3.4.L’observation psychomotrice

En ce qui nous concerne, dans notre pratique de psychomotricien, nous utilisons l’examen psychomoteur. Certes, il fait en partie appel - car toutes les épreuves ne sont pas étalonnées - à des étalonnages qui ne peuvent avoir qu’une valeur statistique. Le problème serait de les considérer comme des ’normes’, terme employé par Lapierre et Aucouturier. Il ne s’agit pas de normes mais de repères qui nous permettent d’évaluer les difficultés rencontrées par l’enfant, mais aussi ses capacités, ses acquis, et de savoir s’il y a lieu d’intervenir sur le plan thérapeutique. Qu’un enfant de trois ans dessine un ’bonhomme-têtard’ est tout à fait normal ; qu’un enfant de huit ans le fasse doit interpeller l’éducateur. On ne peut se passer de repères temporels quant au développement de l’enfant. La question qui se pose est celle du moyen d’intervenir pour aider l’enfant en difficulté afin de ne pas recréer, comme le disent Lapierre et Aucouturier, ’un apprentissage systématique au second degré, soumis aux mêmes tensions anxieuses de la part du maître’621 que celles qui existent pour les apprentissages du ’premier degré’ que sont les apprentissages scolaires.

Contrairement à Vayer, nous ne sommes pas favorables à la passation d’un examen psychomoteur à l’école. En effet, la plupart des épreuves supposent que l’enfant soit seul avec l’examinateur. Il est évident que le faire pour tous les élèves d’une classe prendrait beaucoup de temps. De plus, isoler les enfants qui présentent des difficultés pour leur faire passer un tel examen ne nous semble pas judicieux, notamment parce que cela les montre aux yeux de tous comme élèves en difficulté. Nous préférons une observation psychomotrice en situation ordinaire de vie de classe ou d’école. Cette observation se centrera cependant sur les mêmes éléments que l’examen psychomoteur : tonus musculaire, inhibition motrice, latéralité, équilibre, coordinations, dissociations, schéma corporel, espace, temps, projet idéo-moteur, graphomotricité.

Le tonus musculaire peut s’observer à l’école. En ce qui concerne le tonus de fond, il est aisé de remarquer une forte hypertonie : visage crispé, épaules relevées, etc. Une hypotonie marquée s’observe aussi aisément. Mais on prendra en compte l’âge de l’enfant en ce qui concerne les capacités posturales. En effet, elles sont sous le contrôle du cervelet qui termine sa maturation vers 7 ans. De plus, l’organisation du tonus de fond s’achève vers 11 ans.

En ce qui concerne le tonus d’action, on peut retrouver dans le mouvement une hypertonie ou une hypotonie, mais on peut observer aussi des syncinésies. On distingue les syncinésies tonico-cinétiques ou d’imitation qui consistent en des mouvements involontaires dans une partie du corps non concernée par l’acte volontaire et des syncinésies de diffusion tonique ou de raidissement généralisé qui consistent en une augmentation du tonus musculaire dans les parties du corps non concernées par l’acte volontaire. On considère que les premières doivent avoir disparu à 12 ans, du fait de la maturation du corps calleux qui permet une indépendance et une complémentarité des deux côtés du corps. Quant aux secondes, il est souhaitable qu’elles demeurent modérées, mais cette régulation dépend aussi de la maturation du système nerveux. Les syncinésies pieds-mains peuvent aussi s’observer à l’école, par exemple en éducation physique et sportive, en expression corporelle : elles consistent en une rotation externe de l’épaule amenant les mains paumes en avant alors que le mouvement volontaire est un écartement des pointes de pieds. Il existe aussi des syncinésies buccales, ou chiro-orales, qui consistent en des mouvements buccaux ou linguaux déclenchés par la motricité manuelle ; elles s’observent notamment dans l’écriture.

Les réactions tonico-émotionnelles peuvent s’observer dans diverses situations. Il s’agit par exemple des réactions toniques à un bruit fort. Mais il s’agit aussi des réactions de prestance qui sont liées au regard d’autrui sur soi. On voit ainsi des enfants qui, par exemple alors qu’ils récitent une leçon devant toute la classe, se raidissent ; parfois, ils se tortillent les doigts ou manipulent le bas de leur pull.

La capacité d’inhibition motrice est la capacité à modérer le tonus musculaire et à inhiber le mouvement. L’hypertonie est une insuffisance d’inhibition motrice, mais nous n’y reviendrons pas puisque nous venons d’en parler. Les coordinations et les dissociations nécessitent aussi une inhibition motrice concernant le tonus musculaire et le mouvement. Nous en parlerons plus loin. Mais la capacité d’inhibition motrice peut s’observer dans des exercices spécifiques. Ainsi, par exemple, on peut demander aux enfants de réaliser un mouvement donné à l’arrêt du métronome ; cet exercice demande de l’attention et d’inhiber le mouvement jusqu’à l’arrêt du métronome. L’arrêt de la marche ou de la course au signal de l’enseignant est un autre exercice permettant de constater la capacité d’inhibition motrice. Certains jeux réalisés en éducation physique peuvent aussi le permettre ; ainsi en est-il par exemple du jeu ’Jacques a dit’. Tout geste demande aussi un contrôle corporel qui est de l’ordre de l’inhibition motrice.

L’enseignant peut observer certains éléments de latéralité, essentiellement la latéralité d’utilisation. En effet, s’il peut avoir une petite indication de latéralité neurologique à travers le ballant dans la marche, il ne va pas faire une étude comparative de l’extensibilité des deux moitiés du corps. En ce qui concerne la latéralité d’utilisation, spontanément les enseignants l’observent dans l’acte graphique. Mais il est fondamental de ne pas s’y limiter puisqu’il existe des faux gauchers qu’il est important de distinguer des vrais gauchers. L’enseignant peut observer la latéralité manuelle dans de nombreuses situations, la latéralité podale particulièrement dans les jeux de ballon et le saut. La latéralité oculaire peut être observée dans les exercices de visée, mais ceux-ci posent question parce qu’elle fait intervenir la motricité palpébrale ; le sighting 622 est plus fiable puisqu’il se fait en vision binoculaire, mais il n’est pas aussi aisé à réaliser en classe. La latéralité fonctionnelle peut être recherchée si l’enfant hésite sur le choix d’un côté. Il s’agit donc de repérer le côté le plus efficace.

On prendra en compte que la latéralité s’établit peu à peu. La plupart des auteurs considèrent qu’elle est établie à 6-7 ans, mais d’autres pensent qu’elle se met en place jusqu’à 12 ans.

L’équilibre s’observe particulièrement en éducation physique et sportive. En ce qui concerne l’équilibre statique, il est possible de demander aux enfants de rester immobile sur les deux pieds joints ou sur un pied, yeux ouverts puis yeux fermés, de se tenir accroupi ou sur la pointe des pieds ; certains auteurs ont indiqué des références d’âge pour ces exercices. Ainsi, par exemple, Koupernik et Arfouilloux623 indiquent 3 ans comme âge pour l’équilibre sur deux pieds, les yeux ouverts, les talons joints. Ozeretski et Guilmain624 indiquent 4 ans pour le même exercice les yeux fermés, durant 15 secondes. Pour eux également, 6 ans est l’âge de réussite pour l’équilibre sur un pied, autre genou fléchi à angle droit, bras le long du corps, pendant 10 secondes. Brunet et Lézine625 donnent 2 ans 6 mois pour l’équilibre sur un pied, autre genou fléchi, pendant un instant.

Il ne s’agit pas pour nous ici de donner tous les repères d’âge car ce travail n’est pas destiné à être diffusé en l’état auprès des enseignants. Cela nous permet de montrer que des références d’âge peuvent nous sembler cohérentes : ainsi l’équilibre sur les deux pieds les yeux ouverts à 3 ans et les yeux fermés un an plus tard. Mais d’autres références nous questionnent : par exemple, l’équilibre sur un pied à 2 ans 6 mois selon Brunet et Lézine et à 6 ans selon Ozeretski et Guilmain ; même si les critères sont légèrement différents, l’écart d’âge est très important. Cela permet de relativiser les repères d’âges, en tout cas de ne pas les prendre comme des normes absolues. L’enseignant a, de toute façon, recours à la comparaison des élèves de sa classe, à condition qu’il ait le souci de tenir compte de leur âge car être dans une même classe ne signifie pas nécessairement avoir le même âge.

L’équilibre dynamique peut être observé en récréation et, bien sûr, en éducation physique et sportive. Il concerne la marche, la course, les différents types de sauts, monter et descendre un escalier. Ici encore, on peut disposer d’étalonnages.

Les coordinations et les dissociations comportent plusieurs catégories.

Tout d’abord les praxies, ensemble de coordinations dirigées vers un but. Il s’agit par exemple de se laver et se sécher les mains ou le visage, d’enfiler ses vêtements, de lacer ses souliers. Des repères d’âges ont été donnés pour l’acquisition de ces différentes praxies, notamment par Illingworth626 et Gassier627.

Ensuite, les coordinations larges, avec trois sous-catégories :

Les dissociations larges comportent deux sous-catégories :

Les coordinations et dissociations fines concernent d’une part la motricité faciale, d’autre part la motricité digitale :

Plusieurs exercices ont été étalonnés pour observer les coordinations oculo-manuelles : réalisation de tours de 4 ou 6 cubes, d’un pont ou d’un escalier avec des cubes, enfiler une aiguille. Mais on peut examiner les coordinations oculo-manuelles dans des exercices d’enfilage de perles, d’assemblage de vis et d’écrous, dans des jeux de construction, de découpage, etc. Le contrôle de l’oeil sur la main est important dans tous ces exercices et jeux. On peut considérer que le lancer-rattrape d’une ou plusieurs balles, mais aussi de sacs de graines, permet d’observer un autre type de coordination entre la vue et la motricité manuelle.

Quant aux épreuves de lancer de précision, nous les appelons plus volontiers exercices d’adresse. Ils peuvent concerner aussi bien les membres inférieurs que les membres supérieurs. L’effecteur n’est pas dans le champ visuel puisque le regard se centre sur la cible qui est éloignée.

Le schéma corporel et l’image du corps sont examinés à travers quatre types d’épreuves :

L’organisation spatiale constitue un élément important de l’observation psychomotrice. Nous la divisons en quatre catégories :

L’orientation spatiale : on cherche à savoir comment l’enfant s’oriente dans l’espace corporel et extra-corporel. Certaines épreuves du schéma corporel auraient donc pu se trouver incluses dans cette catégorie, par exemple l’épreuve main-oeil-oreille de Head. Cela n’a rien d’étonnant puisque, nous l’avons souligné, schéma corporel et espace sont étroitement liés. C’est à partir du corps propre que l’on se situe dans l’espace. D’où la progression suivante de l’examen de l’organisation spatiale :

Si un seul objet est orienté, il a valeur de repère absolu. Si deux objets sont orientés, on obtiendra des situations d’opposition si les orientations sont contraires (face à face, dos à dos), d’alignement si les orientations sont identiques (l’un derrière ou devant l’autre, côte à côte ou à côté de), de convergence ou de divergence si les orientations sont différentes. Il est certain que la capacité à situer les objets les uns par rapport aux autres exige une bonne orientation sur le corps propre. En effet, c’est le moi corporel qui, se projetant sur les objets, permet d’en appréhender l’orientation.

La capacité de structuration de l’espace s’évalue à travers plusieurs épreuves.

L’investissement de l’espace s’observe dans de multiples situations : le dessin, les jeux sur la cour de récréation, l’éducation physique et sportive, etc.

Il s’agit de percevoir si l’enfant ose se risquer dans l’espace. Certains enfants restent auprès des enseignants durant les récréations ou passent leur temps adossés à un arbre ou un mur parce qu’ils sont trop insécurisés pour affronter l’espace.

L’occupation de l’espace. L’enseignant demande à un groupe d’enfants d’occuper un espace donné en s’y répartissant le plus régulièrement possible.

Si cette épreuve concerne le groupe, c’est qu’il concerne les individus qui le composent. Qu’un groupe occupe de façon régulière un certain espace nécessite en effet que chacun de ses membres prennent en compte la position et le déplacement des autres.

L’organisation temporelle comporte deux volets : la situation dans le temps et la structuration temporelle.

La situation dans le temps. On peut demander à l’enfant :

La connaissance de la structuration du temps au niveau du calendrier est une aide pour s’y situer, mais l’enfant peut aussi indiquer la date parce qu’il se fie à des repères proches (par exemple, savoir qu’on est jeudi parce que hier on était mercredi).

La structuration temporelle concerne le rythme. L’adaptation à un tempo est proposée par Soubiran et Mazo641, les autres épreuves ont été élaborées par Mira Stambak642.

Le symbolisme est compris sans explication vers 9-10 ans, avec explication à 7 ans.

L’exécution de structures représentées graphiquement est difficile pour les enfants dyslexiques.

Le projet idéo-moteur. Il s’agit de faire réaliser aux enfants une séquence motrice complexe leur demandant une représentation mentale ordonnée préalable des différentes actions à effectuer. Un deuxième aspect de cette rubrique consiste à demander aux enfants d’élaborer eux-mêmes une telle séquence.

Réaliser une séquence motrice complexe sur ordre demande une attention à la consigne, une mémorisation, une représentation mentale puis l’exécution. S’il y a échec, on cherchera à situer l’étape qui l’a provoqué.

Créer une séquence motrice demande une initiative. On évaluera si l’enfant établit un projet d’ensemble ou s’il décide des actions partielles de la séquence au fur et à mesure.

Cette observation psychomotrice nous permet de mieux percevoir les capacités et de mieux comprendre les difficultés de l’enfant. Elle ne se suffit pas à elle-même. Elle vient compléter les informations dont l’enseignant dispose par ailleurs et les autres observations qu’il peut faire, par exemple sur le plan comportemental et langagier, pour lui permettre de mieux adapter ses propositions pédagogiques à l’enfant. L’intérêt de l’observation psychomotrice est de repérer des éléments sur lesquels il peut agir, mais qui ne concernent pas directement les apprentissages intellectuels tout en pouvant les favoriser.

Notes
621.

ibid.

622.

épreuve qui consiste à prendre tenir une feuille, les bras tendus devant soi, et à regarder quelque chose, les deux yeux ouverts, par le trou d’un centimètre environ percé au milieu de cette feuille, puis à rapprocher la feuille du visage sans perdre de vu l’objet visé.

623.

KOUPERNIK, C. et ARFOUILLOUX, J.-C. : Neurobiologie et neurologie du développement, in Traité de psychologie de l’enfant, tome 2, Développement biologique, P.U.F., Paris 1970.

624.

cités par MASSON, S. : Généralités sur la rééducation psychomotrice et l’examen psychomoteur, P.U.F., Paris 1983. Cités aussi par PICQ, L. et VAYER, P. : op. cit.

625.

cités par PICQ, L. et VAYER, P. : op. cit.

626.

ILLINGWORTH, R.S. : The development of the Infant and Young Child, Ninth Edition, London 1987. Traduction française : Développement psychomoteur de l’enfant, Masson, Paris 1990.

627.

GASSIER, J. : Développement psychomoteur de l’enfant, les étapes de la socialisation, les grands apprentissages, la créativité. Cahiers de puériculture, 7, Masson, Paris 1982, 3ème édition révisée 1990.

628.

SOUBIRAN, G.B. et COSTE, J.-C. : op. cit.

629.

STAMBAK, M. 1960, in ZAZZO, R. : Manuel pour l’examen psychologique de l’enfant, I, Delachaux et Niestlé, 5ème édition revue et augmentée, Paris 1979, pp.121-137.

630.

id., p.136.

631.

id. pp.137-145.

632.

ROYER, J. : La personnalité de l’enfant à travers le dessin du bonhomme, Editest, Bruxelles 1977, p.83.

633.

BERGES, J. et LEZINE, I. : Test d’imitation de gestes, Masson, Paris 1972, 2ème édition 1978.

634.

id. p.3.

635.

ibid.

636.

op. cit. p.4.

637.

op. cit. p.7.

638.

GALIFRET-GRANJON, N. : Test de Head ’Main-OEil-Oreille’ in ZAZZO, R. op. cit. pp.57-85.

639.

LAPIERRE, A. et AUCOUTURIER, B. : 1973, op. cit. p.134.

640.

in ZAZZO, R. : op. cit.

641.

SOUBIRAN, G.B. et MAZO, P. : La réadaptation scolaire des enfants intelligents par la rééducation psychomotrice, Doin, Paris 1974, p.45.

642.

in ZAZZO, R. : op. cit. pp.241-260.