2.3 L’observation psychomotrice, point d’appui de l’action pédagogique

Il est bien évident que l’observation psychomotrice n’est pas une fin en soi. Elle est destinée à aider l’enseignant à décider des orientations pédagogiques les plus favorables au développement de l’enfant, éventuellement pour remédier à des difficultés constatées.

L’écriture est un acte latéralisé. Il impose donc le choix d’une main scriptrice que l’on garde, sauf accident, toute la vie. Il paraît donc important que ce choix soit pertinent. La plupart du temps, il ne pose nullement question car la latéralité est clairement établie. Mais lorsque ce n’est pas le cas, une observation psychomotrice s’impose, voire un examen psychomoteur.

La latéralisation est en effet un phénomène complexe. Elle s’étale sur plusieurs années et n’est pas nécessairement achevée au moment de l’apprentissage de l’écriture. On peut donc se trouver face à une difficulté de choix du fait d’une maturation incomplète. Selon Ajuriaguerra et Marcelli652, il y a 40% d’enfants de 4-5 ans mal latéralisés et il en reste encore 20% à 5-7 ans. Or, il faut apprendre à écrire à 5-6 ans, quand ce n’est pas plus tôt du fait d’exigences de certains enseignants.

La latéralité met aussi en jeu des aspects socio-culturels et la gaucherie, c’est-à-dire la latéralité gauche, a parfois été considérée comme anormale. Nous l’avons dit, il y a une valorisation culturelle de la droite et la gaucherie a souvent été accusée d’être à l’origine de troubles tels que la dyslexie et la dysorthographie, sans compter évidemment la dysgraphie. C’est ce qui fait que des pressions existent encore parfois, bien que plus rarement qu’autrefois, pour que des enfants utilisent leur main droite pour écrire même s’ils sont gauchers. Depuis que l’on a pu constater les dégâts provoqués par la gaucherie contrariée, la tendance est cependant plutôt d’accepter la latéralité quelle qu’elle soit. Mais parfois aussi, la latéralité gauche a été choisie trop rapidement pour l’acte graphique, par peur de contrarier l’enfant, conduisant paradoxalement à le contrarier effectivement ; on a ainsi contrarié des droitiers ! Le cas des faux gauchers, qui n’utilisent préférentiellement leur main gauche que dans les activités sociales que sont l’écriture et le repas, illustre aussi le fait que la latéralité met en jeu des aspects affectifs et relationnels. Ceci doit être pris en compte dans la détermination du choix de la main pour écrire. Il est nécessaire de rester toujours attentif aux réactions de l’enfant et de ses parents.

L’observation psychomotrice est utile bien au-delà de cette question de latéralité. En effet, comme nous l’avons vu, elle permet de mieux comprendre l’ensemble psychomoteur dans lequel s’intègre l’acte graphique. En cas de difficultés, l’enseignant peut donc agir sur les fonctions psychomotrices insuffisamment développées. Cette action ne se limite pas à l’acte graphique ; au contraire, elle peut se situer dans les diverses disciplines scolaires. L’éducation physique, les arts plastiques, la musique, ne sont pas des domaines secondaires qui n’auraient d’autre rôle que de permettre à l’enfant de se reposer du travail intellectuel. Ils favorisent le développement sensoriel, moteur et cognitif et, par le fait même, contribuent aux acquisitions scolaires, dont l’écriture, à la remédiation aux difficultés éventuelles. Il n’est pas question d’acquisitions de savoirs transférables, qu’ils soient moteurs ou cognitifs, mais de développement de l’enfant. Car, comme le souligne Le Boulch, ’le bénéfice que peut procurer un apprentissage pour faciliter un autre apprentissage ne peut se comprendre que s’il s’appuie sur le développement fonctionnel. L’éducation psychomotrice qui a précisément cette vocation peut donc revendiquer le statut de matière transversale. Elle s’adresse en effet au corps de l’enfant, le seul facteur commun à toutes les disciplines’653.

Mais le corps n’est pas envisagé ici dans son seul aspect biomécanique. Il est ce qui rend possible la présence au monde. Vayer insiste sur le fait que l’enfant est ’son corps en tant que moyen de relation’654 ; quelle évidence lorsqu’il s’agit d’écrire pour communiquer ! Et il ajoute : ’Le Moi corporel est toujours présent, il est au centre même de la personne’655. C’est pourquoi l’école doit se centrer davantage sur la personne de l’enfant dont elle doit favoriser le développement. Dans cette perspective, l’attention aux processus devient plus importante que l’attention aux résultats qui ne sont que leur aboutissement. Comme l’affirment Lapierre et Aucouturier, ’il ne s’agit pas à ce niveau d’acquérir des connaissances sur le mode de l’avoir, mais des possibilités sur le mode de l’être’656. Mais il ne faudrait pas en déduire que l’acquisition de connaissances n’a aucune importance : les savoirs et les savoir-faire participent à la construction de la personne et influent sur ses relations à son environnement. L’école est lieu d’apprentissage ; c’est en cela qu’elle participe de façon singulière au développement de l’enfant. Apprendre à écrire, c’est donc avant tout développer ses capacités et toute la personne se trouve engagée dans un tel acte.

Notes
652.

AJURIAGUERRA, J. (de) et MARCELLI, . : Psychopathologie de l’enfant. Masson, Paris 1982.

653.

LE BOULCH, J. : 1998, op. cit. p.138.

654.

VAYER, P. : 1978, op. cit. p.12.

655.

ibid.

656.

LAPIERRE, A. et AUCOUTURIER, B. : 1975, op. cit. p.9.