Le premier outil utilisé par Ajuriaguerra consiste en un examen initial. Celui-ci comporte : ’anamnèse ; examen psychologique clinique et neurologique ; examen de l’écriture ; examen de la motricité graphique au cours de l’écriture’287. S’y ajoutent un questionnaire sur les modalités d’apprentissage de l’écriture par l’enfant et un examen des possibilités sur le plan du dessin et de la peinture. Les résultats de ces examens servent en premier lieu à établir un plan de rééducation et à évaluer les progrès en cours de rééducation, ce qui peut conduire à en reconsidérer le plan initial.
Soubiran et Coste font un examen psychomoteur qui vient compléter le dossier de l’enfant, dossier qui réunit un certain nombre de données concernant l’enfant : motif de la consultation, anamnèse, bilan psychologique, données médicales, scolaires. Ils y adjoignent un test graphomoteur.
Gaurier ne parle pas des investigations qui précèdent la rééducation. Deitte n’en parle qu’incidemment, à propos des ’manifestations d’écriture « en miroir » qui nécessitent bien entendu d’abord une exploration précise des possibilités d’organisation de cette sphère temporo-spatiale’288.
Ajuriaguerra est également le seul à intervenir auprès des enseignants et des parents pour que soient supprimés les travaux supplémentaires en écriture et les pénalisations pour mauvaise écriture et que l’enfant soit autorisé à utiliser, en classe, des instruments aisés. En tout cas, il est le seul à le faire directement, pour les enfants dont il s’occupe car Deitte, par les propos relatifs à l’école qu’il tient dans son livre, vise sans doute bien à modifier des comportements d’enseignants. Encore faut-il qu’ils lisent son livre. Tous les auteurs reconnaissant une grande part de responsabilité à l’école dans les troubles graphiques, on peut s’étonner que seul Ajuriaguerra préconise une intervention directe auprès de l’enseignant.
En ce qui concerne les moyens concrets de l’aide apportée aux enfants en difficulté dans leur acquisition de l’écriture, deux grandes orientations apparaissent : d’une part celle dite de rééducation, d’autre part celle dite de thérapie. Le moyen concret dans cette seconde orientation est l’agir, ’notamment au cours de la relation ludique telle que la concevait Winniccott’289. Cela signifie que l’utilisation du jeu se fait dans un cadre particulier qui est celui d’une thérapie. Par conséquent est à l’oeuvre une relation transférentielle dans laquelle ’l’acte peut faire sens tout autant que la parole (pourvu qu’il demeure adhérent au registre symbolique)’290. La référence de Deitte, de toute évidence, est la psychanalyse.
Ajuriaguerra présente d’abord une méthodologie générale qui comporte des méthodes préparatoires. Celles-ci visent à redonner à l’enfant le goût d’écrire. C’est pourquoi sa relation avec le rééducateur est importante. Elle n’est pas ici interprétée comme relation de transfert, mais comme moyen pour que l’enfant soit en confiance et prenne plaisir à venir en rééducation.
La première méthode préparatoire est la détente générale, la relaxation. Elle vise à ’agir sur le fond tonique et les réactions toniques en premier lieu, en vue d’un changement à plus ou moins longue échéance de l’ensemble de la personnalité’291. Elle est utilisée en cas d’ébauche de crampe, de perturbation de la représentation et de l’utilisation du corps, de mauvaise adaptation tonico-motrice et émotionnelle. Elle se fait d’abord en décubitus dorsal, puis en position assise avec les avant-bras sur les cuisses, enfin en position assise avec les avant-bras sur la table. On se rapproche donc peu à peu de la position de scripteur. Il est signifié à l’enfant que ces exercices sont destinés à l’aider à se débarrasser lui-même de ses difficultés en écriture. La relaxation est suivie d’exercices de respiration rythmée, de dissociations, de dialogue en veillant à conserver un état de calme, et d’exercices picto-graphiques et scripto-graphiques tout en restant détendu.
L’apprentissage comporte donc des techniques picto-graphiques mises au point par Denner. Elles sont détaillées dans l’ouvrage. Certaines sont destinées à favoriser l’expression de la personnalité de l’enfant : peinture et dessin libres, associés progressivement à des commentaires verbaux et écrits. La détente, l’amélioration de la posture et des positions, la maîtrise du geste et la restructuration tonique sont recherchées dans des exercices à la peinture puis dans des exercices au crayon ou à la plume. Vient enfin un travail de composition, de mise en page et d’utilisation des données esthétiques appliquées tant à la peinture et au dessin qu’à l’écriture. Denner propose des progressions précises d’utilisation de ces diverses techniques.
Les techniques scripto-graphiques élaborées par Auzias viennent compléter les précédentes. ’Elles tendent à l’amélioration des positions et des mouvements graphiques. Elles n’abordent pas encore directement l’écriture. Il s’agit de techniques « papier-crayon » qui s’exécutent sur une table et en station assise, comme pour l’écriture’292. Les grands tracés glissés visent l’assouplissement et l’amélioration des positions en cours de mouvement. Ils sont complétés d’exercices de grande progression qui mettent ’en jeu les segments proximaux (bras, avant-bras) et les deux articulations de l’épaule et du coude. La petite progression met en jeu les segments plus distaux : la main et l’articulation du poignet’293. Enfin viennent les exercices d’inscription qui visent à développer l’efficience des doigts.
Ces méthodes préparent à la rééducation de l’écriture qui comporte l’apprentissage ou le réapprentissage des lettres et leur intégration dans le mouvement cursif de progression. Les formes favorisant l’écriture sont travaillées : l’inclinaison à droite, les liaisons, la régularité et, pour les adolescents, la dextrogyrité294. L’enfant est aussi rendu attentif à la pression qu’il doit rendre régulière et légère et au rythme de l’écriture dont l’éducation ’est particulièrement importante pour les enfants dont la progression se fait par saccades avec blocages, hésitations fines, etc.’295. Tous ces éléments concourent à la vitesse de l’écriture. La rééducation ne vise pas une standardisation de l’écriture. Au contraire sa personnalisation est recherchée.
La méthodologie générale proposée par Ajuriaguerra est suivie d’une diversité méthodologique destinée à adapter la rééducation en fonction des formes cliniques de troubles : débiles moteurs, enfants maladroits, infirmes moteurs cérébraux, enfants présentant des troubles de la représentation et de l’utilisation du corps, enfants atteints de troubles de l’orientation ou de la structuration spatiale, enfants dyslexiques ou dysorthographiques, enfants présentant des troubles du comportement, enfants ayant des ébauches de crampe lors de l’écriture. Sont enfin étudiés les problèmes particuliers posés par la gaucherie296. Les désordres de l’organisation motrice peuvent conduire à envisager une rééducation psychomotrice préalable ou conjointe à la rééducation de l’écriture. Pour les enfants qui présentent des troubles de l’organisation spatio-temporelle ou des ébauches de crampe, Ajuriaguerra propose des exercices destinés à y remédier, en plus des exercices graphiques. Les dyslexiques et dysorthographiques peuvent être aidés par un orthophoniste, souvent en complément d’une rééducation grapho-motrice. Les troubles du comportement posent la question du moyen thérapeutique pertinent : psychothérapie et/ou rééducation de l’écriture ; la réponse ne peut être théorique, le choix se fait au cas par cas.
Les exercices préparatoires à la rééducation de l’écriture proposés par Ajuriaguerra sont repris par Gaurier : détente, exercices de motricité manuelle pour lutter contre les syncinésies, exercices de dissociation. Gaurier reprend aussi des exercices picto-graphiques et scripto-graphiques, ainsi que l’apprentissage des lettres et de leur liaison, travail qui a été également proposé par l’équipe de Ajuriaguerra.
Soubiran et Coste font des exercices de contrôle et de décontraction des différents segments du membre supérieur, mais interviennent ’surtout’, disent-ils, directement ’au niveau de la posture et des positions pour écrire, notamment l’utilisation des doigts préhenseurs’297. Ils utilisent aussi les techniques picto-graphiques et scripto-graphiques de l’équipe de Ajuriaguerra. Ils invitent à imaginer et créer d’autres exercices car, ’en recherchant la détente motrice et l’aisance du mouvement, nous obtenons un enrichissement du graphisme et des moyens d’expression’298. Le travail est entrepris au niveau corporel global avant de se centrer sur le graphisme et l’écriture.
Kahane envisage aussi les moyens de prévention en Grande Section d’école maternelle. Elle commence par favoriser la détente et indique en note qu’elle se réfère aux exercices proposés par Ajuriaguerra. Cette détente permet d’améliorer la prise de conscience du corps qui se poursuit par la ’prise de conscience des mouvements globaux ou fins’299. Sont utilisés pour cela la prise de positions sur imitation ou sur consignes verbales, l’exécution de mouvements dissociés qui contribue à atténuer syncinésies et hypertonie, un travail sur l’organisation spatiale et des exercices de motricité digitale avec du papier, de la pâte à modeler, des jetons, des baguettes. Viennent ensuite les exercices graphiques avec différents outils, sur grande feuille de papier, qui conduiront bientôt à l’apprentissage des lettres dont les ornementations inutiles sont supprimées. Progressivement, la taille de l’écriture se réduit et les mots s’allongent. C’est au cours du troisième trimestre que des cahiers au format 21 x 27 cm sont fournis aux enfants, ce qui leur apprend à utiliser un tel support en commençant sur la page de gauche et en tournant les pages dans le bon sens. Le diamètre des crayons est réduit également et on apprend à ’canaliser l’écriture entre deux lignes progressivement rapprochées’300.
Avec Kahane, nous avons quitté le domaine rééducatif pour passer à nouveau du côté de la pédagogie. Pourtant, nous retrouvons les mêmes contenus de travail. Une nouvelle fois se pose la question du transfert entre rééducation et pédagogie, cette fois directement en rapport avec la psychomotricité.
Benoît et Soppelsa qui, comme nous l’avons vu précédemment, se sont intéressés aux modèles neuropsychologiques de compréhension de l’acte d’écriture, en ont déduit quelques actions rééducatives.
Le fait de constater le nombre élevé de pauses dans l’écriture du dysgraphique les a conduits à concevoir ’un travail de stimulation du système tactilo-kinesthésique des doigts’301. Ce travail vise donc à améliorer la vitesse d’écriture en diminuant les pauses et à développer le contrôle proactif du mouvement scripteur, ’c’est-à-dire que les corrections que peut faire l’individu se font postérieurement au mouvement’302.
L’invariance des effecteurs, c’est-à-dire ’l’existence d’une constance dans la forme des lettres, dans l’inclinaison et l’allure générale de la trace graphique et dans le mouvement quand le sujet écrit avec différentes parties du corps ou différents instruments scripteurs, a été montrée par Maarse et Thomassen303. Benoît et Soppelsa font donc travailler l’écriture avec différents effecteurs. ’On peut penser, disent-ils, que cela demande un accroissement de programmation et donc que cela améliorera le programme moteur dans les conditions normales de l’écriture’304.
L’isochronie est une autre caractéristique de l’écriture : les rapports de taille et de vitesse évoluent simultanément, ce qui fait que la durée est constante pour l’écriture d’une lettre quelle que soit sa taille. Benoît et Soppelsa pensent donc que le changement d’effecteurs pour écrire permet aussi de faire varier la taille des lettres et peut contribuer à accroître la vitesse de l’écriture. Pour les enfants dysgraphiques, cela présente l’avantage d’une situation inhabituelle d’écriture, moins synonyme d’échec que celle qu’ils pratiquent à l’école.
La preuve faite d’un effet de fréquence lexicale, ’qui permet au scripteur entraîné de programmer, comme étant une unité, un ensemble de lettres souvent utilisé’305, conduit Benoît et Soppelsa à faire travailler l’enfant sur des groupes de lettres que l’on rencontre fréquemment. Il peut s’agir par exemple de mots comme les, et, des, ou des terminaisons telles que ent ou ant. Le but est, ici encore, de gagner en vitesse.
Comme il a été montré que ’la forme d’une lettre dans un mot est dépendante des lettres qui l’entourent’306, Benoît et Soppelsa repèrent, chez les enfants dysgraphiques, les lettres mal formées. Lorsque la déformation est associée à l’association avec une lettre voisine, ils font travailler l’enfant sur cette association.
Les troubles de l’écriture constituent un motif fréquent de consultation du psychomotricien. Le décret de compétence des psychomotriciens précise effectivement qu’ils sont habilités à accomplir la rééducation des ’troubles de la graphomotricité’307. L’ouvrage de Ajuriaguerra fait mention de rééducateurs spécifiques de l’écriture. On comprend que certains types de troubles associés aux troubles graphiques entraînaient une rééducation psychomotrice préalable ou conjointe à la rééducation de l’écriture puisqu’il y avait deux types de rééducateurs. Certains exercices aujourd’hui utilisés par les psychomotriciens l’étaient alors par les rééducateurs de l’écriture. La rééducation psychomotrice différait donc de la rééducation de l’écriture, même si celle-ci était aussi considérée par Ajuriaguerra comme une forme de rééducation psychomotrice.
Aujourd’hui, l’aide apportée aux enfants qui présentent des troubles de l’écriture se fait dans le cadre d’une rééducation ou d’une thérapie psychomotrice. Nous avons vu que certains psychomotriciens, tels Deitte, parlent de thérapie et utilisent le jeu symbolique comme moyen thérapeutique. Certes, Deitte n’interdit pas à l’enfant l’usage du crayon, mais celui-ci reste tout de même sur son bureau ; on peut s’interroger quant à la liberté de l’enfant d’aller l’y chercher, le bureau pouvant être évocateur du bureau du maître. D’autres utilisent des exercices psychomoteurs généraux et des exercices graphiques. Benoît et Soppelsa ne parlent que de ceux-ci, mais dans le cadre d’un article centré sur l’apport de la neuropsychologie à la rééducation des troubles de l’écriture ; ce n’est donc pas l’ensemble de leur pratique relative à ce type de rééducation qu’ils décrivent. Tous les auteurs reconnaissent, en tout cas, que ces troubles doivent être compris en considérant l’ensemble de la personnalité ainsi que le contexte pédagogique et socio-affectif. Les pratiques sont étayées par les résultats de travaux de recherche et/ou par des éléments théoriques.
Le fait que les troubles de l’écriture fassent partie des indications de la rééducation ou de la thérapie psychomotrice nous conduit à considérer de manière particulière l’évaluation initiale. En psychomotricité, celle-ci est réalisée à travers l’examen psychomoteur. Certains, tels Soubiran et Coste, y ajoutent un test graphomoteur. Pour notre part, l’évaluation graphomotrice fait partie intégrante de l’examen psychomoteur. Quoi qu’il en soit, en cas de troubles de l’écriture, ce n’est pas seulement l’acte d’écrire qui est examiné, mais tout l’ensemble psychomoteur dans lequel il s’inscrit.
Une part importante de responsabilité de l’école dans l’apparition des troubles de l’écriture est aussi reconnue par les différents auteurs. Lorsqu’une rééducation est envisagée, une intervention de l’équipe thérapeutique auprès des enseignants et des parents peut permettre d’éliminer les sanctions pour difficultés et d’autoriser à l’enfant l’usage d’outils variés : c’est ce que suggèrent Ajuriaguerra et ses collaborateurs. Des recommandations sont aussi apportées aux enseignants par les différents auteurs. Certains suggèrent de travailler en maternelle à la prévention. Celle-ci se fait par l’utilisation des moyens mêmes qui servent à la rééducation, ce qui pose la question, que nous avons déjà rencontrée, de la spécificité des domaines thérapeutique et pédagogique.
La psychomotricité est un domaine rééducatif et thérapeutique mais comporte aussi un versant pédagogique qui concerne l’école. C’est celui-ci que nous allons maintenant explorer. Nous l’étudierons dans un premier temps dans ses aspects généraux avant de nous intéresser plus particulièrement à la façon dont y est envisagée la pédagogie de l’écriture.
id. p.9.
DEITTE, J. : op. cit. p.39.
id. p.2.
ibid.
AJURIAGUERRA, J. (de), AUZIAS, M. et DENNER, A. : op. cit. p.13.
AJURIAGUERRA, J. (de), AUZIAS, M. et DENNER, A. : op. cit. p.66.
id. p.90.
Le terme est utilisé par Ajuriaguerra pour désigner la progression vers la droite. D’autres ont préféré dextroverse, ce qui nous paraît plus juste étant donné que dextrogyrité, par son étymologie, renvoie à un mouvement circulaire et non à une progression le long de la ligne.
AJURIAGUERRA, J. (de), AUZIAS, M. et DENNER, A. : op. cit. p.159.
Au sens vrai du terme, c’est-à-dire de latéralité gauche.
SOUBIRAN, G.B. et COSTE, J.-C. : op. cit. p.128.
ibid.
GAURIER, M. et KAHANE, N. : op. cit. p.216.
id. p.219.
BENOIT, C. et SOPPELSA, R. : op. cit. p.123.
id. p.122.
MAARSE, F.J. et THOMASSEN, A.J.W.M. : Produced and perceived writing slant : difference between up and down stroke, Acta Psychologica, 1983, 54, pp.131-147.
BENOIT, C. et SOPPELSA, R. : op. cit. p.123.
ibid.
id. p.122.
Journal Officiel du 8 mai 1988.