3.3.Le rôle de l’enseignant

L’attitude de l’éducateur ’doit répondre à deux ordres d’impératifs : psychoaffectif et opératif’608. La nécessité pour lui d’être une présence affective sécurisante est soulignée par tous les auteurs. Cela passe par une acceptation de l’enfant tel qu’il est, de façon à ’faciliter l’acceptation de l’enfant par lui-même et par là même l’acceptation de ses propres difficultés. Cela ne peut se faire que si l’enfant ne se sent pas “ jugé ” ou “ condamné ” dans ses actions’609. L’enseignant est d’abord une présence ’déculpabilisante et empathique’610. Sa relation aux enfants, à chaque enfant, est donc fondamentale, ainsi que le climat relationnel qu’il établit dans la classe, car c’est de lui avant tout que dépend l’ambiance de classe. L’enfant doit se sentir en sécurité et pouvoir exercer son autonomie.

Pour que l’enfant soit autonome, spontané, l’adulte doit adopter une ’attitude non directive’ dans les jeux libres et les activités d’expression, ce qui ’permettra à l’enfant de faire son expérience du corps, indispensable à l’épanouissement de ses fonctions mentales et à son développement social’611. Mais il peut aussi jouer un rôle de stimulation ou de régulation. Car ’porter son attention sur le jeu spontané de l’enfant, le valoriser, y participer, l’aider à le faire évoluer, c’est aller dans le sens d’une éducation ouverte à la vie, à la créativité, à l’autonomie, au développement de tout le potentiel de la personne’612. L’attitude non directive n’est pas constante. Pour Lapierre et Aucouturier, l’éducateur va jouer sur les contrastes de directivité et non-directivité. Vayer affirme que, pour favoriser le développement de la personne, il faut ’être à l’écoute de l’enfant, c’est-à-dire accepter le dialogue, accepter de s’effacer pour permettre l’émergence d’un autre pouvoir, celui de l’enfant’613.

Si le but est l’auto-directivité de l’enfant, l’enseignant met en place les conditions pour qu’il puisse être atteint. Il organise le milieu, oriente certaines activités : ’l’adulte doit s’attacher à ce que l’environnement matériel comme l’environnement des personnes réalisent une structure à la fois sécurisante et dynamique’614. En d’autres termes, l’adulte ’apporte la sécurité et met l’enfant en présence de la réalité. Quand l’activité est engagée, il est à la fois une source d’information et celui qui intervient, quand la nécessité s’en fait sentir, pour réguler les comportements sociaux’615. Il peut donc être amené à faire prendre conscience à l’enfant des limites de son action, à poser des interdits qui doivent cependant rester peu nombreux. Il doit aussi parfois aider l’enfant à accepter de prolonger une activité choisie comme à interrompre une activité ou une prise de parole. Il aide l’enfant ’à mieux orienter son effort d’une part (accommodation), son attention perceptive d’autre part (assimilation). Ainsi il permettra au sujet d’arriver à une certaine maîtrise du problème posé’616. Lapierre et Aucouturier suggèrent aussi de favoriser le vécu régressif : ’accepter et favoriser la régression, pour permettre de revivre sous un aspect sécurisant les étapes et les conflits antérieurs, est une attitude courante en psychiatrie. Nous ne voyons pas pourquoi cette même attitude ne serait pas utilisée en pédagogie’617.

Le développement de la personne comporte divers aspects : la maîtrise de la motricité, sur laquelle se centre davantage Le Boulch ; l’organisation des relations à soi, au milieu physique et aux autres, qui constitue la finalité de l’éducation psychomotrice de Vayer ; l’évolution psychoaffective vers l’autonomie du désir, que visent Lapierre et Aucouturier. Leurs orientations différentes s’accommodent d’attitudes éducatives semblables, mais les propositions d’activités sont plus abondantes chez Le Boulch, Vayer, Vayer et Roncin que chez Lapierre et Aucouturier. Le matériel procuré aux enfants diffère également. Les activités enfantines et leur évolution sont conditionnées par l’organisation du milieu. Peut-on concevoir des propositions différentes dans des temps différents par le même enseignant ? Cela nous paraît tout à fait possible étant donné que les attitudes de l’éducateur proposées par les divers auteurs sont similaires. Cependant, il nous semble fondamental que l’enseignant se situe clairement comme éducateur et pédagogue. Ainsi, si l’auto-directivité de l’enfant est favorisée, elle doit prendre en compte la situation sociale de la classe. En d’autres termes, favoriser le pouvoir de l’enfant, ce n’est pas tout lui permettre. Se situer comme éducateur et pédagogue signifie aussi ne pas se situer comme psychothérapeute. Nous n’adhérons donc pas au point de vue de Lapierre et Aucouturier selon lequel l’école doit permettre à l’enfant de résoudre ses conflits antérieurs ou, comme le dit Donnet, de combler ses manques en retrouvant un vécu archaïque. Cela peut se faire incidemment, par les activités spontanées, mais sans constituer pour autant un objectif pédagogique.

L’action de l’enseignant est basée sur sa capacité à observer et analyser les difficultés rencontrées par les enfants et leurs comportements, ce qui suppose qu’il connaisse le développement de l’enfant. ’Pour bien comprendre la signification de l’activité corporelle, il faut savoir comment l’enfant accède au monde, c’est-à-dire comment il se différencie par rapport au monde, comment il l’appréhende et le reconnaît’618. L’enseignant doit donc être ouvert à tout ce qui concerne l’enfant et son développement. Sa quête incessante d’informations le conduira à s’intéresser à de nombreux domaines, des sciences de l’éducation aux neurosciences en passant par la psychologie, la psychanalyse et l’anatomie. Mais il est des choses qu’on ne peut comprendre que par ce que l’on nomme fréquemment un ’travail sur soi’. Les informations peuvent donc être de l’ordre du savoir intellectuel, mais aussi de la connaissance existentielle, de la co-naissance. Cela pose, bien sûr, la question de la formation de l’enseignant. Tout ce qui permet de mieux comprendre l’enfant présente un intérêt pour l’éducateur, pour l’enseignant. Car, si l’observation est indispensable à la pratique pédagogique, elle est orientée par les connaissances du praticien.

La plupart des psychomotriciens, lorsqu’ils rencontrent un nouveau patient, commencent par pratiquer un examen psychomoteur. Cela leur servira à comprendre les difficultés du patient et à élaborer un projet thérapeutique. Vayer, lorsqu’il a écrit avec Picq Education psychomotrice et arriération mentale, a aussi préconisé d’effectuer un examen psychomoteur. Mais est-ce également pertinent d’en effectuer lorsqu’on s’adresse à des enfants qui ne présentent pas de pathologie importante ou de déficience intellectuelle ? Picq et Vayer l’affirment puisqu’ils le considérent comme ’le point de départ de toute action éducative en éducation et rééducation psycho-motrice’619. Vayer continue ensuite à le préconiser aussi bien pour le jeune enfant d’âge préscolaire que pour l’enfant de l’école élémentaire. Lapierre et Aucouturier le lui reprochent parce qu’ils considèrent que ce choix repose sur une conception ’essentiellement normative et rationaliste. Normative en ce sens qu’elle évaluait le développement psychomoteur de l’enfant par rapport à des normes statistiques’620. Ils déplorent que l’éducateur cherche à repérer les manques, les déficits, pour y remédier au moyen d’exercices spécifiques. Ils font le même reproche à Le Boulch de se centrer sur les manques, mais celui-ci ne préconise pas d’examen psychomoteur. Mais faut-il ignorer les manques, les déficits, les difficultés de l’enfant ?

Notes
608.

LE BOULCH, J. : 1995, op. cit. p.135.

609.

VAYER, P. : 1976, op. cit. p.184.

610.

LAPIERRE, A. et AUCOUTURIER, B. : 1975, op. cit. p.36.

611.

LE BOULCH, J. : 1998, op. cit. p.163.

612.

LAPIERRE, A. et AUCOUTURIER, B. : op. cit. p.58.

613.

VAYER, P. : 1978, op. cit. p.75.

614.

id. p.78.

615.

VAYER, P. et RONCIN, C. : op. cit. p.23.

616.

LE BOULCH, J. : 1995, op. cit. p.135.

617.

LAPIERRE, A. et AUCOUTURIER, B. : op. cit. p.131.

618.

VAYER, P. : 1978, op. cit. p.16.

619.

PICQ, L. et VAYER, P. : op. cit. p.267.

620.

LAPIERRE, A. et AUCOUTURIER, B. : 1975, op. cit. p.14.