’évaluation des résultats de l’action mais également de l’action elle-même.

Bien que les critères de réussite permettent l’exercice de la fonction de contrôle, celle-ci n’est pas un but en soi mais un support pour appréhender les critères de réalisation correspondants. L’activité de régulation s’élabore dans les relations qu’entretiennent les deux types de critères’229. L’accent n’est donc pas mis seulement sur la trace, mais aussi sur l’acte qui le produit. Et cela est valable pour l’enseignant, mais aussi pour l’enfant qui peut estimer lui-même la qualité de son travail et du résultat obtenu.

Zerbato-Poudou a explicité les critères d’évaluation, ce que n’a pas fait Charmeux pour l’évaluation sommative de la fin du C.E.1. Elle ne l’a pas fait non plus pour l’évaluation qui précède, c’est-à-dire pour ’l’évaluation formative, c’est-à-dire axée essentiellement sur la suite à donner aux activités d’apprentissage et ne comportant ni mesure, ni jugement’230. Cette évaluation formative, par son absence de mesure et de jugement, se rapproche davantage de celle proposée par Zerbato-Poudou que l’évaluation sommative. Elle en diffère cependant sur un point fondamental : c’est l’enseignant qui évalue afin de pouvoir proposer à l’enfant des activités qui lui conviennent en fonction de ses capacités ; l’enfant n’est pas invité à évaluer lui-même son travail ni le produit réalisé.

Notes
222.

CHARMEUX, E. : op. cit. p.47.

223.

CHARMEUX, E. : op. cit. p.150.

224.

CHARMEUX, E. : op. cit. note 22 p.47.

225.

ZERBATO-POUDOU, M.-T. : op. cit. p.117.

226.

id. p.119.

227.

id. p.120.

228.

ibid.

229.

id. p.43.

230.

CHARMEUX, E. : op. cit. p.47.