L’étude des différentes étapes de l’acquisition de l’écriture chez l’enfant a permis à l’équipe de J. de Ajuriaguerra d’identifier les conditions de cette acquisition. La première condition est le développement de la motricité, l’écriture étant une praxie. La seconde et la troisième conditions tiennent au fait que l’écriture est un langage ; il s’agit du développement mental et du développement du langage. La quatrième condition est le développement socio-affectif, car l’apprentissage de l’écriture à l’école est exigeant et dépend de nombreux facteurs tels que l’appétence scolaire et les relations avec les adultes, maître et parents. ’Une déficience dans chacun de ces domaines peut entraîner des troubles dans l’acquisition de l’écriture’241. Le trouble graphique est alors secondaire à un ou plusieurs autres troubles. Mais il ne s’agit pas alors nécessairement de dysgraphie.
En effet, ’est dysgraphique un enfant chez qui la qualité de l’écriture est déficiente alors qu’aucun déficit neurologique ou intellectuel n’explique cette déficience’242. Ajuriaguerra considère, de plus, qu’il ne peut y avoir dysgraphie qu’à partir du moment où l’apprentissage de l’écriture est commencé. C’est pourquoi les enfants qu’il a examinés sont au moins au Cours Elémentaire, ceux du Cours Préparatoire étant au stade de l’initiation où on ne peut encore parler de trouble. Gaurier se montre en désaccord sur ce point avec Ajuriaguerra : ’Quand nous parlons de dysgraphie, c’est à une difficulté touchant la réalisation du graphisme que nous faisons toutefois allusion, ceci quel que soit l’âge de l’enfant, qu’il ait cinq ans ou bien douze ans’243. Selon elle, on peut donc être dysgraphique en Grande Section maternelle. Mais ses propos présentent une ambiguïté car elle estime que certaines difficultés graphomotrices peuvent être considérées comme ’signes précurseurs de dysgraphie’244. Si elles constituent des ’signes précurseurs’, c’est qu’elles ne sont pas une dysgraphie, mais l’annoncent seulement. De plus, Gaurier souligne qu’il ne faut pas considérer toute difficulté graphomotrice comme dysgraphie, ni même comme signe précurseur de dysgraphie. Il peut s’agir, en effet, de difficultés transitoires sans conséquences.
La dysgraphie est ’une forme particulière parmi les difficultés de l’écriture’245, affirment Ajuriaguerra et ses collaborateurs qui ont montré qu’il ne s’agit pas d’un simple retard dans l’acquisition de l’écriture, mais de difficultés spécifiques. Ils ont examiné des enfants venus consulter à l’hôpital pour difficultés dans l’écriture et des enfants dépistés dans des écoles. Ils ont étudié leurs positions et mouvements au cours de l’écriture et analysé leurs traces graphiques. Ils ont ainsi pu constituer, pour la trace, une échelle spécifique de 25 items affectés de coefficients selon leur pouvoir discriminateur246. Ces items concernent trois rubriques : la mauvaise organisation de la page, la maladresse et les erreurs de formes et de proportions. Cette échelle devient l’outil pour définir la dysgraphie, c’est-à-dire pour rechercher un trouble spécifique de l’écriture. Trouble spécifique ne signifie pas trouble standard. Il existe différents types de dysgraphie. Ajuriaguerra a distingué six groupes principaux, six ’syndromes graphiques’247 : celui des raides, celui des mous, celui des impulsifs, celui des lents et précis, celui des enfants qui présentent des ébauches de crampe. En ce qui concerne la motricité graphique, les difficultés concernent les positions de la main et des doigts ainsi que la façon d’incliner ou pas la feuille de papier248, le tonus musculaire au niveau du bras utilisé pour l’écriture, les mouvements digitaux qui sont absents ou presque, les phénomènes douloureux.
Les travaux de Ajuriaguerra ont été repris par Badefort et Tajan249 en 1982250. Ils ont analysé 256 écritures d’élèves de collèges âgés de 11 à 14 ans. Ils ont constaté un retard dans l’évolution des écritures par rapport à l’étude de Ajuriaguerra et Auzias. Ils ont observé aussi qu’un quart de ces élèves présentaient une dysgraphie selon les critères définis par J. de Ajuriaguerra et coll.. Badefort, complétant cette recherche par ’une rapide analyse portant sur les dysgraphies dans une consultation de CMPP251 durant les 25 années passées’252, remarque qu’il y a ’une diminution constante des corrélations entre ces dysgraphies et des troubles psychomoteurs’253. Il constate aussi une augmentation du nombre de consultations pour dysgraphie. Cela l’interroge ’quant à la notion de dysgraphie et à sa délimitation : doit-elle être réservée aux troubles ayant un substrat psychomoteur ou neuropsychologique, ou faut-il intégrer les difficultés d’apprentissage plus ou moins évidentes et prévisibles en raison du décalage entre les conditions pédagogiques actuelles et les exigences de l’apprentissage de l’écriture ?’254. Il pense que l’approche neuropsychologique et cognitive de l’acte d’écrire pourrait aussi permettre de préciser cette notion de dysgraphie.
D’autres psychomotriciens ont tenté cette précision à partir du modèle neuropsychologique d’analyse de l’écriture proposé par Van Galen. Ils ont ainsi postulé ’l’existence de dysgraphies indépendantes les unes des autres.
On pourrait trouver :
des dysgraphies linguistiques où les difficultés se trouveraient dans le choix des mots et des lettres mais n’affecteraient pas la forme des lettres ;
des dysgraphies spatiales où le traçage des lettres ne serait pas affecté mais où l’organisation générale, l’horizontalité de la ligne et le rapport des mots les uns aux autres seraient perturbés ;
des dysgraphies motrices où le programme moteur serait lui-même atteint’255.
Gaurier, de toute évidence, considère comme dysgraphie toute difficulté importante et durable dans la réalisation du graphisme. Elle reprend chez Auzias les caractéristiques des traces graphiques produites par les enfants dysgraphiques. Elle précise aussi qu’à son avis, la dysgraphie est ’un trouble de la communication, donc de la relation, qui peut se traduire par des symptômes nombreux et variés’256. Cela amène à la question de l’étiologie car, ou la dysgraphie est la difficulté d’écrire ou elle est le trouble de la communication qui se manifeste, sans doute entre autres, par cette difficulté. Nous glissons donc du plan descriptif au plan causal.
AJURIAGUERRA, J. (de) et al. : 1964, p.224.
ibid.
GAURIER, M. et KAHANE, N. : La rééducation du graphisme et les problèmes de dysgraphie in GUILLARME, J.-J. : Education et rééducation psychomotrices. Sermap-Hatier, Paris 1982, pp.201-235, p.202.
Martine Gaurier, psychomotricienne, a rédigé la partie de ce chapitre qui concerne la rééducation ; Nicolle Kahane, rééducatrice en psychomotricité et Directrice d’établissement spécialisé, la partie de ce chapitre qui concerne la prévention.
ibid.
AJURIAGUERRA, J. (de) et al. : 1964, op. cit. p.224.
échelle que les auteurs ont dénommée ’échelle Dysgraphie’, distincte de l’échelle génétique E, constituée de trente items, échelle que J. de Ajuriagerra et coll. ont ré-étalonnée à partir de l’échelle de 37 items de H. de Gobineau et R. Perron.
AJURIAGUERRA, J. (de) et al. : 1964, op. cit. p.277.
’Les auteurs estimant, d’après une recherche portant sur ce point, que les enfants qui, après 9 ans, tiennent leur feuille de papier ’droite’ devant eux témoignent de difficultés d’adaptation grapho-motrices à l’écriture’ (Marguerite Auzias, courrier personnel du 31 mai 2001).
Jean-Pierre Badefort est psychomotricien et, comme Alfred Tajan, graphomotricien.
BADEFORT, J.-P. et TAJAN, A. : L’écriture à l’école et au lycée, Revue de Psychologie Scolaire, 1983, 46, pp 55-70.
Centre Médico-Psycho-Pédagogique.
BADEFORT, J.-P. : Evaluation graphomotrice et graphométrique de l’écriture de l’enfant et de l’adolescent. Quels instruments aujourd’hui ? Evolutions psychomotrices, Vol. 8 - n°33, 1996, pp.133-138, p.137.
ibid.
ibid.
BENOIT, C. et SOPPELSA, R. : op. cit. p.123.
GAURIER, M. et KAHANE, N. : op. cit. p.202.