1.4 Les moyens

’Au cours du développement interfèrent de façon constante les deux composantes de la conduite, la fonction énergétique et la fonction opérative. L’affectivité qui découle de la première déclenche et oriente l’activité transitive. Inversement, l’efficacité praxique est un facteur de l’équilibre affectif. L’éducateur doit donc répondre à cette double exigence’373. Pour ce faire, il lui est indispensable de pouvoir situer l’enfant dans son développement dont il doit respecter la chronologie. Cela nécessite de connaître ce développement et de savoir observer l’enfant. La stratégie éducative s’appuie sur l’analyse fonctionnelle.

A l’école maternelle, ’la priorité revient à la formation des attitudes affectives et à l’équilibre de la fonction énergétique’374. Le jeu libre au cours duquel les enfants seront en interaction et les activités d’expression comme la danse et l’expression dramatique seront utiles pour le renforcement de l’équilibre énergétique. Le jeu permet de consolider l’activité intentionnelle : l’enfant explore les objets, se confronte ainsi au milieu physique, invente, crée. L’enseignant favorise cette exploration, cette intentionnalité de l’enfant, par une attitude ’non directive’. Le matériel qu’il met à la disposition des élèves a aussi son importance. Il faut créer de nombreux espaces de jeux.

L’équilibre de la fonction énergétique s’obtient par le passage d’un ajustement impulsif à un ajustement contrôlé. L’école maternelle le favorise :

Le rôle de l’adulte, ses attitudes, sont donc fondamentales pour l’équilibre énergétique de l’enfant. Il doit permettre à l’enfant de se sentir en sécurité, tant par la relation qu’il établit avec chacun que par les limites peu nombreuses mais précises qui assurent un espace de liberté. Mais, si ce dernier est essentiel, l’enfant doit aussi accepter des situations proposées par l’adulte. Cet apprentissage se fait progressivement par l’acceptation de poursuivre une activité choisie, d’interrompre une activité. Le contrôle de soi passe aussi par l’acceptation de se taire pour écouter un autre, de stabiliser son attitude corporelle, d’accepter une situation de détente globale. L’enseignant ne doit demander aux enfants que ce dont ils sont capables. Des exercices et jeux favorisent aussi ce contrôle tonique : marcher ou courir sans bruit, s’arrêter au signal donné par l’enseignant, ralentir, contrôler le maniement d’engins, maintenir la régularité d’un tempo, diminuer l’intensité dans une activité vocale ou instrumentale. Tout cela éduque l’attention, support des activités cognitives.

L’action sur l’équilibre de la fonction énergétique se prolonge par l’amélioration des fonctions psychomotrices opératives. ’L’expression de la fonction d’ajustement dont dépend la disponibilité motrice, source de la confiance en soi et de l’efficacité de l’action, doit être précieusement conservée et entretenue’376. Ce que nous avons dit du contrôle tonique reste pertinent à ce sujet. Des situations problèmes dans le domaine des coordinations oculo-manuelles et dans celui de l’équilibre et de l’ajustement postural sont importantes pour favoriser ’le libre jeu des réflexes qui servent d’assise à l’organisation praxique’377.

La structuration perceptive fait aussi l’objet d’un travail d’éducation psychomotrice. Il s’agit de parvenir au traitement de l’information par l’hémisphère gauche pour aboutir ’ à la structuration d’un schéma corporel conscient prolongé par son émergence mentale, l’image du corps opératoire’378. Cela va se faire par la mise en jeu de la fonction d’intériorisation. Ainsi, l’enseignant pourra favoriser la prise de conscience globale du corps en faisant réaliser à l’enfant des imitations d’animaux ou d’attitudes corporelles. L’attention portée sur les différentes parties du corps au cours d’activités diverses favorise leur prise de conscience. Les différentes acquisitions concernant l’espace ’doivent être appliquées et verbalisées au cours des jeux’379. La perception des formes géométriques permet le passage de l’espace topologique à l’espace euclidien ; d’où l’importance de la manipulation des blocs logiques ou autre matériel adapté et de leur symbolisation graphique.

Le langage sera associé aux actions et perceptions. En effet, la ’structuration du schéma corporel, liée à la structuration spatio-temporelle des données extérieures, se fait toujours en interaction avec le langage et sollicite la fonction symbolique’380. La verbalisation aide à la prise de conscience et à l’intégration du schéma corporel et des données spatio-temporelles.

Au cycle des apprentissages fondamentaux, qui va de la Grande Section maternelle jusqu’à la seconde année de l’école élémentaire, l’enfant arrive en principe avec une image du corps orientée, avec une latéralité bien établie qui l’aide à situer gauche et droite. Cette orientation gauche-droite du corps propre est encore insuffisamment intégrée par certains enfants de ce cycle ; des exercices peuvent les aider à développer leur fonction d’intériorisation à son sujet.

La structuration spatio-temporelle de l’espace graphique constitue un élément important du travail du cycle des apprentissages fondamentaux. ’L’organisation de l’espace graphique implique la bonne visualisation des formes, leur reproduction et surtout la possibilité de respecter leur succession’381. L’enseignant pourra donc demander aux enfants de reproduire des signes diversement orientés, de situer la gauche et la droite d’une feuille, de reproduire des trajectoires qui favorisent l’intégration de l’automatisme de balayage visuel de gauche à droite et d’associer dans l’espace graphique les notions gauche-droite et avant-après.

’L’enfant de 3 à 6 ans devrait disposer d’une motricité globale harmonieuse et rythmique’382. Cela s’acquiert ’par la pratique d’une motricité ludique globale’383 qu’il convient de favoriser encore au cycle des apprentissages fondamentaux. Elle sera complétée par la pratique d’évolutions accompagnant les chants, de danses et de jeux chantés. L’utilisation de percussions associées au mouvement peut se faire ’dès que l’enfant a découvert les rythmes naturels de locomotion, marche, course, sautillé, galop et sauts successifs’384. Cette rythmicité du corps vécu est importante. ’Mais lors des apprentissages scolaires de base et en particulier dans la compréhension du langage oral et sa mémorisation, et plus tard dans l’analyse des phonèmes successifs correspondant à la lecture, la perception des structures rythmiques représente un prérequis fondamental’385. Cette perception pourra être travaillée à partir des comptines et d’exercices de reproduction de structures rythmiques.

Parmi les apprentissages fondamentaux, l’écriture ’représente un véritable travail psychomoteur qui s’appuie sur ce qui a déjà été acquis à l’école maternelle. Il contribue à faire évoluer l’ajustement global vers un ajustement cognitif, c’est-à-dire programmé mentalement’386. Il sollicite l’ajustement postural avec prise de conscience, le contrôle tonique de l’axe du corps et des membres, le développement de la motricité manuelle, l’orientation droite-gauche. Nous reviendrons plus en détail sur cet apprentissage au paragraphe 3 de ce chapitre.

La psychocinétique est née dans le cadre de l’éducation physique. Le Boulch continue, bien évidemment, à s’intéresser à cette discipline à laquelle il donne toujours une orientation psychomotrice. L’action motrice y conservera son caractère global et ludique. ’L’attention de l’enfant au cours des situations-problèmes sera, comme à l’âge précédent, centrée sur le but à atteindre ; l’aspect procédural, c’est-à-dire les détails de la programmation motrice, doit demeurer inconscient’387. C’est par l’ajustement postural sollicité lors de l’apprentissage de l’écriture que l’ajustement deviendra cognitif, ce qui est possible parce que l’enfant est dans des conditions statiques. ’Cependant, la programmation mentale interviendra dans les ajustements séquentiels nécessitant l’enchaînement d’une succession de praxies dans un ordre donné et dans des limites de temps’388, par exemple dans un enchaînement gymnique simple ou un parcours d’agilité. A travers les jeux de règles, ’l’éducateur dispose [...] d’une activité privilégiée tant sur le plan du développement des fonctions opératives psychomotrices et cognitives que sur celui de la régulation et de l’équilibre de la fonction énergétique’389. Il faut qu’il se centre sur la régulation des relations au sein du groupe et non sur les aspects techniques. L’aide nécessaire à certains enfants sur le plan fonctionnel sera apportée à un autre moment. L’enseignant doit, pendant le jeu de règles, observer les enfants et analyser les difficultés qu’ils rencontrent.

L’éducation psychomotrice s’effectue également par l’expression dramatique qui s’appuie sur la disponibilité corporelle et fait intervenir le travail postural. Elle se fait aussi à travers l’éducation musicale qui demande un contrôle de l’attitude, un travail de relaxation différentielle et de développement de la motricité fine pour la pratique instrumentale comme pour l’écriture. Le chant permet aussi le contrôle respiratoire en lien avec l’éducation du schéma corporel conscient ; la fonction d’intériorisation y est particulièrement sollicitée. ’La disponibilité motrice recherchée dans le travail de l’ajustement global a pour conséquence l’harmonie du mouvement. Le rythme ainsi inscrit dans le corps sera le point de départ à l’expression de la pulsation et au respect des contraintes rythmiques imposées par l’enseignement musical’390. On retrouve cet aspect rythmique dans la danse qui permet aussi l’imagination et l’expression ; il faut donc permettre la spontanéité du mouvement accompagnant la musique et ne pas lui substituer un apprentissage de pas codifiés.

L’éducation psychomotrice se poursuit au cycle des approfondissements, dernier cycle de l’école primaire. ’Cette période de 8 à 11 ans doit [...] être consacrée à faire parvenir l’enfant à l’autonomie motrice. Pour cela, d’une part le faire passer de l’ajustement global à l’ajustement cognitif, d’autre part compléter son éducation perceptive’391.

Les automatismes acquis précédemment peuvent avoir besoin d’être adaptés. La représentation mentale de son propre corps et la possibilité de localiser la modification souhaitée permettront cette adaptation. C’est donc l’image opératoire du corps et la fonction d’intériorisation qui sont mises en jeu. Cela s’est fait au cycle précédent en situation statique et peut, à partir de 8 ans, être étendu ’aux activités praxiques en déplacement [...] parce qu’à cet âge il sera susceptible de déplacer son attention du but à atteindre vers la partie du corps concernée par l’action pyramidale intentionnelle (fonction d’intériorisation)’392.

Les capacités nouvelles sur le plan de la structuration spatio-temporelle que sont les capacités d’orientation relative et de décentration et les capacités de représentation mentale du mouvement, permettent de proposer aux enfants ’soit des situations-problèmes empruntées à l’athlétisme et aux sports de raquettes, soit des modèles analogiques des situations complexes rencontrées en sports collectifs’393.

Des notions mathématiques seront vécues corporellement : verticalité, vitesse, accélération, appréciation de la vitesse d’un partenaire, appréciation des trajectoires.

La danse permet de s’exprimer lorsque le corps peut se laisser emporter par la musique sans effort conscient. L’enfant du cycle des approfondissements peut en être capable. ’Cet effort particulier d’intériorisation concerne la découverte d’un corps énergétique au niveau duquel la prise de conscience ne se définit pas en termes de localisation mais bien en termes d’augmentation, d’allégement, de déplacement de l’énergie. Ainsi se consolidera une image du corps que l’on pourrait appeler énergétique, support de l’attitude, toile de fond de l’ « image du corps opératoire »’394. La danse en groupe contribuera à développer la coordination de ses déplacements avec ceux des partenaires, par conséquent ajustement à l’espace et représentation mentale de cet espace. L’apprentissage partira de l’ajustement global pour intégrer ensuite la dimension collective qui suppose aussi, dans la danse folklorique, l’apprentissage de pas.

Le sport collectif introduit la compétition. L’enseignant doit toujours accorder la priorité aux relations dans le groupe. Le respect de l’adversaire est indispensable ; le respect de la règle et des décisions de l’arbitre également : l’enfant développe ainsi sa capacité à se contrôler. L’enfant doit aussi apprendre à passer de la participation affective à la participation intellectuelle au groupe de jeu : ainsi, il doit davantage prendre en compte la position spatiale d’un joueur plutôt que sa personne. C’est la décentration à l’oeuvre. A travers les jeux de coopération ou le sport collectif, l’enfant développe sa décentration, le contrôle de la fonction énergétique, l’ajustement global contrôlé et les fonctions posturales.

La psychocinétique s’adresse aussi aux élèves de collège et à tout un chacun bien au-delà encore. Cependant, nous n’allons pas en poursuivre la présentation puisque nous nous intéressons ici à l’école primaire.

Notes
373.

id. p.62.

374.

LE BOULCH, J. : 1998, op. cit. p.162.

375.

id. p.169.

376.

id. p.172.

377.

id. p.173.

378.

id. p.177.

379.

id. p.179.

380.

id. p.182.

381.

id. p.187.

382.

id. p.191.

383.

id. p.192.

384.

id. p.194.

385.

id. p.195.

386.

id. p.198.

387.

id. p.209.

388.

id. p.210.

389.

id. p.213.

390.

id. p.217.

391.

id. p.221.

392.

id. p.224.

393.

id. p.228.

394.

id. p.231-232.