2. L’observation psychomotrice au service de la pédagogie de l’écriture

Dans le chapitre précédent, nous avons présenté l’observation psychomotrice. Nous allons maintenant voir comment elle peut être au service de la pédagogie de l’écriture.

2.1 Présentation de cas

Le psychomotricien se trouve souvent consulté pour difficultés dans l’acte d’écrire par des enfants ou des adolescents. Une étude sur deux années d’exercice libéral montre que ces difficultés sont spécifiquement mentionnées pour plus de dix pour cent des enfants venus en consultation. Il faut y ajouter les cas de difficultés scolaires et de maladresse qui comportent des difficultés graphomotrices qui n’ont pas été mises au premier rang des motifs de la consultation. Il se trouve aussi, plus rarement, des adultes qui viennent consulter pour difficultés à écrire ; certains affirment que leurs difficultés existaient déjà lorsqu’ils étaient à l’école primaire.

Pierre vient consulter à l’âge de 17 ans pour des difficultés à écrire vite, ce qui le gêne dans sa scolarité. Sa mère, qui l’accompagne, dit combien il est difficile, dans leur famille, de communiquer.

Pierre se présente comme un jeune homme anxieux, à la parole un peu saccadée, pas très à l’aise dans la relation. Sa formation de vendeur lui donne une représentation des relations humaines où le naturel a peu de place : ainsi, il pense que l’examen psychomoteur est un outil très bien pensé, où rien n’est laissé au hasard, pour analyser le patient.

L’acte graphique, réalisé de la main gauche, s’accompagne d’une importante hypertonie et de syncinésies buccales. C’est l’épaule qui conduit principalement le mouvement, le déliement digital est faible. La main est en position de balayage, le pouce trop fléchi plus haut que l’index, la feuille tenue droite face à l’axe du corps. Les lettres rondes sont réalisées dans le sens dextrogyre, les traits dans le sens sénestroverse, soit à l’opposé des sens fonctionnels de l’écriture. Les t, i et e sont tracés de bas en haut. Pierre a du mal à réaliser certains graphismes tels que les cycloïdes inversées et l’alternance de grandes et petites boucles.

L’examen du tonus musculaire met en évidence des paratonies à l’épreuve des bras tendus et, au contrôle de relaxation, aux membres inférieurs. En relaxation, le corps est très incurvé à concavité droite ; l’ouverture fréquente des yeux révèle de l’anxiété. Celle-ci transparaît aussi dans la réalisation du dessin du bonhomme qui montre, par ailleurs, une bonne intégration du schéma corporel.

L’équilibre et les coordinations dynamiques générales sont satisfaisants. Par contre, la coordination pieds-mains n’est pas aisée. Quant aux dissociations, elles posent problème à Pierre : impossibles entre pieds et mains, demandant un temps d’intégration entre main droite et main gauche. Face au risque d’erreur, Pierre manifeste des réactions anxieuses. Il en est de même lors des épreuves de motricité digitale qui sont pourtant bien réussies.

La latéralité est croisée : oeil et main gauches, pied droit.

L’organisation spatio-temporelle est correcte.

Le suivi thérapeutique se centre sur l’amélioration de la régulation tonique, sous ses deux aspects tonico-moteur et tonico-émotionnel, notamment à travers la relaxation. Il comporte aussi un travail de graphisme et d’écriture demandé par Pierre. Celui-ci déplore, à plusieurs reprises, que l’école ne lui ait pas appris à former les lettres et à les lier, à améliorer les mouvements de progression et d’inscription ; il ne comprend pas pourquoi elle ne l’a pas fait. En dehors des séances, il s’exerce spontanément chez lui.

Après quelques séances, il se met à parler de lui, de son vécu personnel, de ses projets d’avenir. Il décide de venir en bus et non plus conduit par sa mère. Quelques mois après le début de la thérapie, il revendique la communication avec chacun de ses parents.

On voit bien que les troubles de l’écriture s’intègrent ici dans un ensemble plus large, tant sur le plan des capacités psychomotrices que sur le plan relationnel. Le travail thérapeutique comporte donc une dimension psychothérapique ainsi qu’une dimension technique. Mais la question de Pierre concernant le défaut d’apprentissage de l’acte graphomoteur est tout à fait pertinente : ’Pourquoi on ne m’a pas appris ça à l’école ?’. Pertinente, sous réserve tout de même qu’on ne le lui ait effectivement pas appris, car l’enseignement a pu se faire sans qu’il ait intégré ce savoir-faire. Mais il est fort possible aussi qu’il y ait eu lacune dans ce domaine de la part des enseignants.