Le vécu corporel, c’est bien sûr le mouvement, l’action, et Le Boulch, Vayer, Lapierre et Aucouturier, Vayer et Roncin insistent sur l’importance de l’activité spontanée de l’enfant. Le Boulch affirme que le système nerveux central ’est le siège d’une activité spontanée [qui] s’exprime par la conduite d’investigation ou d’exploration, véritable initiative motrice mobilisée en vue de la découverte du milieu, facteur de sécurité’594. L’enfant va ainsi adapter ses réactions motrices et posturales à son environnement. C’est le rôle de la fonction d’ajustement. Mais cette adaptation ne se limite pas au plan opératif. En effet, ’la relation du corps au monde est initialement de nature affective’595. La disponibilité motrice dépend donc autant des relations à l’environnement humain, qui sont aussi vécues corporellement, que de l’action sur le monde matériel.
Vayer affirme, comme Le Boulch, que c’est par le corps, par l’activité tonique et motrice, que l’enfant appréhende le monde. Mais il refuse de le considérer ’comme un objet ou un instrument, [...] à la fois la condition de l’apprentissage et un moyen pour apprendre ou pour s’exprimer’596, conception qu’il reproche au courant de l’éducation par le mouvement de Le Boulch. L’éducation psychomotrice doit, selon lui, ’développer sa propre originalité qui est celle du corps et de l’action corporelle comme langage fondamental dans la communication enfant-monde’597. Pourtant, Le Boulch met aussi l’accent sur la relation au monde : ’L’organisation de la personne et l’émergence de la pensée s’appuient sur l’expérience du corps vécu. Le développement consiste en l’organisation successive de fonctions nouvelles mises en jeu dans les relations avec l’environnement’598. Mais il est vrai qu’il est préoccupé d’une bonne organisation fonctionnelle : ’L’action éducative devrait favoriser la pleine réalisation de chaque étape de l’organisation fonctionnelle. L’efficacité de l’ajustement moteur et la sensation de plaisir qui en résulte renforcent le potentiel énergétique disponible. La somme des expériences vécues, positives ou négatives, module les attitudes affectives et les comportements face à l’environnement’599. La dimension existentielle n’est pas absente chez Le Boulch, mais l’apprentissage moteur tient, chez lui, une place prépondérante. La dimension fonctionnelle est présente aussi chez Vayer, mais reste secondaire par rapport à la dimension relationnelle.
Dans les jeux et activités spontanés apparaissent les centres d’intérêt de l’enfant. Mais les activités spontanées peuvent, selon Vayer, devenir anarchiques ou stéréotypées, ce qui justifie des propositions de la part de l’adulte. Car, ’ce qui est important, ce n’est pas l’action en tant que telle, c’est que la personne de l’enfant et le groupe adhèrent à la réalité présente et qu’ils la vivent pleinement’600. Vayer ajoute : ’Il convient alors de bien comprendre ce que signifie activité corporelle chez le jeune enfant, cela veut dire engagement personnel et total dans une certaine relation au monde’601. Cet engagement se traduit notamment par le projet d’action. Si Lapierre et Aucouturier sont, de toute évidence, en accord avec ces affirmations, ils pensent que le risque pour l’activité spontanée de s’enfermer dans les stéréotypes ou l’anarchie reste faible. Certes, la liberté accordée aux enfants provoque une insécurité qui suscite des réactions d’inhibition ou d’agitation, de pitrerie ou de refuge dans les stéréotypes appris, mais ce n’est le plus souvent qu’une phase qu’il faut laisser vivre jusqu’à son épuisement. Cependant, si le groupe s’y enferme, l’adulte l’aidera à en sortir en modifiant des paramètres de la situation (objets, constitution des groupes, consignes ouvertes).
La ’primauté du mouvement et de la spontanéité est le support de l’expression et de la créativité’602, écrit Le Boulch. Favoriser la spontanéité, c’est donc permettre à l’enfant de s’exprimer. C’est ainsi que l’éducateur peut découvrir les centres d’intérêt de l’enfant. C’est ce qu’affirme Vayer. Lapierre et Aucouturier constatent aussi que les situations spontanément créées ’s’ordonnent très souvent autour d’un thème, conscient ou inconscient, qu’il s’agit de percevoir et d’exploiter, entrant ainsi de plain-pied dans les motivations profondes du groupe’603. Donnet pense que l’enfant peut y retrouver un vécu archaïque et combler des manques. C’est le vécu symbolique que l’éducateur va prendre en compte dans cette situation qui ’permet toutes les identifications transférentielles’604. Son attitude empathique, son acceptation des comportements réactionnels, permettent à l’enfant ’d’en prendre conscience, de les déculpabiliser et de les dépasser pour retrouver une liberté réelle qui n’est plus opposition mais indépendance et disponibilité’605. C’est alors qu’il va pouvoir ’retrouver l’évolution de son désir propre’606 et, par la même occasion, celle de sa relation aux objets, à l’espace et au temps, aux autres. A travers ce vécu corporel, il va retrouver les contrastes et nuances, les structures et les rythmes qui constituaient le coeur de la première forme d’éducation psychomotrice élaborée par Lapierre et Aucouturier. Ces notions pourront s’inscrire dans l’organisation mentale du sujet parce qu’elles seront passées d’abord par son organisation tonico-émotionnelle. L’évolution de la personne de l’enfant jusqu’à la décentration du moi permettra l’intellectualisation, la rationalisation, l’abstraction. Toute cette évolution s’appuie sur la dynamique du désir, car ’le désir d’apprendre n’est que l’une des composantes secondaires du désir d’agir, du désir d’être’607.
La pédagogie psychomotrice se préoccupe donc du corps dans ses dimensions fonctionnelle et existentielle. L’activité spontanée est préconisée par tous les auteurs et permet l’expression et la créativité. Elle ne constitue cependant pas le tout des séances de vécu corporel. L’élaboration de projets d’action, préconisée par Vayer, suppose de dépasser la spontanéité. Dans une classe, cela peut amener aussi une dimension relationnelle, collective à travers laquelle se développe la socialisation. Enfin, développer les capacités fonctionnelles fait aussi partie des objectifs de l’école. La motricité s’affine en s’exerçant, ce qui permet une efficacité praxique tout en retentissant positivement sur l’image du corps.
LE BOULCH, J. : 1998, op. cit. p.94.
id. p.117.
VAYER, P. : 1976, op. cit. p.9.
ibid.
LE BOULCH, J. : op. cit. p.136.
ibid.
VAYER, P. : 1976, op. cit. p.57.
id. p.114.
LE BOULCH, J. : op. cit. p.94.
LAPIERRE, A. et AUCOUTURIER, B. : op. cit. p.21.
ibid.
id. p.22.
id. p.23.
id. p.106.