2.3.La neuro-physiologie, référence importante

’‘Du réflexe le plus élémentaire à l’activité mentale la plus élaborée, il n’y a pas d’autres chemins possibles que les neurones, leur réseau complexe de connexions et, éventuellement, les hormones circulantes dont la libération est sous leur contrôle’’548. On comprend, dès lors, que la neuro-physiologie constitue une référence pour la psychomotricité. Mais la façon de s’y référer varie selon les auteurs.

Lapierre et Aucouturier présentent brièvement les trois systèmes de régulation que sont :

L’interconnexion de ces trois systèmes se fait au niveau du mésencéphale, donc au-dessous du seuil de la conscience corticale. Toutes les afférences sensorielles, qui parviennent aussi à ce niveau, peuvent rester inconscientes, mais déclencher les réactions corporelles appropriées. ’En règle générale, le cortex n’est “ informé ” que lorsque les processus d’adaptation spontanée du mésencéphale sont dépassés et exigent une intervention consciente et volontaire, ou bien lorsque l’attention est volontairement mobilisée sur une perception ou un processus moteur’550.

Lapierre et Aucouturier situent l’éducation psychomotrice au niveau des connexions cortico-mésencéphaliques. Une première phase permet à l’enfant de vivre son corps sans inhibition corticale. Elle est suivie d’une prise de conscience des sensations pour les transformer en perceptions précises, les analyser et les conceptualiser. Ceci est valable sur le plan intellectuel comme sur le plan affectif. ’C’est en prenant conscience de ces réactions infra-corticales, en découvrant le moyen de les provoquer, de les contrôler et de les inhiber que l’enfant parvient à la maîtrise de soi qui est d’abord maîtrise corporelle’551.

Lorsqu’ils écrivent La symbolique du mouvement, Lapierre et Aucouturier ne font plus du tout référence explicitement à la neurophysiologie. Ils ne la citent même pas parmi les champs théoriques auxquels ils font appel.

Vayer s’intéresse au système nerveux en tant que régulateur des communications. Sur le plan de son organisation fonctionnelle, il se réfère à Luria. Pour celui-ci, ’le cerveau doit être considéré comme un ensemble fonctionnel capable de programmation et de planification finalisées’552. Ces capacités sont rendues possibles par une organisation en trois niveaux. Le premier est celui des contrôles énergétiques et toniques du cortex, celui de l’éveil, de la mémoire, de l’émotivité. Le second est celui qui sélectionne et enregistre les informations, les organise et les combine. Le troisième se charge de programmer et de finaliser les comportements. Ces trois niveaux fonctionnent dans la relation de l’organisme avec son environnement. L’action déclenchée à partir des informations reçues en apporte de nouvelles. Il y a donc des boucles de rétroaction. ’Pour que l’action entreprise retentisse aux différents niveaux de l’organisation du système nerveux et puisse être intégrée, il faut que le sujet assume activement la recherche de l’information au sein du monde qui l’entoure et c’est la confrontation information existante (celle qui a été enregistrée au cours d’actions précédentes) et information provenant du milieu qui permet à la fois le développement de l’action présente et l’acquisition à travers cette action d’informations nouvelles qui deviennent un nouveau vécu, de nouvelles connaissances. Mais pour que l’action soit assumée activement il importe que le processus décisionnel soit celui de l’enfant, c’est-à-dire que l’action soit une action intentionnelle’553.

Vayer distingue aussi les deux modes complémentaires de conscience qui correspondent au fonctionnement spécifique de chacun des hémisphères cérébraux. L’hémisphère dit dominant, celui des langages verbal et logico-mathématique, l’hémisphère non dominant qui organise plus globalement l’information et permet l’organisation spatiale, l’image de soi, la reconnaissance des visages ou des configurations, la création, l’expression, l’intuition.

Selon Le Boulch, la fonction énergétique régule le tonus de fond, la posture et la mimique, et contrôle le niveau de vigilance, les attitudes affectives, l’émotivité et l’intentionnalité. Elle fait intervenir les centres réflexes médullaires, la formation réticulée, le cortex préfrontal, les structures limbiques, l’hypothalamus et les faisceaux qui les relient. Le système nerveux central assure aussi une fonction opérative qui s’exprime par le langage et le mouvement et repose sur les structures de traitement de l’information sensorielle et sur les structures motrices. Cette fonction opérative est à la fois psychomotrice et cognitive. L’information sensorielle est traitée au niveau réflexe par la moelle épinière et le tronc cérébral, au niveau automatique par les structures limbiques qui sont liées aux noyaux gris centraux, au niveau intentionnel ou cognitif par le néocortex. L’ajustement postural est régulé par le cervelet qui intègre l’ensemble des informations proprioceptives.

L’activité fonctionnelle est fondamentale pour le développement de l’enfant. Pour que l’apprentissage influence celui-ci, il doit être ’la conséquence d’une confrontation active de l’organisme avec son environnement’554. Le Boulch détaille l’implication des différentes structures du système nerveux dans l’apprentissage moteur. Il explique le rôle des réseaux et boucles d’apprentissage liés au système opératif et de ceux liés au système énergétique. Il s’appuie sur la neurophysiologie pour expliquer la construction progressive du schéma corporel, concept central de la psychomotricité, autant pour lui que pour Vayer. Lorsque le schéma corporel est encore inconscient, il est commandé par le cervelet. ’La période du corps vécu correspond au passage d’un schéma corporel inconscient à un premier niveau de conscience, contemporain de la découverte par l’enfant de son premier moi. Cette première image du corps, essentiellement de nature affective, implique un réseau de connexions appartenant au système diffus comprenant à la fois les structures limbiques et le cerveau droit dans sa fonction de perception globale de l’ensemble corps-espace. [...] La période du corps perçu est contemporaine de l’émergence de la fonction d’intériorisation et de l’intervention d’un troisième ensemble de structures situées dans l’ensemble des lobes pariétaux. Le lobe pariétal de l’hémisphère gauche ayant pour fonction d’assurer la synthèse pouvant correspondre au schéma corporel conscient, à l’intersection des lobes pariétal, temporal, occipital’555. Mais ce n’est pas seulement ce qui concerne le schéma corporel que Le Boulch explique sur le plan neurophysiologique. C’est le cas pour tout ce qui concerne l’apprentissage moteur. La théorie psychocinétique, science du mouvement humain, trouve une grande part de son argumentation dans cette étude de l’organisation du système nerveux.

Les neurosciences prennent aujourd’hui une place importante dans la recherche de compréhension du fonctionnement humain. C’était moins le cas il y a vingt-cinq ans. Cela peut contribuer à expliquer que la référence à la neurophysiologie reste très sommaire chez Lapierre et Aucouturier, trop limitée même pour réellement servir d’argumentation à leur pratique.

Même si les explications sont nettement plus fournies chez Le Boulch que chez Vayer, ces deux auteurs se montrent en accord sur plusieurs points. Ainsi, ils reconnaissent tous les deux une première fonction, la fonction énergétique qui est chargée essentiellement de l’éveil et de l’émotivité et, selon Le Boulch, de l’intentionnalité. Les deuxième et troisième niveaux d’organisation du système nerveux selon Vayer se retrouvent dans la fonction opérative de Le Boulch : il s’agit du traitement de l’information sensorielle et des actions qui en résultent qui peuvent, au niveau le plus élevé, demander une programmation mentale, cognitive. Vayer et Le Boulch affirment tous deux la nécessité d’une interaction, d’une relation active avec l’environnement, d’une intentionnalité de l’action.

Notes
548.

CHANGEUX, J-P et DANCHIN, A. : Apprendre par stabilisation sélective de synapses en cours de développement, in MORIN, E. et PIATTELLI-PALMARINI, M. : Le cerveau humain, pp.58-95, p.58.

549.

LAPIERRE, A. et AUCOUTURIER, B. : 1973, op. cit. p.17.

550.

ibid.

551.

id. p.18.

552.

VAYER, P. : 1978, op. cit. p.33.

553.

id. p.34.

554.

LE BOULCH, J. : 1995, op. cit. p.52.

555.

LE BOULCH, J. : 1995, op. cit. p.175.