3.1.Contestation de la pédagogie traditionnelle

Si Le Boulch est l’auteur qui se montre le moins critique par rapport à l’ensemble de l’école du fait qu’il se centre essentiellement sur l’éducation physique, il cite tout de même un écrit émanant de l’association ’Défense de la jeunesse scolaire’ en 1967 : ’Du cours préparatoire au terme des études secondaires, l’école en France reste inférieure à sa mission. Elle refuse à ses élèves une éducation accordée à leurs besoins, elle ne leur apporte pas les conditions de développement favorables qu’offrirait l’école plus équilibrée, plus saine, plus intelligente, dont il n’existe dans notre pays que des exemples clairsemés. L’éducation scolaire, chez nous, réduit une masse d’enfants à la médiocrité, quand ce n’est pas à l’infirmité intellectuelle et pour aucun elle n’est aussi féconde qu’elle pourrait l’être’579. Et Le Boulch fait remarquer que ces propos sont ceux d’universitaires, d’académiciens, de médecins, de chercheurs, afin d’en souligner le sérieux. Et il affirme que, depuis la date de cet écrit, la situation s’est encore dégradée puisque les problèmes de l’école ne concernent plus seulement l’apprentissage, mais les comportements, notamment l’agressivité, la violence. De son point de vue, cela est dû à l’orientation intellectualiste de la didactique actuelle. Si l’élève est mis au centre du processus éducatif, ’ce n’est que l’élève intellectuel, presque désincarné, dont il s’agit’580. En effet, même l’éducation physique est devenue matière intellectuelle.

Lapierre et Aucouturier font le même reproche d’intellectualisme à l’école. Selon eux, si elle ’fabrique des inadaptés, c’est parce que, au lieu d’accepter cette dynamique du désir et de l’aider à évoluer, elle la refuse et la culpabilise, ne laissant plus d’autre choix à l’expression des pulsions que le symptôme’581. L’intellectualisme scolaire va en effet de pair avec des programmes et progressions figés qui imposent à l’enfant ce qu’il doit savoir, et même le moment où il doit l’apprendre. L’école ne tient aucun compte de ce que l’enfant veut savoir, de son désir propre, ce qui conduit à lui substituer un ’désir de réussir, c’est-à-dire de se valoriser aux yeux de l’adulte [et une] peur de l’échec, c’est-à-dire de la dévalorisation’582 ; il s’agit donc d’un conditionnement au désir de l’adulte.

Vayer souligne également ce risque que l’enseignant cherche à ’affirmer sa compétence donc sa personne grâce à sa supériorité’ et que, de ce fait, l’enfant se soumette ’aux désirs et volontés de l’adulte, ceux des parents et ceux de l’enseignant’583. Selon lui, l’intellectualisme de l’école se traduit aussi par le fait qu’elle n’a retenu que le seul langage écrit et qu’elle en a fait ’un apprentissage normalisé et systématisé ce qui est en opposition à la fois avec le développement de la personne et avec le développement de communications véritables’584. L’école a tendance à s’intéresser aux résultats et non aux processus, ’une tendance qui conduit l’adulte à centrer son intervention sur des activités prédéterminées, c’est la notion de contenu ; également à les classer et à les structurer, c’est la notion de didactique’585.

Les apprentissages scolaires sont donc déconnectés du désir de l’enfant qui perd ainsi sa créativité, son dynamisme, sa personnalité. L’enfant est objet du désir de l’éducateur auquel il doit s’adapter. En effet, ’pour obtenir la réponse attendue (celle qu’il souhaite), l’adulte intervient non seulement dans la définition du projet mais également dans les modalités et l’organisation séquentielle (notions de programmes, de progressions) privant ainsi l’enfant de ce qui est fondamental en termes de développement de la personne : l’expérience personnelle’586. L’école se situe dans une logique d’acquisition de contenus, de savoirs et non de développement de la personne. Tous les enfants doivent, au même âge, apprendre les mêmes choses et l’école considère que c’est ainsi qu’elle développe leur intelligence.

Le mouvement est réprimé, considéré le plus souvent comme une agitation alors qu’il est le moyen le plus authentique de développement de l’enfant. Dans la réalisation de son désir d’agir, l’enfant ’rencontre le plus souvent le refus, l’interdit, le jugement de l’adulte et, à partir de ce jugement, découvre la culpabilité587. Même à l’école maternelle, étant donné le nombre d’enfants et les lieux souvent mal adaptés, ’le dialogue de l’enfant avec le monde devient de plus en plus difficile car les relations tendent à se normaliser et à devenir formelles, ce qui est évidemment incompatible avec le développement de la personne’588. L’éducation physique, discipline du corps par excellence, n’est pas conçue dans un ensemble éducatif, mais est située à part. De plus, ’la didactique de l’enseignement des savoirs moteurs à travers la pratique des APS [activités physiques et sportives] s’est de plus en plus inspirée de la démarche intellectualiste en adaptant de façon métaphorique à l’éducation motrice les théories de la psychologie cognitive’589.

L’enseignement traditionnel est donc ’un conditionnement inconscient au principe d’autorité, une négation de toute initiative, une action normative refusant et culpabilisant tout ce qui sort de cette norme’590. Il ne s’appuie pas sur la dynamique du désir de l’enfant qui l’engage naturellement dans la relation au monde. S’il en est ainsi encore aujourd’hui, c’est que ’l’éducateur continue à penser inconsciemment en termes de conditionnement, car ce processus de pensée est profondément ancré en lui par toute son éducation et par la société’591. Le problème de l’école, comme le dit Vayer, c’est donc ’essentiellement le problème des adultes qui n’arrivent pas à sortir de ce que fut leur propre éducation et qui restent prisonniers des schémas mécanicistes et dualistes liés à notre culture et qui imprègnent l’ensemble des relations d’aide de l’adulte à l’enfant, que les intentions soient pédagogiques ou thérapeutiques’592. Si le problème de l’école est bien le problème des adultes, c’est la formation des enseignants qui devrait permettre de le résoudre. Malheureusement, celle-ci est ’basée à peu près exclusivement sur la possession de savoirs et de techniques dans différentes matières, et non sur la connaissance de l’enfant en tant que personne existentielle’593.

S’il en est ainsi, c’est aussi sans doute que le problème des adultes, ce n’est pas seulement celui des enseignants, c’est aussi celui des inspecteurs de l’éducation nationale, des personnes qui conçoivent les instructions officielles et de celles qui forment les enseignants. Comment permettre l’évolution de leurs représentations ? Comment leur faire connaître l’enfant en tant que personne existentielle ? Comment favoriser cette évolution sans aboutir à un rejet des objectifs de l’école que sont la socialisation et l’acquisition de contenus ? Questions essentielles dont la réponse n’est, de toute évidence, pas immédiate. Mais restons-en pour l’instant aux voies qu’ouvre la psychomotricité à la pédagogie.

Notes
579.

BATAILLON, M. ; BERGE, A. et PAYOT, F.W. : Etudes et documents, 1967 in LE BOULCH, J. : 1998, op. cit. p.15.

580.

LE BOULCH, J. : 1998, op. cit. p.43.

581.

LAPIERRE, A. et AUCOUTURIER, B. : 1975, op. cit. p.10.

582.

id. p.34.

583.

VAYER, P. : 1978, op. cit. p.56.

584.

VAYER, P. : 1976, op. cit. p.48.

585.

VAYER, P. et RONCIN, C. : op. cit. p.45.

586.

VAYER, P. : 1978, op. cit. p.67.

587.

LAPIERRE, A. et AUCOUTURIER, B. : op. cit. p.69.

588.

VAYER, P. : op. cit. p.191.

589.

LE BOULCH, J. : 1998, op. cit. p.17.

590.

LAPIERRE, A. et AUCOUTURIER, B. : op. cit. p.91.

591.

id. p.71.

592.

VAYER, P. : 1978, op. cit. p.9.

593.

LAPIERRE, A. et AUCOUTURIER, B. : op. cit. p.131.