L’acquisition de l’écriture s’étale sur de nombreuses années. Toute l’école primaire est concernée, depuis l’entrée à l’école maternelle jusqu’à la fin de l’école élémentaire. Les études génétiques le montrent. Mais il est bien évident que l’apport de l’enseignant diffère en fonction de l’âge des enfants, ou plutôt en fonction de leur niveau de développement puisque nous sommes en accord avec Lurçat sur la nécessité d’une différenciation pour une adaptation à chaque enfant.
Favoriser l’exercice de la motricité spontanée est une nécessité pour le jeune enfant de maternelle. Ainsi, Le Boulch considère que le dessin libre, créatif et expressif, prépare à l’apprentissage de l’écriture. Mais cette préparation se fait plus globalement en favorisant l’équilibre énergétique et affectif, en entretenant et élargissant la disponibilité motrice par les jeux libres et d’expression, en développant la prise de conscience du corps et de l’espace et en permettant la verbalisation des découvertes motrices et perceptives. C’est donc bien toute l’éducation psychomotrice qui, en maternelle, prépare aux apprentissages scolaires dont celui de l’écriture. Rappelons-nous les résultats de la recherche de Ajuriaguerra et Auzias645. Comme le dit Vayer, le développement et l’organisation de la fonction graphique ’sont étroitement liés à toute l’organisation de soi et du monde autour de soi par l’enfant’646. Il considère cependant certaines activités comme préparant plus directement à l’apprentissage de l’écriture : les jeux dans le sable ou la glaise, les jeux avec la pâte à modeler, l’activité graphique au tableau. Mais il ne s’agit pas d’apprendre des graphismes de base qu’il suffirait d’associer ensuite pour former les lettres. Il s’agit d’un développement de la motricité et, plus particulièrement de la motricité fine, appliquée entre autres à l’activité graphique et des autres fonctions psychomotrices. Nous ne nous situons donc pas dans une perspective d’apprentissage d’éléments transférables, mais dans une optique développementale.
L’intervention de l’adulte pour aider l’enfant dans son appropriation des aspects normatifs de l’acte graphique est nécessaire, mais elle ne doit pas être trop précoce. Elle va d’abord consister à proposer une diversité d’activités de peinture et de graphisme permettant à l’enfant l’exploration des supports et des outils. Lorsque l’enfant atteint quatre ou cinq ans, l’adulte va ’s’attacher à ce que les tracés, les reproductions... se déroulent de la gauche vers la droite, à ce que les boucles tournent dans le sens sénestrogyre (celui qui conduit vers la droite) et à ce que l’enfant apprenne à tenir convenablement les différents outils’647. Lapierre et Aucouturier pensent aussi que ce sont les acquisitions qui demandent l’intervention de l’enseignant. Vayer propose d’utiliser la représentation d’actions motrices globales et de faire reproduire des formes de base de façon rythmée : traits verticaux en jouant sur l’alternance grand - petit, cycloïdes allongées, grandes boucles, alternance de grandes et petites boucles, réduction de la boucle au trait. Pour Le Boulch, c’est en Grande Section d’école maternelle qu’il faut, par la reproduction de tracés, favoriser la coordination fine de la main et des doigts et la rythmicité indispensables à l’écriture. C’est aussi à ce niveau de classe qu’il est nécessaire de faire acquérir le sens dextroverse (de la gauche vers la droite) de l’écriture, ce qui est particulièrement important chez le gaucher oculaire dont le balayage visuel se fait spontanément dans l’autre sens. Les interventions de l’adulte doivent donc, selon Le Boulch, être plus tardives que le propose Vayer, mais concernent les mêmes éléments.
Le Boulch considère, en outre, d’autres aspects de l’apprentissage de l’écriture qui en font ’un véritable travail psychomoteur qui s’appuie sur ce qui a été acquis à l’école maternelle. Il contribue à faire évoluer l’ajustement global vers un ajustement cognitif, c’est-à-dire programmé mentalement. L’enseignement de l’écriture sollicite de nombreuses fonctions psychomotrices’648. Et Le Boulch de citer l’ajustement postural en position assise avec prise de conscience, le contrôle tonique de l’axe du corps et des membres, la motricité fine manuelle qui mettent en jeu la fonction d’intériorisation. Pour Vayer, une autre intervention de l’adulte est parfois nécessaire ; elle concerne le choix de la main pour écrire si la latéralité n’est pas clairement établie. L’observation est alors indispensable et, selon nous, doit dépasser largement l’acte graphique. Le recours au psychomotricien peut être nécessaire.
Les indications données par les promoteurs de l’éducation psychomotrice nous semblent très importantes. L’apprentissage de l’écriture est intégré dans une éducation psychomotrice qui prend en compte le développement de l’enfant. Mais ces indications ne sont pas suffisantes. En effet, elles ne donnent aucune indication concernant l’enseignement de l’écriture à proprement parler. Elles ne précisent ni les conditions nécessaires ni la démarche pédagogique à utiliser pour que l’enfant apprenne les lettres et leur liaison. Le recours à d’autres auteurs est donc nécessaire pour l’enseignant qui pourra s’appuyer notamment sur les travaux de l’équipe de Ajuriaguerra et sur ceux de Lurçat. En ce qui concerne la préparation à l’apprentissage de l’écriture, on retrouve chez eux les indications que nous venons de mentionner. Mais ils apportent d’autres précisions quant à l’apprentissage de l’écriture lui-même. Celui-ci ne peut se faire de façon totalement autonome par l’enfant car il ne suffit pas de lui demander de copier des modèles de lettres et de mots ; il faut lui enseigner leurs formes et leurs trajectoires. La présence de l’enseignant est donc indispensable pour montrer comment faire et pour superviser l’action de l’enfant.
C’est dans certains manuels que l’enseignant peut trouver des indications sur l’éducation des aspects perceptifs dans l’apprentissage de l’écriture. Calmy, ainsi qu’Octor et Kaczmarek en donnent au niveau de la préparation à cet apprentissage tandis que Valot s’y emploie pour l’apprentissage lui-même. Mais la préconisation de Zerbato-Poudou d’exercer l’analyse perceptive au cours des exercices graphiques en maternelle nous semble tout à fait pertinente.
cf. pp.102-104.
VAYER, P. : 1976, op. cit. p.136.
id. p.143.
LE BOULCH, J. : 1998, op. cit. p.198.