2.4.Sur quels éléments théoriques allons-nous fonder notre pédagogie psychomotrice ?

Les éléments théoriques de la psychomotricité sont destinés à construire une pratique qui, à l’école, est une pédagogie. Tout en considérant l’être dans son unité, dans son fonctionnement global, il nous paraît indispensable d’avoir recours à l’analyse fonctionnelle. Celle-ci ne peut se faire qu’en s’appuyant sur des références multiples. Tout ce qui permet de comprendre le fonctionnement humain intéresse le psychomotricien et l’enseignant qui veut donner une orientation psychomotrice à sa pédagogie.

Les élaborations théoriques d’éducation psychomotrice de Vayer et de Le Boulch, de Lapierre et Aucouturier peuvent, nous semble-t-il, servir de base à une pratique pédagogique psychomotrice. Seul Le Boulch a voulu élaborer une véritable théorie, une Science du mouvement humain. Mais l’orientation existentielle de Vayer comporte aussi une élaboration théorique, ainsi que les travaux de Lapierre et Aucouturier dont l’orientation est à dominante psychanalytique. Ces auteurs ont pris des orientations différentes mais qui ne nous semblent pas incompatibles. Nous les considérons plutôt comme complémentaires. Avoir des références multiples ne peut en effet suffire à élaborer une pédagogie car une cohérence pédagogique est indispensable.

La recherche de compréhension de l’enfant, de ses comportements, de son développement, est une nécessité pour l’enseignant. Elle est le fondement même d’une orientation psychomotrice de la pédagogie. Celle-ci est, en effet, destinée à favoriser ce développement. C’est pourquoi elle doit prendre en compte l’unité fonctionnelle de l’enfant.

Nous retenons, en premier lieu, que le corps est au coeur du développement de l’enfant parce que lui seul assure la présence au monde. Une pédagogie psychomotrice est donc une pédagogie de la corporéité. Mais le corps n’est pas un objet, la matérialité qui serait dirigée par quelque chose d’autre qu’on pourrait appeler l’esprit. C’est la personne même, le Moi qui est avant tout corporel. Le corps est le moyen de la relation à l’environnement. Il est, par conséquent, nécessaire de connaître les modalités de développement de la personne dans cette relation à l’environnement.

La neurophysiologie constitue, à cet égard, une référence fondamentale puisque le système nerveux reçoit les informations qu’il traite, organise et prend en compte pour commander les actions sur le milieu. Il est important d’en connaître la structure et le fonctionnement, mais aussi son développement, sa maturation, notamment lorsqu’on s’adresse à des enfants. L’enseignant peut, pour cela, se référer à tout livre de neurophysiologie et aux écrits concernant le développement neuro-moteur et psychomoteur. Il peut aussi consulter ce qu’en disent Vayer et Le Boulch parce qu’ils situent déjà cette connaissance dans la perspective qui nous intéresse d’une éducation psychomotrice.

Toutes les fonctions psychomotrices et cognitives, énergétiques et opératives, ont un soubassement neurologique. La fonction d’ajustement prend appui sur la labilité synaptique. La fonction d’intériorisation est une fonction perceptive qui repose sur les aires sensori-motrices corticales. Ces deux fonctions permettent la construction progressive du schéma corporel, notamment du fait de la maturation du cervelet et des hémisphères cérébraux. Les lois céphalo-caudale et proximo-distale du développement psychomoteur sont une conséquence de la maturation nerveuse. C’est à partir d’elles que l’on comprend l’évolution de la fonction posturale et l’évolution de la préhension qui vont permettre une exploration de l’environnement et une construction de l’organisation spatio-temporelle.

L’organisation progressive du tonus musculaire repose aussi sur cette maturation, avec ses conséquences sur les capacités de coordination et de dissociation motrices, donc sur l’efficacité praxique. L’asymétrie de cette organisation du tonus musculaire constitue le fondement de la latéralisation qui conduit à la latéralité.

Si le tonus musculaire sous-tend la motricité, il est aussi, comme le dit Wallon, l’étoffe des émotions. C’est d’abord par lui que l’être humain est en relation avec les autres. Ce dialogue tonique, fondamental dans la première enfance, demeure important tout au long de la vie et le pédagogue doit en tenir compte. Afin de mieux comprendre le rôle de l’activité tonique, le pédagogue peut se référer à Wallon et à ceux qui ont insisté après lui sur cet aspect fondamental, notamment Guilmain, Ajuriaguerra, Lapierre et Aucouturier. Mais l’apport de Wallon va bien au-delà de la fonction tonique : ’c’est essentiellement dans l’oeuvre de H. Wallon que l’on trouve le point de départ de cette notion fondamentale d’unité fonctionnelle, d’unité biologique de la personne humaine où psychisme et motricité ne constituent plus deux domaines distincts ou juxtaposés, mais représentent l’expression des rapports réels de l’être et du milieu’556. On comprend pourquoi ses écrits représentent une référence importante pour la psychomotricité.

Evidemment, toutes les données de la psychologie du développement contribuent à la compréhension de l’enfant. L’apport de Piaget en ce qui concerne le développement de l’intelligence, ne peut être ignoré. La psychologie cognitive, nous l’avons vu, est prise en considération par des psychomotriciens, dès lors qu’elle concerne la motricité.

La psychanalyse fait aussi partie des références de la psychomotricité. Nous l’avons vu, c’est elle d’abord qui, avec S. Freud, a mis en évidence la notion de Moi corporel sur laquelle Vayer a fondé sa théorie psychomotrice de l’éducation. Avec la psychanalyse, le corps se trouve au carrefour de l’imaginaire et du réel. ’Schilder ira jusqu’à dire qu’il y a une base physiologique à l’image du corps mais que sa structure est libidinale’557. Sami-Ali tentera une épistémologie de la psychomotricité dans son ouvrage Corps réel, corps imaginaire 558. L’importance de la peau dans la constitution de ce Moi corporel a été soulignée par des psychanalystes tels Anzieu qui parle du Moi-Peau.

Ajuriaguerra reprend à la fois les idées de Wallon et celles de la psychanalyse pour situer la fonction tonique comme soubassement de l’action corporelle et comme mode de relation à autrui. Mais il s’inspire aussi, comme d’ailleurs Vayer et Le Boulch, de la phénoménologie à travers les écrits de Merleau-Ponty. Il définit les troubles psychomoteurs et conçoit, avec ses collaborateurs, la rééducation psychomotrice. Ses écrits aident à comprendre la psychomotricité, comme aussi les écrits de ceux qui se sont les premiers impliqués dans ce domaine rééducatif tels Soubiran et Coste, Soubiran et Mazo, etc.

Il nous semble donc que les écrits de Vayer, ceux de Le Boulch et ceux de Lapierre et Aucouturier peuvent constituer une base théorique à partir de laquelle il est possible de construire une pédagogie psychomotrice. Ces auteurs s’appuient sur des sources multiples, dans des champs théoriques divers, qu’il appartient ensuite à chacun d’approfondir. De plus, ce sont des praticiens qui vont jusqu’à donner des orientations pédagogiques et des indications concrètes utilisables par les enseignants. Ainsi, ils montrent l’importance de favoriser un vécu corporel global pour le jeune enfant pour sa découverte de lui-même et du monde, dans un climat de sécurité permis par une présence sereine et peu directive de l’adulte. Ils mettent aussi en évidence l’importance du passage de l’activité corporelle à la représentation qui peut s’exprimer dans le graphisme ainsi que par la verbalisation. Ils visent une pédagogie qui s’appuie sur la compréhension de l’enfant, sur la prise en compte des dimensions sensorielles et motrices, intellectuelles, affectives et relationnelles. Ils proposent aussi des exercices corporels. Le risque serait de considérer ceux-ci comme l’identité même de l’éducation psychomotrice et de les appliquer sans chercher à comprendre la théorie qui les sous-tend. Lapierre et Aucouturier ont mis en garde contre ce risque. A partir d’une telle base, les enseignants peuvent ensuite approfondir tel ou tel aspect dans des champs aussi divers que la psychologie, la neurophysiologie, la psychanalyse, la phénoménologie, ainsi que par les écrits de ceux qui ont travaillé dans le champ de la thérapie psychomotrice, qu’ils soient psychiatres, psychologues ou psychomotriciens.

Notes
556.

MAIGRE, A. et DESTROOPER, J. : op. cit. p.11.

557.

id. p.14.

558.

SAMI-ALI : Corps réel, corps imaginaire, Pour une épistémologie de la psychomotricité, Dunod, Paris 1977.