2.2 Du constat de difficultés graphomotrices à l’observation psychomotrice

Comme nous venons de le voir, les difficultés graphomotrices ne sont pas isolées. Elles peuvent l’être, mais c’est rare ; elles sont le plus souvent incluses dans un ensemble psychomoteur qui présente d’autres problèmes. Nous pouvons indiquer la logique qui nous conduit à effectuer une observation psychomotrice la plus complète possible pour comprendre le trouble de l’écriture.

L’écriture est une activité qui met en jeu la motricité manuelle. Les mouvements digitaux y sont très importants. C’est pourquoi l’enseignant cherchera à savoir si la motricité manuelle est déficiente en elle-même. Cela pourra s’observer dans des manipulations d’objets divers, par exemple lors de jeux de construction, puzzles, etc., et dans l’exercice de la motricité digitale intransitive comme l’opposition du pouce aux autres doigts, le pianotage, etc. Si la motricité manuelle est correctement maîtrisée, le trouble graphomoteur sera compris comme signe d’une difficulté d’un autre ordre. La motricité fine peut être observée et évaluée dans de nombreuses activités de maternelle. A l’école élémentaire, les manipulations en mathématiques et les arts plastiques sont les domaines privilégiés pour cela.

Une difficulté de motricité manuelle peut aussi résulter d’une difficulté de motricité large. On connaît en effet la loi de développement proximo-distale. Si les muscles plus proches de l’axe du corps ne peuvent pas être contrôlés volontairement, il est vraisemblable que cette insuffisance de contrôle se retrouve au niveau des muscles distaux. L’enseignant observera donc la motricité large dans des exercices d’adresse comme des lancers et des jeux de raquette. Le dessin au tableau et son effacement et le dessin sur grande feuille permettront aussi d’examiner cette motricité large qui nécessite l’indépendance du bras par rapport au tronc. Plus globalement encore, l’enseignant observera les coordinations entre pieds et mains et entre les deux mains, ainsi que les coordinations dynamiques générales. De nombreuses activités physiques permettent une telle observation. L’éducation physique et sportive se trouve une discipline particulièrement intéressante à cet égard. Mais les arts plastiques et la musique peuvent la compléter utilement, ainsi que la récréation.

L’équilibre sera également observé car il est nécessaire à l’indépendance des membres supérieurs par rapport au tronc. L’éducation physique et sportive est un lieu privilégié pour mener à bien cette observation, tout comme la récréation. L’enseignant peut être attentif à cette fonction dès que l’enfant est debout, sur place ou en déplacement, ce qui arrive aussi évidemment dans la classe. Un équilibre mal assuré conduit à des compensations toniques. Mais une mauvaise régulation tonique retentit aussi sur l’équilibre.

L’enseignant observera aussi le tonus musculaire, tonus de fond et tonus d’action, ce qui peut se faire quels que soient le moment et l’activité en cours. Des moments de détente, en position assise ou allongée, permettent particulièrement d’observer le tonus de fond. Il peut être important d’examiner le tonus d’action en position debout et en position assise pour savoir si l’excès tonique éventuel est ou non lié à la fonction de l’équilibre. Une mauvaise régulation du tonus musculaire ne permet pas une motricité harmonieuse, fluide. Mais le tonus est encore, comme le dit Wallon, l’étoffe des émotions ; il concerne donc, non seulement l’efficacité motrice mais aussi la disponibilité mentale.

La latéralité repose sur l’organisation bilatérale asymétrique du tonus musculaire. Observant celui-ci, l’enseignant recueille donc des informations sur celle-là. Mais la latéralité pourra aussi faire l’objet d’une observation plus complète : latéralité gestuelle spontanée, latéralité fonctionnelle, latéralité d’utilisation. Et l’enseignant sera attentif à ne pas se limiter à la latéralité graphique, ni même à la latéralité manuelle.

Le Boulch a mis en évidence que ’cette forme spécifiquement humaine d’apprentissage moteur représentée par l’écriture, est d’emblée cognitive. C’est-à-dire que l’intentionnalité n’est pas seulement relative au but à atteindre, mais intervient également dans le choix et le contrôle de modalités d’effectuation du programme moteur’651. En cas de difficultés d’écriture, l’enseignant cherchera donc à évaluer l’intégration du schéma corporel global et au niveau manuel, par le dessin du bonhomme, l’imitation de gestes et la connaissance du nom des diverses parties du corps. L’enseignant observera aussi les capacités de dissociation des mouvements, qui nécessitent la conscience du schéma corporel et font intervenir le niveau cognitif, et la capacité d’inhibition motrice, qui les conditionne et sont également le support de l’attention, donc de l’analyse perceptive.

Le Boulch et Vayer ont également montré que l’écriture est un mouvement harmonieux parce qu’il est rythmé. Les capacités de structuration temporelle seront donc évaluées par l’enseignant. L’écriture mettant aussi en jeu des notions spatio-temporelles, il observera aussi les capacités d’orientation et de structuration dans l’espace et le temps.

Enfin, comme l’écriture suppose un projet idéo-moteur, les capacités d’établissement de tels projets seront évalués en dehors de l’acte graphique. Cela permet d’observer les capacités d’attention, de mémoire, de conservation du projet lorsque l’action s’engage.

On voit ainsi comment une difficulté d’écriture conduit nécessairement à une observation psychomotrice aussi complète que possible. Et l’enseignant ne devra pas s’y limiter. Il cherchera aussi à comprendre quel est le rapport de l’enfant à l’écrit, d’une part, à l’ensemble des disciplines scolaires, à soi, au monde matériel, au milieu humain, sans pour cela entrer dans une investigation psychologique poussée. Le cas de Pierre montre bien que le relationnel est concerné.

Notes
651.

LE BOULCH, J. : 1995, op. cit. p.174.