2.5 Types et domaines d’activités, démarches

Vayer propose une progression pour l’école maternelle. Il s’agit de favoriser d’abord l’exploration et les découvertes de ses possibilités par l’enfant. Ensuite, l’adulte va faciliter le développement d’activités intentionnelles. Enfin, l’enfant va pouvoir coordonner ses actions, les comparer, les exprimer, bref effectuer une réflexion sur soi. A l’école élémentaire, il continuera à développer la découverte, la conscience et le contrôle de soi. Cela se fait à travers trois classes d’activités : l’organisation de soi, l’enfant devant le monde des objets, l’enfant devant le monde d’autrui. Concrètement, Vayer propose des exercices qu’il faut ’considérer comme des suggestions qu’il appartient à chacun de développer, de transposer et de réinterpréter’471 et non comme un programme à appliquer. Bon nombre de ces exercices se retrouvent chez Le Boulch : équilibre, coordinations, espace-temps, éducation de la respiration, jeux et activités libres. Mais Vayer en propose aussi d’autres : jeux corporels dans une relation interpersonnelle adulte-enfant, contrastes vécus (bruit-silence, fort-faible), organisation de l’espace graphique, travail sur les couleurs et les sons, sur les quantités et les qualités des objets. La démarche consiste à partir des activités fonctionnelles vécues pour passer à l’activité intentionnelle qui suppose la représentation mentale et le projet idéo-moteur pour aller enfin vers l’activité réfléchie et l’expression verbale, picturale, graphique. Cela peut aboutir aux notions mathématiques et de langage écrit, donc aux activités scolaires traditionnelles, mais qui restent toujours en lien avec l’action, avec le vécu et qui ainsi prennent sens dans le projet de l’enfant ou du groupe d’enfants.

Les contrastes sont repris par Lapierre et Aucouturier et constituent la base de leur première forme d’éducation psychomotrice. C’est à partir de l’activité motrice spontanée que les contrastes fondamentaux sont perçus, analysés, organisés et mémorisés, car ’une perception est spontanément privilégiée lorsqu’elle se trouve en opposition avec une perception de même ordre et de sens contraire qui lui succède ou la précède’472. Les contrastes sont complétés par l’étude, toujours à partir du vécu, des associations de contrastes, des structures et des rythmes, des nuances, des associations de nuances et des nuances du rythme. Tout ce travail conduit l’enfant à la conscience, à la connaissance et à la maîtrise de son corps dans l’espace et le temps et en relation avec le milieu physique et humain. La démarche est très proche de celle de Vayer puisque le point de départ est l’activité motrice spontanée que l’enseignant fera exprimer sous différentes formes, corporelle, graphique, verbale.

La symbolique du mouvement ne présente pas d’exercices comme les ouvrages précédents des mêmes auteurs qui s’inquiétaient déjà de la rigueur de la structure pédagogique qui y était présentée. C’est d’ailleurs pourquoi ils avaient inséré, au dernier moment, un chapitre sur l’activité motrice spontanée. Celle-ci devient ici l’essentiel. Ayant mis divers objets à la disposition des enfants, l’éducateur observe ’la façon dont ils les utilisent, dont ils les investissent progressivement’473. Le vécu corporel est suivi d’autres modes d’expression et de communication symboliques à travers lesquels l’enfant parvient peu à peu à une distanciation par rapport à son vécu. Lapierre et Aucouturier se sont engagés ’dans la voie des pulsions, des désirs primitifs, de l’inconscient, et y [ont rencontré] le corps, le mouvement, dans leur signification affective, ce « corps érogène » (S. Leclaire) que toute l’éducation s’efforce d’ignorer’474. L’enseignant prend en compte ces pulsions, ces désirs primitifs pour les faire évoluer jusqu’aux moyens d’expression les plus abstraits auxquels appartiennent la langue orale et surtout écrite, mais aussi le langage mathématique. Vayer et Roncin préconisent aussi une démarche qui s’appuie sur l’activité spontanée de l’enfant à partir d’un matériel mis à la disposition du groupe. Mais c’est la relation à l’objet et aux autres qui est prise en considération et, même si l’affectivité entre nécessairement en jeu, la lecture des comportements ne s’appuie pas autant sur les données psychanalytiques. L’éducation psychomotrice élaborée par Donnet va davantage dans le sens de La symbolique du mouvement. Fondée sur l’expressivité motrice, elle vise en effet l’évolution affective harmonieuse, base de la disponibilité relationnelle et cognitive. L’enseignant organise le milieu et intervient pour structurer l’espace-temps de la séance, pour faire évoluer les choses à partir de l’activité spontanée des enfants jusqu’à la représentation.

Il est clair que Lagrange se situe dans une optique différente puisqu’il vise à faire acquérir des notions à travers des exercices qui sont très dirigés et, nous l’avons vu précédemment, les mots sont mis par l’adulte sur une situation qu’il a totalement organisée. De Meur et Staes et De Lièvre et Staes se situent dans une optique similaire. Bien qu’ils affirment la nécessité de partir du vécu corporel, cela se présente aussi chez eux de façon rigide, figée. Les étapes qu’ils définissent sont rigoureuses et possèdent des frontières bien étanches. Ainsi, ’il est conseillé de ne pas employer les termes « gauche » et « droite » avant que la latéralité ne soit bien installée’475. A l’opposé, dans leur démarche, la connaissance précède souvent l’action : l’enfant doit, par exemple, connaître la topographie corporelle pour se mettre en mouvement ; la prise de conscience et la connaissance sont premières dans le développement du schéma corporel qui, bien que comportant divers aspects sensoriels et moteurs, se trouve défini comme ’la prise de conscience, par l’enfant, de son corps, de ses possibilités motrices et de ses possibilités d’agir et de s’exprimer’476. Les relations entre les acquis psychomoteurs et les apprentissages scolaires paraissent quelquefois conçues de manière un peu étroite. Ainsi, De Lièvre et Staes recommandent de tester ’la praxie digitale en vue de l’écriture [...] en demandant à l’enfant d’opposer successivement le pouce aux autres doigts de la main’477. Si l’habileté digitale est certes nécessaire à la maîtrise de l’acte graphique, elle ne se limite pas à l’opposition du pouce aux autres doigts qui, de plus, n’est pas une praxie.

Il existe donc, chez ces auteurs belges, un double mouvement contradictoire : d’une part une affirmation de la nécessité du vécu corporel pour parvenir à la connaissance abstraite ; d’autre part une approche cognitive de l’activité corporelle. De plus, il est souvent difficile de percevoir le lien entre le vécu corporel global proposé et la notion abstraite qu’elle est censée développer. Comment comprendre en effet que le saut de ’brique’ à ’brique’ favorise l’intégration de la notion de ’ligne droite’ ? Il y a là une conception instrumentaliste de la psychomotricité qui repose sur une conception dualiste de l’homme. La notion de vécu corporel ne recouvre pas la même réalité chez Lagrange et les auteurs belges que chez les autres auteurs.

Notes
471.

VAYER, P. : 1976, op. cit. p.60.

472.

LAPIERRE, A. et AUCOUTURIER, B. : 1973, op. cit. p.45.

473.

LAPIERRE, A. et AUCOUTURIER, B. : 1975, op. cit. p.21.

474.

id. p.9.

475.

DE MEUR, A. et STAES, L. : op. cit. p.12.

476.

id. p.13.

477.

DE LIÈVRE, B. et STAES, L. : op. cit. p.127.