1.3 Eduquer le sujet scripteur

Plus on avance dans la scolarité, plus l’enseignant intervient sur le plan technique, en tout cas jusqu’à ce que l’enfant acquière une maîtrise suffisante de l’acte graphique. En effet, au cycle des approfondissements, ce type d’intervention diminue considérablement.

Mais les interventions techniques ne sont qu’un aspect de la pédagogie. L’apprentissage de l’écriture concerne l’enfant dans sa dimension existentielle. L’activité graphique est en effet un aspect de la communication avec le monde, de la communication tonico-gestuelle. Le besoin de communiquer doit donc constituer la ’motivation première indispensable d’où vont naître tous les moyens d’expression abstraits’649. Apprendre à écrire peut donc s’appuyer sur le désir de participation à la vie sociale, mais aussi sur le désir d’identification à l’adulte et sur le désir d’acquérir des connaissances et des compétences. Ce sont les trois aspects de la dynamique du désir sur laquelle, selon Vayer comme selon Lapierre et Aucouturier, la pédagogie de l’écriture peut et doit s’appuyer. Cela suppose, bien entendu, que l’enfant sache ce qu’est l’écrit et puisse y recourir selon ses capacités. C’est en ce sens qu’on peut être d’accord avec la préconisation de Charmeux de ’plonger l’enfant le plus tôt possible dans « l’aventure scripturale »’650 sans pour autant entreprendre l’apprentissage systématique de l’écriture avant le cours préparatoire.

Prendre en compte l’enfant comme sujet de ses apprentissages, c’est en effet aussi considérer son niveau de développement. Mais il ne s’agit pas de son niveau théorique, supposé à partir de sa classe d’âge ; au contraire, c’est son niveau réel qu’il s’agit de prendre en compte. Il faut donc dépasser le principe d’unité sur lequel l’école fonde son action, principe selon lequel les enfants d’une même classe d’âge doivent apprendre les mêmes données au même moment. L’organisation de la scolarité en cycles pluriannuels, issue de la loi d’orientation de 1989, nous paraît constituer une avancée considérable sur ce point, mais son application concrète ne nous semble pas réalisée. Elle fournit pourtant un cadre permettant, entre autres pour l’apprentissage de l’écriture, d’adapter l’enseignement aux capacités des enfants, ce qui suppose l’individualisation préconisée par Lurçat. L’enseignant peut, pour mieux cerner le niveau de l’enfant, s’appuyer sur les résultats des travaux de recherche que nous avons évoqués dans notre seconde partie, et aussi réaliser une observation psychomotrice de ses élèves.

La forme d’évaluation mise en oeuvre par Zerbato-Poudou nous semble aussi un moyen particulièrement intéressant pour considérer l’enfant comme sujet dans son apprentissage de l’écriture. En effet, c’est lui qui est amené, avec l’aide de l’enseignant, à évaluer ses acquis de façon objective. Ce n’est plus la marque rouge du maître qui vient dire si ce qu’il a écrit est bien ou mal. C’est lui qui porte sa propre appréciation sur la trace laissée et sur l’acte qui l’a produite. Les critères de réussite et les critères de réalisation tels que les a conçus Zerbato-Poudou sont, à cet égard, fort pertinents. En ce qui concerne les critères de réussite, comme notre propos concerne la graphomotricité et non la copie de texte, il s’agit des aspects formels d’exactitude dans le tracé des lettres et de leur liaison et des aspects conventionnels d’orientation de la gauche vers la droite. Les critères de réalisation permettent de contrôler l’action, dans un premier temps dans l’échange verbal avec l’enseignant. La trace n’est ainsi pas considérée pour elle-même, mais dans son rapport à l’acte qui l’a produite, ce qui permet à l’évaluation de devenir outil de progrès. L’enfant pourrait être amené à porter aussi un regard sur les aspects posturo-moteurs afin de percevoir et d’analyser ce qui favorise ou non le geste scripteur. Ces aspects pourraient être intégrés aux critères de réalisation sans oublier qu’ils sont individuels et évolutifs. La fonction d’intériorisation serait alors mise à contribution et développée.

Considérer l’enfant dans sa dimension existentielle, c’est en effet aussi mettre en oeuvre une pédagogie qui favorise tous les aspects de son développement ; c’est bien là la finalité de l’éducation. C’est parce qu’ils sont au service de ce développement que les apprentissages scolaires sont importants. Cette conception doit avoir des répercussions pédagogiques concrètes. Le développement du schéma corporel n’est pas finalisé par l’apprentissage de l’écriture, même s’il le favorise. Il est important parce qu’il concerne la construction de la personne de l’enfant, au même titre que l’apprentissage de l’écriture. L’enseignant devra donc porter la même attention à l’un qu’à l’autre et mettre en oeuvre une pédagogie qui favorise le développement de toutes les fonctions psychomotrices et cognitives.

Notes
649.

LAPIERRE, A. et AUCOUTURIER, B. : 1974, op. cit. p.33.

650.

CHARMEUX, E. : op. cit. p.83.