2.1 L’objectif de l’aide

S’il s’agit pour tous de remédier aux troubles de l’écriture, les orientations du travail effectué pour y parvenir sont très différentes, parfois même divergentes. Ceux qui estiment faire de la rééducation vont proposer à l’enfant des exercices de graphisme et d’écriture. Au contraire, Deitte affirme qu’il s’est ’bien gardé, dès lors qu’il s’agissait de manifestations de dysgraphies ou de difficultés touchant en général à l’écriture, de proposer à ces enfants les objets étroitement associés à leur souffrance ou à leurs échecs : le crayon et la feuille de papier ; ceux-ci restent toutefois disponibles sur mon bureau mais n’ont jamais été utilisés à des fins réparatrices ou rééducatives d’une écriture dont l’image peut se restaurer, non pas par des tentatives d’amélioration de la trace ou la perfection du geste, mais bien d’abord au niveau de ses fonctions culturelle, relationnelle et sociale : celles qui concernent l’héritage, la communication et la préservation des lois’277. Il y a donc une volonté affirmée de ne pas être à l’origine de l’emploi du crayon en thérapie, sans toutefois l’interdire à l’enfant. Si Ajuriaguerra propose des exercices graphiques et un véritable apprentissage ou réapprentissage des lettres et de leur liaison, il affirme pourtant qu’on ’ne devra pas s’attaquer aux symptômes comme tels : on ne pourrait alors que les fixer. Il faudra modifier l’ensemble dans lequel le symptôme est inclus’278. Cela signifie que l’aide aux enfants comportera toute une préparation avant d’en arriver à l’écriture, ce que reprend Gaurier également.

Pour Ajuriaguerra, il s’agit d’entreprendre la rééducation de l’écriture 279, de même que, pour Gaurier, il faut s’occuper de la rééducation du graphisme 280. Benoît et Soppelsa parlent aussi de rééducation. S’il ne semble pas pertinent de s’attaquer directement aux symptômes, de mettre l’enfant d’emblée face à ce qui lui pose problème, ces auteurs pensent qu’il faut en venir à traiter le trouble de l’écriture directement en reprenant l’apprentissage. On comprend, dès lors, l’usage du terme rééducation. ’Le but de la rééducation de l’écriture est d’obtenir le maximum d’efficience avec le minimum de dépense énergétique’281, ceci dans l’acte graphique, bien entendu. Ce but est également visé par Gaurier, mais celle-ci préconise aussi des séances menées en groupe, qui ont ’pour but de permettre à l’enfant de mieux se situer dans l’espace et dans le temps, d’établir des relations normales avec les objets et d’harmoniser ses modes de relation avec autrui’282. N’oublions pas, en effet, qu’elle considère la dysgraphie comme un trouble de la communication.

Soubiran et Coste considèrent l’aide aux enfants dysgraphiques dans le cadre plus large de la rééducation psychomotrice, effectuée par un thérapeute. Pour eux, ’les troubles fonctionnels à ce niveau se rattachent à des difficultés plus générales, plus complexes, et ne se limitant pas à la seule fonction concernée qui n’est souvent qu’un symptôme’283. Deitte est aussi convaincu que les désordres de la trace écrite ne sont que des signes d’un trouble plus profond. C’est donc celui-ci qu’il convient de traiter. ’L’objectif premier de la dialectique psychothérapique qui se joue au cours d’une thérapie psychomotrice, c’est bien de mettre des mots sur des maux [...]. Il s’agit donc de reconnecter des circuits langagiers qui, à un moment ou à un autre de l’histoire du patient [...], ont pu connaître des manques, subir des coupures, des dérivations’284. Ce travail thérapeutique effectué avec succès doit aboutir, par voie de conséquence, à la disparition du symptôme que constitue la dysgraphie.

Ajuriaguerra précise que la rééducation agit sur les insuffisances elles-mêmes, mais aussi sur le fond psycho-moteur : ’Nous devons agir sur des figures psycho-motrices ou sur le fond psycho-moteur. Notre but est de modifier les figures en tant que symptômes, et le fond qui permet leur apparition, parfois surtout ou uniquement de modifier le fond afin de modifier le corps en tant que système relationnel et système d’orientation’285. Il semble bien proche, dans ce dernier cas, de la conception de Deitte. S’agit-il alors toujours de rééducation ou est-on passé du côté de la thérapie ? Ajuriaguerra est très clair sur ce point : ’La rééducation opère un va-et-vient de la thérapeutique de l’organisation générale à la thérapeutique causale et à la thérapeutique du symptôme ; ces trois ordres de choses étant continuellement en évolution et en perpétuel remaniement, chaque point acquis modifiant l’ensemble, ensemble qui dépend aussi de l’évolution de l’enfant qui grandit’286. Il ne perd pas de vue que le problème de l’écriture a motivé la consultation et que la thérapeutique mise en oeuvre doit permettre à l’enfant d’investir le langage écrit comme mode d’expression.

De telles divergences d’objectifs ne peuvent que conduire à des modes d’aide fort différents.

Notes
277.

DEITTE, J. : op. cit. Avant-propos p.XI.

278.

AJURIAGUERRA, J. (de), AUZIAS, M. et DENNER, A. : op. cit. p.6.

279.

id., sous-titre de l’ouvrage.

280.

GAURIER, M. et KAHANE, N. : op. cit. p.201, titre du chapitre.

281.

AJURIAGUERRA, J. (de), AUZIAS, M. et DENNER, A. : op. cit. p.5.

282.

GAURIER, M. et KAHANE, N. : op. cit. p.206-207.

283.

SOUBIRAN, G.B. et COSTE, J.-C. : op. cit. p.71.

284.

DEITTE, J. : op. cit. p.1.

285.

AJURIAGUERRA, J. (de), AUZIAS, M. et DENNER, A. : op. cit. p.337.

286.

id. p.335.