1.2 Les causes des troubles de l’écriture

Ajuriaguerra et ses collaborateurs se sont donc attachés à définir et caractériser les dysgraphies et à en identifier les différents types. Ils ont ensuite ’abordé le plan causal en recherchant les liens éventuels entre la dysgraphie et d’autres déficiences’257. Ils ont ainsi montré que les enfants dysgraphiques présentent souvent des difficultés dans les domaines suivants : le développement moteur, la dominance latérale, l’organisation spatiale, l’orthographe et l’adaptation émotive et affective. Si l’organisation spatiale et l’efficience motrice sont les plus touchées, tous les enfants n’ont pas de difficultés dans tous les domaines ; il en est même qui ne présentent aucune difficulté. ’Nous voyons donc qu’il est rare qu’on puisse mettre en rapport les désordres de l’écriture présentés par l’enfant avec un facteur unique de causalité’258.

Gaurier identifie comme une première cause de dysgraphie ’la maladresse manuelle, notamment celle qui affecte la motricité digitale fine, et les troubles du tonus’259. La deuxième cause concerne l’organisation spatio-temporelle. On retrouve donc là les facteurs identifiés par Ajuriaguerra comme les plus touchés. Gaurier ajoute un troisième facteur : les troubles psychologiques. L’écriture étant un outil de communication, ’la dysgraphie peut [...] traduire un trouble relationnel ou une perturbation affective’260 ou ’apparaître, dans certains cas, comme une forme de refus scolaire, voire comme une forme de refus social’261.

Pour Ajuriaguerra262 également, le trouble graphique accompagne un ’malaise de la personnalité totale’263. Troubles concomitants ou rapport de cause à effet ? Il ne se prononce pas sur ce point. Deitte264, quant à lui, pense que les perturbations de l’écriture ’peuvent aussi constituer à l’occasion le mode d’expression privilégié d’une souffrance non verbalisée, permettre l’émergence d’une angoisse non dite (mais qui touche néanmoins les mots) et la manifestation apparente des conflits potentiels avec le collectif dont elle est l’outil de communication’265. Ajuriaguerra souligne que c’est ce collectif qui fixe, par les parents et le maître, les exigences envers la qualité de l’écriture de l’enfant, exigences souvent trop fortes qui ne tiennent pas suffisamment compte du ’développement moteur de l’enfant et des caractéristiques individuelles’266. Il y a alors risque de rejet de ce qui émane de l’école. L’enfant, mis devant des obstacles insurmontables, souffre car ’en classe, l’enfant dysgraphique est constamment dévalorisé à cause de sa mauvaise écriture’267.

L’école peut donc favoriser l’apparition de troubles de l’écriture. ’Il est évident que les difficultés graphiques sont intimement liées au problème de l’apprentissage proprement dit’268 disaient déjà Ajuriaguerra et Auzias en 1960. C’est bien aussi ce qu’affirme Gaurier : ’Il semble bien que le terme de « dysgraphie », tout comme celui de « dyslexie » pour la lecture, recouvre tout ce que l’enfant peut rencontrer comme difficultés face à l’apprentissage de l’écriture. Trois enfants sur cent sont réellement dyslexiques : il n’en est probablement pas plus de dysgraphiques au sens pathologique du mot. Les autres sont des dysgraphiques fabriqués par l’école’269. Les erreurs pédagogiques seraient donc à l’origine d’un certain nombre de difficultés dans l’acquisition de l’écriture par l’enfant. Deitte pense aussi que l’école a sa part de responsabilité dans l’apparition de ces difficultés, d’une part parce qu’elle confronte sans doute trop tôt l’enfant à l’apprentissage de l’écriture, d’autre part parce que la relation pédagogique peut être entachée de brimades ou de punitions dans lesquelles l’écriture se trouve impliquée. Il va jusqu’à considérer comme ’responsables de ces désordres : le père, garant de la fonction « légale » et l’enseignant, représentant du collectif et de ses apprentissages’270. Il est clair que, pour Badefort également, l’école est impliquée dans les difficultés graphiques des enfants. Pour lui, les conditions pédagogiques actuelles sont en cause dans l’augmentation des troubles de l’écriture, en lien avec les conditions sociologiques. A son avis, la perte d’importance sociale de l’écrit a entraîné ’un détachement progressif de l’école à l’égard de la lecture et de l’écriture’271. Cela peut se voir dès la maternelle où l’on ne respecte pas la progression définie par Lurçat concernant la maîtrise du mouvement, puis de la forme, puis de la trajectoire et où l’on néglige l’apprentissage de la tenue de l’outil scripteur. Ensuite, l’école primaire où l’apprentissage de l’écriture cursive se réduit sur les plans qualitatif et quantitatif. Badefort affirme pourtant vouloir ’se dégager d’une causalité liée directement aux déterminants scolaires actuels’272. Il propose pour cela de compléter les échelles d’écriture de l’équipe de Ajuriaguerra, notamment par une évaluation préalable de l’analyse des ajustements moteurs sans implication du niveau graphémique. Il pense aussi que ces échelles, dont il souligne pourtant qu’elles ’constituent toujours un instrument d’évaluation clinique incomparable pour le spécialiste de la graphomotricité’273, devraient être revues au-delà d’un simple réétalonnage. Cela pourrait conduire à se donner de nouveaux moyens d’évaluer la dysgraphie, ce qui revient à en modifier la définition.

Benoît et Soppelsa considèrent qu’une des causes possibles de la lenteur qui se retrouve souvent chez l’enfant dysgraphique est le nombre élevé de pauses dû ’à un défaut d’automatisation du mouvement et à une trop grande utilisation du canal visuel’274.

Si, nous l’avons vu dans le chapitre précédent, Ajuriaguerra et Auzias préconisent de simplifier l’écriture en abandonnant toutes les ornementations inutiles du point de vue du sens, Badefort affirme qu’il faut même s’interroger sur la pertinence du modèle d’écriture cursive en usage aujourd’hui à l’école.

Tous les auteurs sont donc d’accord pour affirmer que les troubles de l’écriture s’intègrent dans l’ensemble de la personnalité et dans un contexte social, scolaire et pédagogique. Mais ils n’accordent pas tous autant d’importance aux différents facteurs qui provoquent ou accompagnent le trouble de l’écriture. Cela se traduit notamment dans les différents modes d’aide apportée à l’enfant qui présente des difficultés dans l’acte d’écrire, qu’il soit ou non dysgraphique au sens défini par l’équipe de Ajuriaguerra.

Notes
257.

id. p.281.

258.

ibid.

259.

GAURIER, M. et KAHANE, N. : op. cit. p.203.

260.

id. p.204.

261.

ibid.

262.

Dans la suite de notre texte, lorsque nous citons Ajuriaguerra, il faut lui associer Auzias et Denner.

263.

AJURIAGUERRA, J. (de), AUZIAS, M. et DENNER, A. : op. cit. p.6.

264.

Jacques Deitte est psychomotricien et psychothérapeute.

265.

DEITTE, J. : op. cit. p.7.

266.

AJURIAGUERRA, J. (de), AUZIAS, M. et DENNER, A. : op. cit. p.6.

267.

GAURIER, M. et KAHANE, N. : op. cit. p.204.

268.

AJURIAGUERRA, J. (de) et AUZIAS, M. : 1960, op. cit. p.609.

269.

GAURIER, M. et KAHANE, N. : op. cit. p.234.

270.

DEITTE, J. : op. cit. p.90.

271.

BADEFORT, J.-P. : op. cit. p.136.

272.

id. p.138.

273.

id. p.137.

274.

BENOIT, C. et SOPPELSA, R. : op. cit. p.123.