Au cours des paragraphes précédents, nous avons déjà émis un certain nombre de critiques à l’égard notamment de Lagrange, de De Meur et Staes et de De Lièvre et Staes. Leur conception de l’éducation psychomotrice est très normative. Le verbal domine et parfois précède le vécu corporel. L’acquisition notionnelle est mise au premier plan. Il y a une surestimation des effets des exercices. La conduite directive des activités par l’adulte ne leur permet pas d’être le support d’un véritable vécu corporel. Cette dernière remarque nous paraît aussi s’appliquer à certaines activités médiatisées par l’adulte proposées par Vayer aux enfants de maternelle, bien qu’il le nie : ’Il s’agit là, malgré les apparences formelles, de situations globales vécues par l’enfant sur le mode autonome’478.
Ce rejet du formalisme et du normatif par Vayer l’ont conduit à essayer de modifier les modalités d’observation de l’enfant. Pourtant, le nouvel examen psychomoteur qu’il propose avec C. Saint-Pierre pour pallier à ce que l’ancien avait encore de normatif, ne le semble pas moins. Comment, en effet, peut-on simultanément vouloir des épreuves discriminatives par tranches d’âge de 6 mois et refuser d’utiliser les références d’âges ? On peut s’interroger aussi sur ce qu’évalue réellement cet examen en termes de capacités ou de compétences car les épreuves consistent bien en des actions précises.
Vayer vient lui-même très fortement questionner l’éducation psychomotrice qu’il a élaborée. Il décrit ainsi les idées et sentiments qui l’animaient dans sa pratique avec des enfants handicapés : ’nous pouvons affirmer qu’il est fort pénible de s’apercevoir que nos actions ou nos exercices ne servent manifestement à rien puisque nous devons les reprendre d’une année sur l’autre.
[...]
Pourquoi autant de difficultés ? Nous avons toujours pensé que notre projet d’apporter quelque chose à l’enfant devait être pris au sens littéral de dotation pour compenser ce qui manquait. Apporter quelque chose doit au contraire être pris au sens figuré d’apporter une autre façon de comprendre la présence, ce qui va permettre à l’enfant de se retrouver ’479. Vayer en vient donc à remettre totalement en cause la pertinence des exercices qu’il proposait. La dimension technique disparaît, le relationnel peut s’en passer.
L’éducation psychomotrice est définie par les auteurs cités comme un regard englobant. Ce regard sur l’enfant ne se limite pas aux activités corporelles et conduit à des choix pédagogiques qui concernent tout l’enseignement et sur lesquels les auteurs s’étendent longuement. Il y a une négation de l’importance des disciplines scolaires et des contenus d’apprentissage sous prétexte du développement de la personne en termes de relation chez Vayer et de dynamique du désir chez Lapierre et Aucouturier. Il est certes légitime de se préoccuper de ces dimensions relationnelle et pulsionnelle, mais elles ne doivent pas occulter l’importance de la dimension intellectuelle. Car si, de la connaissance, de l’affectivité et de l’action, on favorise l’ ’hypertrophie d’un élément au détriment des deux autres : on aura alors le cognitivisme, qui fait passer à la trappe le désir sensible de l’enfant et sa liberté créatrice, le relationnisme, qui tendrait à oublier qu’il est là pour apprendre et pour agir, l’activisme, qui tendrait à le transformer en une machine à fabriquer’480. On voit bien que le premier terme et le troisième, mais à un moindre degré, sont délaissés par Vayer, comme par Lapierre et Aucouturier. Pour ces derniers, l’activité spontanée, mise au premier plan, doit permettre une évolution aussi spontanée du pulsionnel jusqu’aux moyens d’expression abstraits. L’apprentissage moteur n’est considéré que comme moyen de développement affectif et intellectuel.
Nous avons présenté les orientations diverses de l’éducation psychomotrice en France. C’était une étape importante pour bien comprendre ce qui constitue l’éducation psychomotrice. Nous reviendrons sur ces données générales dans notre quatrième partie. Mais, auparavant, nous allons examiner plus précisément comment se situent les auteurs dont nous venons de parler en ce qui concerne l’apprentissage de l’écriture.
VAYER, P. : 1976, op. cit. p.105.
VAYER, P. et SAINT-PIERRE, C. : op. cit. p.118.
SOETARD, M. : op. cit. p.112.