2.2 Finalités et objectifs

Si Vayer défend l’idée d’une éducation psychomotrice à l’école, c’est qu’il s’oppose au fonctionnement du système scolaire dont les normes de la nature et des modalités des apprentissages ’constituent un barrage à la connaissance’413. L’éducation psychomotrice permettrait d’abandonner le modèle d’apprentissage mis en oeuvre par le système scolaire pour le remplacer par un modèle de développement de la personne. Il s’agit donc de favoriser ce développement, cette croissance personnelle, de permettre ’l’expression et le développement des potentialités’414. C’est ce que Vayer réaffirme avec Roncin quelques années plus tard : les activités corporelles, qui participent à l’éducation et se donnent par conséquent les finalités de celle-ci, s’intègrent au projet de l’école pour l’enfant, qui ’n’est pas tant d’apprendre des données formelles ou des connaissances issues d’une tradition que de favoriser son développement et son adaptation à un monde en évolution’415.

Dans un premier temps, Lapierre et Aucouturier ont donné une orientation plus intellectuelle à l’éducation psychomotrice. En effet, celle-ci consistait à étudier systématiquement les contrastes fondamentaux ’pour aller vers la découverte de l’abstraction’416. Le rôle qu’ils reconnaissaient à l’école primaire était en effet ’d’apprendre à percevoir, et à « penser » à partir de ces perceptions ; de fournir [à l’enfant] une somme d’expériences vécues qui lui permette de former les structures mentales indispensables à l’acquisition ultérieure de connaissances réelles et non seulement livresques’417. L’acquisition de connaissances découle donc, dans cette perspective, du développement de l’intelligence favorisé par l’éducation psychomotrice. Dans un second temps, Lapierre et Aucouturier placent ’l’épanouissement de la personne’418 au premier plan. Certes, l’éducation psychomotrice continue à faciliter les apprentissages scolaires, mais ce n’est pas là son but premier, car ’il ne s’agit plus [...] d’acquérir des connaissances sur le mode de l’avoir, mais des possibilités sur le mode de l’être’419. Ce qui est important, en effet, c’est de ’développer la disponibilité et l’esprit critique de l’enfant en eux-mêmes, au niveau de son être, pour que son autonomie intellectuelle ne s’exerce pas seulement face aux matières scolaires, mais dans la vie elle-même et dans la société’420. La finalité de l’éducation psychomotrice est le ’développement des potentialités propres à chaque enfant’421, le ’développement harmonieux de la personnalité de chacun’422. Ce sont des structures de pensée qu’il faut former et non mettre en place des stéréotypes, qu’ils soient moteurs ou intellectuels.

Lagrange, qui a tenté une synthèse des premières approches psychomotrices, n’a pas pu prendre en compte la deuxième orientation de Lapierre et Aucouturier puisque son ouvrage a précédé le leur. Comme Le Boulch et Vayer, il situe l’éducation psychomotrice en opposition à l’éducation physique et aux conceptions traditionnelles de l’éducation. Pour lui, l’éducation psychomotrice contribue à l’éducation globale dont le but est de donner à l’enfant ’une formation, donc des possibilités d’adaptation active’423. Cela suppose ’apporter à l’enfant le maximum de schèmes de comportement et surtout lui apprendre à les associer’424. Si la notion de formation et l’importance de l’adaptabilité sont présentes chez tous les auteurs qui ont travaillé précédemment sur l’éducation psychomotrice, l’apport de schèmes de comportement semble bien spécifique à Lagrange. Selon lui, c’est à partir de ’schèmes moteurs et psycho-moteurs’425 transférables que sont facilitées les acquisitions scolaires, professionnelles, sportives. S’il est question de transfert, c’est, comme l’a montré Le Boulch, que nous sommes dans une perspective d’apprentissage et non de formation, contrairement à ce que souhaite Lagrange. Paradoxalement, il veut en effet apporter sa contribution à l’éducation ’en conférant souplesse d’esprit, plasticité de pensée et de comportement, aptitude au jugement et au choix’426. Une ambiguïté se retrouve dans d’autres propos de cet auteur qui, par son éducation psychomotrice, veut fournir à l’enfant ’des possibilités d’adaptation’, mais aussi ’des habitudes sociales par le travail de groupe [et] des connaissances’427. A travers le mouvement sont visés des buts qui se situent dans les domaines du raisonnement, du langage, de la représentation mentale, de la socialisation, du jugement esthétique, de la connaissance de soi, de l’adaptabilité par transfert des acquis. Mais il n’est question ni de développement harmonieux ni d’épanouissement de la personne.

De Meur et Staes et De Lièvre et Staes pensent que l’éducation psychomotrice est destinée à favoriser les acquisitions scolaires et sportives et à remédier aux difficultés dans ces domaines. Elle fournit à l’enfant des pré-requis psychomoteurs pour les acquisitions scolaires que sont l’écriture, la lecture et les mathématiques. Ces pré-requis concernent le développement moteur, le schéma corporel, la latéralité, la structuration spatiale et temporelle. Les acquis notionnels sont mis au premier plan : ’Les exercices psychomoteurs visent à faire acquérir une notion corporelle ou spatiale bien précise’428.

Mais l’éducation psychomotrice est aussi un facteur important du développement personnel. De Lièvre et Staes mentionnent les objectifs communs à l’éducation physique, au sport et à l’éducation psychomotrice : épanouissement de la personne ; éducation corporelle, psychologique et sociale ; réponse aux besoins corporels de mouvement, de jeu et de détente, aux besoins cognitifs de connaissance et de compréhension, aux besoins psychologiques de reconnaissance de soi, de valorisation et de communication. Outre ces objectifs, l’éducation psychomotrice en poursuit d’autres qui lui sont propres. De Lièvre et Staes les classent en plusieurs catégories :

Nous retrouvons Aucouturier par la préface du livre de Donnet dans laquelle il indique les finalités de l’éducation psychomotrice qu’elle met en oeuvre. Il y affirme que la ’pratique de l’expressivité psychomotrice [vise la] prévention du blocage ou de l’envahissement de l’émotionnel et de l’imaginaire’429. C’est ce qui permettra la disponibilité cognitive qui se fonde ’sur l’évolution harmonieuse des pulsions, des affects et des fantasmes vers une décentration bien intégrée qui conditionne les compétences à analyser et à opérer’430. L’éducation psychomotrice doit ainsi permettre un développement harmonieux de la personne de l’enfant, un équilibre affectif qui constitue un pré-requis pour les apprentissages cognitifs, pour l’accès à ’une pensée qui soit opératoire’431.

Pour Sylvie Donnet, l’enfant peut aussi, par l’exercice de sa motricité, prendre confiance en ses possibilités d’action. Il explore les sensations, vit positivement son corps dans une situation en dehors de toute évaluation. Il structure ainsi son schéma corporel et développe ses capacités motrices et de maîtrise de soi. Il peut aussi retrouver des sensations et émotions archaïques et combler des manques. Il apprend à vivre avec les autres dans le respect des règles. Il structure l’espace, le temps, d’où découlent des notions de logique. Il organise son environnement et ’aborde différentes notions fondamentales pour son développement intellectuel’432. Ainsi, les séances de psychomotricité l’aident à développer toutes les composantes de sa personnalité : motrices et psychomotrices, affectives, sociales et intellectuelles.

Notes
413.

VAYER, P. : 1978, op. cit. p.41.

414.

VAYER, P. : 1976, op. cit. p.50.

415.

VAYER, P. et RONCIN, C. : op. cit. p.11.

416.

LAPIERRE, A. et AUCOUTURIER, B. : Education vécue, du concret à l’abstrait à travers l’éducation psychomotrice, Tome 1, Les contrastes et la découverte des notions fondamentales, Doin, Paris 1973, p.12.

417.

ibid.

418.

LAPIERRE, A. et AUCOUTURIER, B. : 1975, op. cit. p.106.

419.

id. p.9.

420.

id. p.106.

421.

id. p.17.

422.

id. p.19

423.

LAGRANGE, G. : op. cit. p.20.

424.

id. p.22.

425.

ibid.

426.

id. p.38.

427.

id. p.227.

428.

DE MEUR, A. et STAES, L. : Psychomotricité, Education et rééducation, Belin, Paris 1985, p.22.

429.

AUCOUTURIER, B. : préface de l’ouvrage de DONNET, S. op. cit. p.13.

430.

ibid.

431.

DONNET, S. : op. cit. p.18.

432.

id. p.142. On retrouve là la première conception de l’éducation psychomotrice exprimée par Lapierre et Aucouturier.