Nous avons accordé une place particulière à la psychocinétique, d’une part en quantité, d’autre part en la considérant à part des autres formes d’éducation psychomotrice. Cela nous semble justifié tout d’abord par l’importance des travaux de Le Boulch qui s’étalent sur un demi-siècle. D’où une dimension historique que nous ne trouvons pas chez les autres auteurs qui ont écrit plus ponctuellement sur le sujet de l’éducation psychomotrice. Cela nous semble justifié aussi par l’orientation spécifique que seul lui donne Le Boulch par la psychocinétique, à savoir son application à l’école dans le cadre de l’éducation physique presque exclusivement.
Nous avons vu, en effet, combien il a été difficile pour Le Boulch de situer la psychocinétique dans le cadre scolaire. Luttant sans cesse contre les orientations officielles de l’éducation physique et sportive, il n’est jamais totalement parvenu à l’en dégager pour en faire une véritable méthode générale d’éducation. Y ayant apparemment renoncé, il l’a définie comme ’science du mouvement humain appliquée au développement de la personne’395 dont le champ scolaire d’application reste essentiellement l’éducation physique que Le Boulch souhaite voir ’intégrée aux programmes scolaires’396. L’ambiguïté n’est pas levée. Les programmes scolaires sont définis dans le cadre des différentes disciplines. L’éducation physique en étant une elle-même, on voit mal comment elle pourrait s’intégrer aux programmes. Certes, Le Boulch affirme que l’éducation psychomotrice est la condition de la transversalité, mais il lui donne l’éducation physique comme champ d’application scolaire.
Cependant, les finalités de la psychocinétique dépassent largement les acquisitions de techniques motrices. Elles concernent aussi bien la socialisation que la motivation pour l’étude et les capacités d’attention. A la fin de la scolarité primaire, l’équilibre de l’enfant doit lui permettre l’autonomie motrice et la décentration. La psychocinétique vise le développement de la personne. Mais on peut en dire autant de toutes les disciplines scolaires. Cela ne lui donne pas le statut de discipline transversale ; cela ne la rend pas transdisciplinaire.
Le Boulch définit l’éducation psychomotrice comme propédeutique aux apprentissages scolaires. Parmi ceux-ci, il considère celui de l’écriture comme un travail psychomoteur. Comment peut-elle être à la fois l’un et l’autre ? L’éducation psychomotrice ne peut se préparer elle-même. Et pourtant on peut concevoir que ce qui est fait en maternelle et que l’on peut considérer comme éducation psychomotrice prépare les acquisitions ultérieures. Et l’on peut aussi admettre que l’apprentissage de l’écriture est un travail psychomoteur. Il faut alors considérer que l’éducation psychomotrice n’est pas une discipline d’enseignement, mais une orientation pédagogique qui prend corps dans le cadre des différentes matières. En ce sens, elle est transversale, transdisciplinaire. Cela suppose qu’elle ne soit pas qu’une orientation de l’éducation physique seule. Ce n’est pas parce que la motricité est l’objet même de celle-ci qu’elle n’est pas présente dans toutes les autres matières. L’enfant n’existe pas sans sa corporéité.
Pour Le Boulch, les finalités de la psychocinétique sont définies à l’aide des sciences humaines, ses moyens concrets trouvent leur justification dans les neurosciences. C’est essentiellement sur ces dernières qu’il s’appuie pour élaborer la science du mouvement humain. En effet, l’analyse fonctionnelle du système nerveux constitue un modèle explicatif du fonctionnement et du développement humains qui débouche sur la pratique psychocinétique. Le Boulch introduit des concepts nouveaux : la fonction d’ajustement, la fonction d’intériorisation, l’image du corps opératoire. Mais on peut se demander quelle est leur valeur heuristique. Il n’apparaît pas non plus avec évidence que les finalités sont définies par les sciences humaines et les moyens concrets d’action par les sciences biologiques. Il semble bien que les finalités ne peuvent être définies que sur un registre philosophique et que les moyens d’action sont issus autant des sciences humaines que des sciences biologiques.
La psychocinétique est une éducation psychomotrice. Elle met le mouvement au centre du processus éducatif. Elle contribue donc, comme toute la psychomotricité, à introduire le corps dans les préoccupations éducatives et rééducatives. Elle offre un modèle qui permet de mieux comprendre le développement de l’enfant et des propositions éducatives concrètes selon les niveaux de la scolarité. Elle constitue un courant de l’éducation psychomotrice en France depuis cinquante ans.
Un autre courant d’éducation psychomotrice a existé en France : le courant psychopédagogique. C’est lui que nous allons maintenant étudier.
LE BOULCH, J. : 1998, op. cit. p.115.
id. p.105.