3.1 Psychocinétique et apprentissage de l’écriture

C’est dans Mouvement et développement de la personne que Le Boulch indique les éléments théoriques qui justifient ses propositions pratiques relatives à l’apprentissage de l’écriture.

L’écriture est une activité motrice volontaire qui met en jeu les fibres rapides pyramidales, issues des cellules de Betz. Ces fibres sont le support de la motricité fine de la main et des doigts, motricité ’liée étroitement à la cognitivité’481. Si c’est à partir 7-8 ans que cette motricité cognitive pyramidale débute en ce qui concerne l’apprentissage praxique plus global, ’elle se manifeste beaucoup plus précocement au niveau du module de la motricité fine manuelle. Les débuts de la motricité graphique intentionnelle, dès le deuxième stade de développement du schéma corporel, forment la première expression d’un apprentissage moteur cognitif qui va aboutir à l’écriture, précisément vers 6-7 ans’482. L’apprentissage de l’écriture est déjà un aboutissement et ne devient possible qu’au terme de nombreuses étapes.

L’exercice non dirigé de la motricité fine doit être favorisé à l’école maternelle à travers le jeu libre et le dessin libre. Il favorise la structuration perceptive qui ’implique une activité cérébrale qui confronte en permanence une image anticipatrice, modèle actuel de la réalité, et l’information sensorielle analysée au niveau des aires spécifiques du cortex qui enrichit le modèle initial’483. Cette activité cérébrale va permettre l’évolution du dessin. Quand l’enfant, entre trois et cinq ans, passe de l’espace topologique à l’espace euclidien, il devient capable de tracer des angles, des droites, des figures géométriques et différents types d’arabesques. En Grande Section maternelle, il est intéressant de lui proposer la reproduction de différents tracés qui favoriseront les coordinations fines de la main et des doigts et la rythmicité motrice indispensables à l’écriture. ’La pratique de ces exercices de pré-écriture qui ont leur place à la fin de l’école maternelle, et qui sont orientés de gauche à droite, font acquérir au niveau vécu un élément important du code graphique : la liaison arbitraire gauche-avant, droite-après qui définit l’orientation du tracé dans l’espace’484. Ils aident aussi l’enfant gaucher oculaire à développer l’automatisme de poursuite visuelle dans le sens de l’écriture alors que son automatisme spontané va dans le sens contraire.

C’est l’intervention de l’hémisphère cérébral gauche qui va permettre de passer de l’activité graphique expressive du dessin libre à l’écriture. En effet, l’analyse perceptive, nécessaire pour apprendre à écrire, relève de cet hémisphère. L’apprentissage de l’écriture est donc d’emblée cognitif, ’c’est-à-dire que l’intentionnalité n’est pas seulement relative au but à atteindre, mais intervient également dans le choix et le contrôle de modalités d’effectuation du programme moteur’485. L’enfant se représente mentalement les formes et trajectoires qu’il doit réaliser et guide à chaque instant son activité motrice à partir des afférences visuelles correspondant à la continuité du tracé. Cela nécessite l’intervention de la fonction d’intériorisation qui résulterait des sensations provoquées par la mise en jeu intentionnelle des boucles sensori-motrices cortico-corticales. Les aires 5 et 7 de Brodman, qui ont comme voie effectrice les cellules de Betz, auraient un rôle fondamental dans cette organisation. ’L’aire 5 est parfois appelée tacto-gnosique’486. Tout ce qui contribue à développer la fonction d’intériorisation et le schéma corporel conscient favorise l’accès à l’apprentissage de l’écriture. ’Au stade préscolaire, le passage d’un schéma corporel inconscient à un schéma corporel conscient, prépare la personne à l’efficacité opérative sur le milieu (stade des opérations concrètes de Piaget) et sur son propre corps. Elle sera utilisée dans l’apprentissage de l’écriture qui implique la dissociation des mouvements de la main et des doigts487. A l’école élémentaire, des exercices de dissociation peuvent être utilisés pour favoriser l’affinement de la motricité graphique. Ce travail vise la précision et le contrôle tonique.

L’écriture résulte d’un ensemble de synergies complexes, toniques et phasiques. En ce qui concerne le tonus, on distingue le tonus de base et le tonus d’action. Le premier, sous la dépendance du système diffus réticulé, permet de stabiliser sa posture par son action sur l’axe corporel et les ceintures. Le tonus d’action concerne plus spécifiquement les muscles qui vont participer à l’action. C’est d’abord sur le tonus de base qu’il faudra agir afin d’assurer la stabilisation posturale, par l’exercice du contrôle du faisceau inhibiteur descendant d’origine frontale, exercice qui peut commencer dès l’âge de trois ans. ’A ce stade de l’apprentissage, l’effort cognitif porte donc sur le contrôle global du tonus de base et sur la prise de conscience des sensations accompagnant les mouvements des doigts’488. La régulation du tonus d’action est plus tardive.

L’apprentissage de l’écriture suppose donc une motricité spontanée coordonnée et rythmique, une habileté manuelle, une organisation suffisante du schéma corporel, ’un ajustement postural contrôlé par la fonction d’intériorisation’489. L’éducation psychomotrice qui le prépare et l’accompagne dépasse donc largement les activités graphiques.

C’est en favorisant le développement harmonieux de la personne que l’école maternelle assure la préparation à l’écriture. ’L’action spécifique du travail corporel portant sur l’équilibre de la fonction énergétique et sur la modulation des attitudes affectives se prolonge donc par l’amélioration des fonctions psychomotrices opératives, porte d’entrée à la rationalité’490. Il s’agit d’entretenir et d’élargir la disponibilité motrice à travers des jeux libres que l’adulte peut faire évoluer en fonction des difficultés perçues. Il peut aussi proposer des situations problèmes pour aider les enfants, sollicitant ainsi la fonction d’ajustement. La fonction d’intériorisation sera également sollicitée pour aboutir ’à la structuration d’un schéma corporel conscient prolongé par son émergence mentale, l’image du corps opératoire’491. Concrètement, des jeux et activités quotidiennes seront l’occasion de rechercher la prise de conscience du corps et de ses différentes parties, ainsi que de faire appliquer et verbaliser les acquisitions dans le domaine de l’organisation topologique de l’espace. Le passage à l’espace euclidien sera favorisé par ’la manipulation des blocs logiques ou d’un matériel adapté [qui] apporte une aide à la reconnaissance des formes [et] leur symbolisation graphique [qui] donne l’assurance que le passage entre la perception et la représentation mentale a été réalisé’492.

Au cycle des apprentissages fondamentaux, il peut être nécessaire de renforcer la dominance latérale et l’orientation droite-gauche qui en résulte. L’espace graphique devra être appréhendé dans son organisation spatio-temporelle, faisant intervenir la perception des formes et l’orientation spatiale. Les exercices graphiques favoriseront cette appréhension. Le Boulch considère qu’au cycle des apprentissages fondamentaux l’apprentissage de l’écriture constitue un travail psychomoteur. ’Il contribue à faire évoluer l’ajustement global vers un ajustement cognitif, c’est-à-dire programmé mentalement’493. Il sollicite l’ajustement postural conscient, le contrôle tonique de l’axe corporel, la relaxation différentielle et l’habileté manuelle. Des exercices participent au développement de ces fonctions psychomotrices. L’ajustement postural en position assise fera l’objet d’un travail spécifique qui sera complété par la découverte des possibilités de mouvements des membres supérieurs. La motricité fine de la main et des doigts peut être développée par les travaux manuels de modelage, découpage, collage, etc., et par des exercices de jonglerie. Mais la prise de conscience fine des mouvements est également nécessaire. Elle peut se réaliser par de petits exercices moteurs, éventuellement rythmés, ainsi que par l’imitation de gestes qui favorise la mise en relation de l’image visuelle et de l’image kinesthésique du corps.

Les automatismes personnels acquis par le jeu de la fonction d’ajustement sont parfois d’une efficacité relative. En psychocinétique, il ne s’agit pas de chercher à les remplacer par d’autres, mais de partir d’eux pour en modifier seulement des détails en s’appuyant sur l’image du corps opératoire et la fonction d’intériorisation. ’Au cycle des apprentissages fondamentaux, nous avons appliqué cette méthodologie à l’apprentissage de l’écriture en partant des différentes praxies manuelles et en utilisant comme agent de la modification la motricité fine analytique de la main et des doigts. C’est l’utilisation intentionnelle du faisceau pyramidal qui commande directement les motoneurones alpha responsables de la mise en jeu des différentes unités motrices de la main et des doigts, dont dépendent la finesse du mouvement et l’absence de syncinésies’494. A partir de 8 ans, cette méthodologie peut être étendue à d’autres activités praxiques. C’est sur cette extension que Le Boulch porte son attention en ce qui concerne le cycle des approfondissements. Il ne parle plus de l’écriture. On peut penser que cette méthodologie peut toujours lui être appliquée puisqu’elle n’est qu’étendue aux autres activités.

Notes
481.

LE BOULCH, J. : 1995, op. cit. p.174.

482.

ibid.

483.

id. p.251.

484.

id. p.252.

485.

id. p.174.

486.

id. p.175.

487.

id. p.254.

488.

id. p.178.

489.

id. p.261.

490.

LE BOULCH, J. : 1998, op. cit. p.172.

491.

id. p.177.

492.

id. p.180.

493.

id. p.198.

494.

id. p.224.