Bien que de tels résultats ne soient pas incompatibles avec la nature concurrentielle du fonctionnement du marché du travail (Blanchflower, Oswald & Sanfey, 1996 8 ), ils favorisent toutefois une interprétation alternative de la détermination des salaires. La théorie économique avance plusieurs hypothèses pour justifier une rémunération de la main d’œuvre au-delà du prix du marché. D’une part, la théorie du salaire d’efficience démontre que des salaires élevés permettent de réduire les coûts de turnover en augmentant le coût d’opportunité du départ volontaire des salariés. De plus, la pratique d’un salaire d’efficience permet de minimiser le coût de l’unité efficace en travail en incitant les employés à maximiser leur effort. Dans ce cas, la prime de salaire rend crédible la menace de licenciement. Enfin, une offre de salaire élevé permet à l’employeur de discriminer les candidats à l’embauche : les candidats recrutés sont ceux qui ont un salaire de réservation élevé et donc qui signalent une meilleure qualité (Weiss, 1990). D’autre part, la théorie du partage de rente suppose que les employeurs distribuent une part de la rente créée par la relation d’emploi et/ou par la position de la firme sur le marché du produit sous forme d’une prime ajoutée au salaire. Cette part provient soit d’une négociation entre employeur et syndicats (l’intégralité de la rente peut être entièrement captée par les insiders, Nickell & Wadhwani, 1990) soit d’une décision unilatérale de l’employeur sous-tendant une politique salariale incitative.
Akerlof (1982, 1984) et Akerlof & Yellen (1990) ajoutent à ces deux corps d’hypothèses l’argument suivant : employeurs et employés basent leur relation sur un échange de dons. L’employeur offre un salaire supérieur au prix du marché afin d’obtenir en retour des gains de productivité. Il appartient alors aux salariés d’évaluer le caractère juste de la rémunération (fair wage). Cette appréciation détermine la loyauté des employés vis à vis des objectifs de l’employeur. L’incomplétude du contrat de travail implique que les employés disposent d’une certaine latitude dans le choix de leur niveau d’effort : ils peuvent ainsi ajuster leur niveau d’effort à leur rémunération. L’octroi d’un salaire juste conduit à des niveaux d’effort élevé sans pour cela avoir recours à des mécanismes coûteux de contrôle et de punition.
L’explication de Akerlof & Yellen (1990), contrairement à celles basées sur le paiement d’un salaire d’efficience, permet de justifier les phénomènes de diffusion des différentiels de salaire aux diverses catégories socio professionnelles composant la firme. En effet, les résultats économétriques font état d’une telle diffusion des primes salariales, même aux salariés pour lesquels l’employeur ne cherche pas à limiter le turnover. L’approche en termes d’échange de dons fondés sur des considérations de justice distributive implique que les employés sont sensibles à la distribution des salaires au sein de leur firme. Dans la définition de la rémunération qu’ils considèrent juste, ils incluent une comparaison verticale de leur traitement si bien que l’employeur doit limiter les écarts de rémunération entre les diverses catégories d’employés de la firme.
Bien que l’interprétation de Akerlof & Yellen (1990) trouve des fondements en psychologie et en sociologie (théorie de l’échange social), elle pousse l’économiste à relever le défi de la modélisation de cette perspective. En effet, les primes de salaire ne constituent pas une incitation suffisante à augmenter le niveau d’effort. Cette situation relève d’un cas typique de dilemme du prisonnier. Quelle que soit la proposition de salaire, l’employé cherchant à maximiser son gain dégrade son effort. L’employeur, anticipant un tel comportement doit offrir le salaire du marché. Au total, seul le travail correspondant à un niveau d’effort minimal est échangé. Dès lors, aucune pratique stable d’échange de dons entre employeur et employé ne peut apparaître. L’hypothèse d’Akerlof & Yellen se révèle être non pertinente pour expliquer la persistance de différences de salaire non compensatrices.
Blanchflower D.G., Oswald A.J., Sanfey P., (1996), « Wages, Profits, and Rent Sharing », Quarterly Journal of Economics, . Les modèles compatibles avec la théorie standard proposes n’autorise néanmoins que l’apparition d’un partage de rentes à court terme.