Elles trouvent leur source dans diverses sciences, humaines et biologiques. Mais la recherche de Le Boulch ne s’inscrit totalement dans aucune d’elles. ’La nécessité de faire appel dans ma recherche à la physiologie, à la neurologie, à la psychologie, à la sociologie, à l’anthropologie m’a confronté à l’impérialisme de ces différentes disciplines souvent en lutte entre elles afin d’instaurer leur propre prévalence’359. C’est ainsi que Le Boulch situe la psychocinétique dans le cadre de ’la science de l’éducation pluridisciplinaire’360. Ses données théoriques sont donc diverses, plurielles. Elle ’s’appuie sur les sciences humaines pour définir ses finalités. Cependant, pour apporter des solutions concrètes aux problèmes posés par l’utilisation éducative du mouvement, le recours à la biologie, et plus spécifiquement aux neurosciences, est incontournable’361.
La psychocinétique part de l’existence corporelle comme unité primordiale. C’est par le corps qu’est assurée notre présence au monde dans chacune de nos conduites. L’organisme ne se développe que dans l’interaction avec son environnement humain. C’est pourquoi le mouvement réalise cette présence du corps au monde et ’est le fil conducteur du développement autour duquel se forge l’unité de la personne corporelle et mentale’362. C’est ce qui justifie de prendre le mouvement comme moyen fondamental d’éducation.
L’organisme est un ensemble de systèmes fonctionnels interdépendants. Les organes sensoriels, le système musculaire strié, le système nerveux central et ses liaisons avec les organes récepteurs et effecteurs précédents, constituent le module psychomoteur, dont le rôle est central dans le processus de développement. Le système nerveux central définit les réponses de l’organisme en fonction des informations en provenance de l’environnement et des informations internes. C’est la fonction opérative qui s’exprime par le langage et le mouvement. Elle est tournée vers l’extérieur et repose sur les voies nerveuses de conduction sensorielle et du système moteur. Il existe trois niveaux de traitement de l’information sensorielle : un niveau réflexe qui met en jeu la moelle épinière et le tronc cérébral, un niveau automatique qui implique le système limbique et les noyaux gris centraux, un niveau intentionnel qui requiert l’activité du cortex cérébral. ’Ce dernier niveau implique une plus grande participation des fonctions cognitives’363. La fonction opérative dans son ensemble dépend d’une autre plus primitive dite énergétique.
La fonction énergétique correspond à l’activité du système réticulé. ’Son versant corporel s’exprime par le tonus musculaire de base, prolongé par la posture et la mimique, sa traduction mentale se manifeste par la fonction d’éveil, les différents aspects de la vigilance, les composantes affectives de la conduite et l’intentionnalité’364. L’énergie provient de l’activité métabolique des neurones et de la stimulation sensorielle. Son accumulation produit un état de tension qui se traduit par la fonction d’éveil s’il concerne les structures perceptives et par un besoin de mouvement s’il s’applique aux structures motrices.
’Le système nerveux central assure donc deux ensembles de fonctions :
les unes énergético-affectives de nature psychomotrice, supports de l’intentionnalité, de l’éveil et de la vigilance, des attitudes affectives et de l’émotivité,
les autres opératives, à la fois psychomotrices et cognitives : les praxies et le langage en sont les traductions objectives’365.
C’est ce qu’illustre le tableau suivant, extrait de Mouvement et développement de la personne, p.64.
C’est donc sur ces ensembles que va agir l’éducation fonctionnelle par l’utilisation du mouvement. Pour que l’apprentissage influence le développement, il faut qu’il soit ’la conséquence d’une confrontation active de l’organisme avec son environnement. Ce qui importe dans un apprentissage n’est pas le savoir qui en résulte, mais l’activité fonctionnelle mise en jeu pour l’acquérir’366. La première fonction à mettre en oeuvre est par conséquent celle que Le Boulch a appelée la fonction d’ajustement, basée sur la labilité des connexions nerveuses. Elle évolue ’en fonction des stades de développement du schéma corporel’367. Celui-ci, d’abord inconscient, permet l’ajustement postural et moteur puisqu’il correspond au traitement des informations proprioceptives. Celles-ci sont aussi analysées dans le lobe pariétal du néocortex, où elles sont d’emblée associées aux informations visuelles et tactiles, ainsi qu’à l’activité de neurones moteurs. ’Cependant, cette prise de conscience du corps exige un effort particulier qui correspond à une forme spécifique de vigilance consistant à déplacer son attention de l’environnement sur son propre corps’368 : c’est ce que Le Boulch appelle la fonction d’intériorisation. Le développement de celle-ci est nécessaire pour qu’advienne une ’image du corps opératoire’369, base de l’apprentissage moteur par programmation mentale.
Entre le deuxième et le troisième mois après la naissance, la fonction d’éveil et la fonction d’ajustement vont arriver à maturité et commencer leur évolution. C’est à partir de la fonction d’éveil que l’enfant va établir des relations avec son milieu humain et physique et que, par conséquent, vont pouvoir apparaître la fonction sémiotique et la fonction praxique. Le dialogue corporel entre la mère et l’enfant va, s’il est positif, favoriser chez celui-ci la confiance en son environnement. La fonction d’éveil entretient donc l’intérêt que l’enfant, se vivant en sécurité, va porter à cet environnement et qu’il va explorer, mettant en jeu la fonction d’ajustement. Ainsi confronté à des situations nouvelles, il va pouvoir inventer des réponses adaptées et passer progressivement d’un ajustement impulsif à un ajustement contrôlé.
La fonction d’intériorisation émerge vers l’âge de 3 ans. Elle va permettre à l’enfant de découvrir ses caractéristiques corporelles, d’élaborer son schéma corporel conscient. ’Cette attention portée sur le corps ne sera pas, à la période préopératoire, véritablement intentionnelle. Elle s’exercera à l’occasion des ajustements globaux impliquant un effort particulier de telle ou telle partie du corps’370. Ce schéma corporel conscient se développe pendant plusieurs années. L’enfant acquiert vers 6-7 ans, ’une image du corps opératoire [qui] correspond à l’image visuelle du corps, orientée et verbalisée, associée à l’ensemble des sensations tactiles et kinesthésiques intériorisées’371. Il devient alors capable de contrôler les différentes parties de son corps qu’il prend aussi comme référent pour se situer dans l’espace. Le schéma corporel va encore évoluer et l’enfant va pouvoir passer d’une ’image statique du corps à une image anticipatrice dans laquelle le corps devient lui-même un objet de l’espace qui peut être imaginé à un autre lieu de l’espace et à un autre moment du temps’372. L’évolution du schéma corporel aboutit donc à ce que Piaget appelle ’décentration’ et qui permet l’entrée dans la coopération.
Il y aurait certainement encore beaucoup à dire sur les données théoriques de la psychocinétique. Nous sommes contraint, dans le cadre de notre recherche, de nous limiter. Nous nous sommes efforcé de sélectionner ce qui nous permet de comprendre le choix des moyens utilisés en psychocinétique pour atteindre les finalités et objectifs qu’elle s’est fixés.
id. p.33.
ibid.
id. p.118.
LE BOULCH, J. : Mouvement et développement de la personne, Vigot, Paris 1995, p.45.
id. p.52.
id. p.50.
id. p.52.
ibid.
id. p.56.
ibid.
id. p.57.
id. p.243.
id. p.259.
id. p.262.