Deux grandes orientations se distinguent très nettement dans les écrits psychomoteurs psychopédagogiques à propos de l’apprentissage de l’écriture : l’apprentissage technique en lui-même et le graphisme comme moyen de communication et d’expression.
De Meur et Staes et De Lièvre et Staes se situent exclusivement sur le registre technique. ’Les premiers exercices de préécriture visent à donner aux enfants la force musculaire et la souplesse articulaire nécessaires aux différents mouvements de l’écriture’495. Il s’agit donc d’agir sur le système effecteur, à partir de l’âge de 4 ans, par des jeux moteurs, certains mettant en jeu particulièrement les épaules, d’autres les poignets, d’autres encore les doigts. Comme le travail de modelage, ils précèdent le graphisme proprement dit. Des exercices graphiques sont réalisés sur plan vertical puis sur plan horizontal. Ce n’est qu’à partir de 5 ans que ’les enfants sont invités à s’asseoir et à travailler avec le crayon’496. L’enseignant veillera à la bonne tenue de celui-ci par chacun. Les exercices faits en grand précédemment sont repris en plus petit. ’Pour les exercices exigeant un déplacement latéral, les enfants travailleront le coude libre, c’est-à-dire sans poser le coude sur la table ; ainsi ils acquerront un mouvement latéral correct au niveau de l’épaule. Cette habitude étant prise, les enfants poseront alors naturellement le coude sur la table en conservant le mouvement de l’épaule. Normalement, le tracé sera correct, il ne descendra pas en fin de ligne’497. C’est sur le plan biomécanique que se situe l’apprentissage graphique.
La préparation à l’apprentissage de l’écriture comporte cependant le développement de pré-requis qui appartiennent aux registres psychomoteur et cognitif. Certains de ceux-ci concernent la motricité : tonus postural et tonus du membre scripteur, coordination du membre supérieur, capacité d’inhibition des mouvements de ce même membre, coordination oculo-manuelle. D’autres concernent ce que De Lièvre et Staes appellent le ’niveau instrumental’498 : schéma corporel notamment au niveau digital, latéralité, structuration spatiale et temporelle. D’autres enfin concernent le niveau cognitif : compréhension du langage et niveau intellectuel, symbolisme, décomposition des mots et des phrases, concentration. Mais l’éducation psychomotrice de Staes et ses collaborateurs ne se limite pas au développement de ces pré-requis. Elle fait acquérir des formes de base : lignes droites, lignes croisées, vagues, ponts, boucles, lignes brisées. Pour cela, elle fait d’abord agir l’enfant globalement, dans des exercices moteurs ; puis, elle lui fait manipuler des objets ; enfin, elle met en jeu le ’niveau perceptivo-moteur’ par des tracés. Le sens gauche-droite sera travaillé de la même manière à ces trois niveaux ’moteur’, ’manipulé’ et ’perceptivo-moteur’ distingués par De Lièvre et Staes.
Pour Vayer, ’le jeune enfant communique essentiellement avec le monde qui l’entoure sur le mode tonico-gestuel et l’activité graphique est un aspect de cette communication’499. L’apprentissage de l’écriture ne peut donc être pensé en termes de normes que l’adulte imposerait à l’enfant, que ce soit dans la façon de tenir son crayon ou dans la façon de dessiner tel ou tel objet. Pourtant, il est nécessaire d’aider l’enfant dans sa conquête de l’activité graphique, sur le plan moteur comme sur le plan cognitif, ’ce qui ne peut se réaliser que dans des activités globales et dans des actions vécues sur le mode autonome’500. Tenant compte de la loi proximo-distale du développement neuro-moteur, des jeux et manipulations dans le sable ou la glaise, des jeux avec la pâte à modeler et l’activité graphique au tableau feront intervenir les différentes articulations du membre supérieur. Les graphismes en grande dimension sur plan vertical et sur plan horizontal sont à la fois éducation de la main, éducation visuo-motrice, organisation dans l’espace du tableau puis de la feuille de papier, tout en apportant aux enfants les moyens de la représentation dirigée et de l’expression spontanée.
Mais tout ne s’apprend pas en autonomie et, ’si l’activité du tout jeune enfant était essentiellement exploration et découverte, chez l’enfant après 3 ans l’intervention de l’adulte dans l’activité graphique prend des aspects nécessairement normatifs car elle vise à apporter à l’enfant les moyens de maîtriser l’activité’501. C’est alors que l’on recherchera l’affinement du tracé et la tenue correcte de l’outil. A partir de 4-5 ans, l’adulte va orienter l’activité avec le souci de préparer l’enfant aux impératifs socio-scolaires. ’D’où les aspects formels de l’activité et des modalités proposées par l’adulte qui visent à la fois à l’organisation perceptive et à l’installation des habitudes neuro-motrices impliquées dans l’apprentissage de la langue écrite. Il convient alors de s’attacher à ce que les tracés, les reproductions... se déroulent de la gauche vers la droite, à ce que les boucles tournent dans le sens sénestrogyre (celui qui conduit vers la droite) et à ce que l’enfant apprenne à tenir convenablement les différents outils’502. La représentation graphique d’actions motrices globales ou d’objets est complétée par des exercices réalisés à la peinture au doigt, au pinceau, au crayon. Avec ce dernier outil, l’enfant trace des boucles, grandes et petites, des cycloïdes allongées, des alternances de grandes et petites boucles, des traits verticaux ou des boucles sur une pulsation régulière, avec des temps forts et des temps faibles, etc. Tout un travail technique est donc proposé à l’enfant d’école maternelle.
Il en est de même à l’école élémentaire où l’activité corporelle rythmée sera prolongée par des exercices graphiques également rythmés à base de boucles, de ponts à l’envers et de traits verticaux. Car, ’avant d’être chargée de signification et de devenir le langage écrit, l’écriture est essentiellement une coordination de mouvements fins et précis en relation avec l’organisation séquentielle des signes’503. C’est pourquoi elle demande des capacités de contrôle neuro-musculaire, d’inhibition et d’indépendance segmentaire, de coordination oeil-main, d’indépendance segmentaire et ’des habitudes neuro-motrices correctes et bien établies’504 concernant la transcription de la gauche vers la droite, le respect du sens sénestrogyre des formes arrondies et la tenue correcte de l’outil.
Les aspects techniques de l’apprentissage sont donc inévitables. La normativité est indispensable. Mais Vayer insiste sur le fait que la contrainte doit être évitée parce qu’elle ne facilite pas l’apprentissage. L’écriture doit être comprise par l’enfant comme ’un moyen d’acquérir son autonomie et de communiquer personnellement avec la société et avec sa culture’505. Il faut s’appuyer sur la dynamique du désir, qui revêt de multiples formes : désir d’identification à l’adulte, désir de connaissance et de compréhension, désir de participation à la vie sociale. Pour que cette dynamique puisse se maintenir, il est nécessaire que l’adulte propose des activités compatibles avec les capacités de l’enfant. La fonction graphique est donc liée, ’dans son organisation et son usage, [...] à toute l’organisation de soi et du monde autour de soi par l’enfant’506.
Lapierre et Aucouturier affirment aussi l’importance de la relation, du ’besoin de communication [qui] est la motivation première indispensable, d’où vont naître tous les moyens d’expression abstraits’507. Le graphisme sera souvent utilisé en pédagogie comme mode d’expression des notions fondamentales découvertes en premier lieu par le biais du corps : ’notions d’intensité, de grandeur, de vitesse, de direction, de situation, d’orientation et de relation’508. Au cours de cette utilisation, l’enseignant veillera à permettre l’acquisition du sens gauche-droite de l’écriture. ’On favorisera de même la rotation sénestrogyre dans les évolutions (la ronde), les représentations circulaires, les graphismes’509. Afin que la trace graphique reste moyen d’expression, il est nécessaire que la miniaturisation ne soit pas imposée trop tôt à l’enfant. ’la dimension de l’espace graphique doit permettre une participation de tout le corps, favorisée encore par la verticalité du support. La réduction progressive de l’espace pourra ensuite concentrer ce geste, jusqu’à la finesse de la main, sans en altérer profondément le potentiel expressif, car le geste continue à être vécu au niveau de tout le corps dans des tensions toniques minima inconscientes’510. C’est ainsi que la personnalisation de l’écriture adviendra. Le geste graphique peut aussi être l’expression du rythme sonore.
Les éléments techniques sont relégués au second plan par Lapierre et Aucouturier qui ne donnent que peu d’indications pédagogiques concernant l’apprentissage de l’écriture. C’est l’expression qui, pour eux, est importante. Cette expression, nécessairement corporelle, met d’abord en jeu le corps dans son ensemble, dans des gestes larges. La motricité fine manuelle, digitale, correspond à une réduction progressive de l’amplitude qui ne doit pas conduire à une perte d’expression.
L’apprentissage de l’écriture est considéré par Le Boulch comme un apprentissage psychomoteur. La démarche qu’il préconise trouve sa justification dans le cadre de la théorie psychocinétique. Au-delà des activités graphiques, l’éducation psychomotrice prépare et accompagne cet apprentissage de l’écriture. C’est ainsi qu’elle vise la régulation tonique, le renforcement de la dominance latérale, l’organisation spatio-temporelle et le développement de la motricité fine.
De Meur et Staes et De Lièvre et Staes considèrent aussi ces éléments comme des pré-requis importants pour l’apprentissage de l’écriture. Mais ils visent en premier lieu le développement des aspects biomécaniques. Les exercices graphiques qu’ils proposent consistent à faire acquérir des formes de base alors que, pour Le Boulch, il s’agit de favoriser l’organisation spatiale et le mouvement de poursuite visuelle.
Si Vayer considère d’abord l’écriture et son apprentissage dans le cadre de la relation de l’enfant avec son environnement, il accorde aussi une certaine importance aux aspects techniques. Le guidage du geste graphique doit, selon lui, être éduqué. Il faut veiller au sens dextroverse (de la gauche vers la droite) de l’écriture et au sens sénestrogyre des formes rondes. Cependant, les aspects normatifs doivent avoir un sens aux yeux de l’enfant : ils sont au service de la conquête de son autonomie, de la communication, de son désir de grandir.
Lapierre et Aucouturier considèrent l’écriture comme moyen d’expression et restent très succincts en ce qui concerne les aspects techniques de son apprentissage. La mise en place des conditions psychomotrices et perceptivo-motrices pour pouvoir y accéder est au centre de leurs préoccupations dans leur première conception de l’éducation psychomotrice. Ils se montrent cependant attentifs, comme Vayer, à l’acquisition du sens dextroverse de l’écriture et au sens sénestrogyre des formes rondes, ainsi qu’aux aspects rythmiques du graphisme. Dans leur seconde conception de l’éducation psychomotrice, ces aspects techniques ne sont plus du tout abordés puisqu’il s’agit avant tout de permettre une évolution pulsionnelle harmonieuse.
Nous retrouvons les mêmes interrogations et les mêmes divergences que lors de l’examen des travaux de recherche sur l’apprentissage et la pédagogie de l’écriture. La préparation à l’apprentissage même de l’écriture se trouve questionnée ici aussi : de quoi peut-elle être constituée ? Même la notion de graphismes de base se retrouve chez certains auteurs. Le fait que l’écriture exige une technicité et soit un moyen d’expression pose question au niveau de la pédagogie.
DE MEUR, A. et STAES, L. : 1985, op. cit. p.193.
id. p.200.
ibid.
DE LIÈVRE, B. et STAES, L. : op. cit. p.126.
VAYER, P. : 1976, p.136.
id. p.137.
id. p.141.
id. p.143.
VAYER, P. : 1978, op. cit. p.51.
ibid.
VAYER, P. : 1978, op. cit. p.171.
id. p.172.
LAPIERRE, A. et AUCOUTURIER, B. : 1973, op. cit. p.33.
id. p.32.
LAPIERRE, A. et AUCOUTURIER, B. : 1974, op. cit. p.25.
LAPIERRE, A. et AUCOUTURIER, B. : 1975, op. cit. p.112.